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L’Assemblée nationale fait flotter son drapeau sur le net

De la mise en ligne des textes de loi au contact avec leur circonscription, les députés vivent internet comme un exercice de démocratie. Et attendent un vrai débat sur la société de l’information.

À travers quatre institutions clés des pouvoirs exécutif et législatif, Le Nouvel Hebdo décrypte, tout au long de l’été, les changements irréversibles apportés par internet au c?”ur de l’État.Palais-Bourbon, jeudi 14 juin, 19 h 02. Le projet de loi relatif à la démocratie de proximité en est à son deuxième jour d’examen par les députés lorsque le rapporteur de la gauche plurielle, Bernard Derosier, s’exclame : “ Je dirai qu’aujourd’hui l’utilisation d’ordinateurs connectés au réseau internet déshumaniserait complètement la participation de nos concitoyens à la vie de leur pays.” Tollé général dans l’hémicycle, notamment sur les bancs de l’opposition. “ C’est vraiment un argument archéo“, lance le député Franck Dhersin, au moment même où le ministre de l’Intérieur s’empare du micro pour rectifier le tir : “Le gouvernement est favorable au développement de l’utilisation d’internet dans les relations entre l’administration nationale ou locale et les citoyens“, corrige solennellement Daniel Vaillant.Cette comédie politico-numérique est désormais un spectacle habituel à l’Assemblée, depuis que Patrice Martin-Lalande, député RPR d’Indre-et-Loire, saisit toutes les occasions pour déposer un amendement internet sur les projets de loi en discussion. La nation reconnaissante lui doit ainsi le vote de l’autorisation donnée aux collectivités locales d’investir dans les équipements haut débit. Le 14 juin, c’est lui qui, profitant du thème de la démocratie de proximité, défendait un amendement en faveur du vote électronique, finalement repoussé.

L’?”il sur la corégulation

C’est que, pour ce franc-tireur du web, le gouvernement a refusé de donner à l’Assemblée le débat que méritaient les députés sur la société de l’information. “ Le projet de loi sur la société de l’information [LSI] arrive en première lecture sans aucune préparation parlementaire “, déplore-t-il. Le député PS Patrick Bloche, nommé le 27 juin rapporteur sur la LSI, s’empresse de mettre les points sur les ” i ” : “ Une discussion générale en séance publique n’aurait rien apporté, car il n’y a pas encore sur un sujet comme internet de clivages politiques suffisamment formalisés.” Les députés avouent : le vote en 1999 de l’amendement sur la responsabilité des hébergeurs reste un des seuls débats de fond sur internet qu’ait connu le Parlement.Est-ce à dire que ” la République de l’information “, si chère à Christian Pierret, le secrétaire d’État à l’industrie, est victime d’un déficit démocratique ? En aucun cas, affirme-t-on dans l’entourage du Premier ministre : la méthode du gouvernement a consisté à s’appuyer sur une poignée de parlementaires pour représenter la voix de l’Assemblée. Et Bruno Lasserre, conseiller d’État auteur d’un rapport sur l’administration électronique, de renchérir : “ L’émergence au Parlement d’un noyau de spécialistes est une vraie révolution par rapport au début des années 1990, lors du débat sur la réforme des postes et télécoms. ” Parmi ces spécialistes, l’ancien député de la Nièvre, Christian Paul, fut l’auteur, en juin 2000, du rapport au Premier ministre sur la corégulation. Un concept juridique, forgé par le Conseil d’État pour associer la société civile à l’élaboration de la loi. Mais, pour beaucoup de députés, pas question que la corégulation rogne leurs prérogatives. Ils surveillent en particulier le ” Forum des droits sur l’internet “, lancé en mai par Isabelle Falque-Pierrotin, et qui se veut l’assemblée de référence du débat public et privé sur la société de l’information. “ Il ne faudrait pas que les avis de ce forum nous forcent la main à nous, législateurs“, prévient Patrick Bloche.Cela d’autant que le pouvoir législatif peut s’enorgueillir d’avoir, avant les sites gouvernementaux, basculé son activité sur le net. Le site Assemblee-nationale.fr veut, en face des Service-public.fr et autres Premier-ministre.gouv.fr, s’affirmer comme le média du contrôle démocratique : projets de loi, rapport des commissions, toute la production de textes parlementaires se retrouve sur le net. La séparation des pouvoirs dans la société de l’information se mesure aussi à cette course à l’audience, à la surenchère des ” services citoyens “, comme les nomme le député du Tarn, Thierry Carcenac, auteur du rapport éponyme sur l’administration électronique. Sur le sujet, le directeur de l’information multimédia du Palais-Bourbon, Bruno Vieillefosse, n’a pas à rougir : “ Après la diffusion en direct des débats et la retransmission en ligne des émissions de la chaîne parlementaire, nous étudions, pour la fin de l’année 2001, un service de vidéo à la demande“, annonce-t-il.

Toujours près de l’électeur

Pour les 577 députés, la connexion à internet, avec adresse de messagerie, est généralisée depuis deux ans. Sur l’écran de leur PC, ils peuvent consulter les comptes rendus des débats et déposer des amendements en ligne. Mais la toile n’a pas dématérialisé la délibération et le vote en séance. Il en va, dit-on, de la démocratie. “ Il ne faudrait pas que l’accès virtuel au travail parlementaire soit une incitation à la démobilisation“, résume un jeune assistant parlementaire. En somme une modernisation du Parlement, sans révolution culturelle.En apparence. Car le net a aussi rapproché le député de son implantation locale. “Vous imaginez ce que représente pour un élu la possibilité de dialoguer sur le net avec sa circonscription “, s’enthousiasme le député UDF Renaud Dutreil. Au PS, dont la motion numéro 1 du dernier Congrès, paraphée par le Premier secrétaire François Hollande, a mis internet au c?”ur de la communication avec les militants, cela s’appelle la ” démocratie de l’instant “. Pour Renaud Dutreil, chef d’orchestre du site Gauche- story.com, la parodie de Lofstory qui met en scène l’équipe de Lionel Jospin a donné un coup de vieux au discours technocratique qui plane à l’Assemblée comme à Matignon : “ Le net a mis au jour le syndrome d’enfermement des partis politiques, explique-t-il, alors qu’entre les citoyens et leurs représentants, la glace est brisée.

La semaine prochaine : Matignon

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Sébastien Fumaroli