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La web-tv va-t-elle tuer la télé ?

Les chaînes on-line ont non seulement une audience confidentielle, mais la qualité de leurs images est mauvaise. L’internet rapide donnera-t-il un coup de fouet à ces web-télés qui veulent révolutionner le petit écran ?

Les résultats de e-TF1 pour 2000 ? ” 20 millions de francs de recettes pour… 150 millions de francs de dépenses. Le site ne sera pas à l’équilibre avant 2004 “, répondait en janvier sa vice-présidente, Anne Sinclair, à l’hebdomadaire Stratégies.La web-télé de TF1 fait pourtant la course en tête en terme d’audience : avec 42,5 millions de pages vues et 4,6 millions de visites en décembre, elle est le premier site des médias français, loin devant la nuée de web-TV qui se sont lancées ces dernières années :
– les indépendantes ( canalweb.net, canalzap.com, teleweb.org, tv-art.net…),
– les portails multimédia ( msn.fr/eurovision, yahoo.fr…),
– les sites web des grandes chaînes traditionnelles ( m6-web),
– et ceux des chaînes présentes sur le câble et le satellite ( canalplus.fr, allocinetv.com, histoire.fr…).Ces entreprises qui proposent sur le Net une télévision “d’un nouveau genre“, intelligente, interactive… et gratuite ont-elles une chance de concurrencer un jour leurs aînées ?

Promise à un bel avenir, la télé sur le web a du plomb dans l’aile. Que s’est-il passé ?

Jacques Braunstein ( journaliste chez Technikart) : Pas grand-chose, justement… Il suffit de se balader sur un site diffusant des séquences vidéo pour s’apercevoir que la web-TV n’est toujours pas techniquement au point. Les formats de lecture vidéo les plus répandus (RealPlayer ou Quicktime de Microsoft) fournissent des images de quelques centimètres carrés renouvelées une dizaine de fois par seconde ?” contre vingt-cinq fois pour la télévision classique. Résultat : au bout de quelques minutes d’émission, la bobine du présentateur ou du chanteur se fixe dans un rictus épouvantable, tandis que sa voix continue d’émettre comme si de rien n’était. Il paraît que le logiciel MediaPlayer de Microsoft offre une qualité quasi égale à celle de la télé, pour les internautes branchés sur le câble. Super ! Sauf que ces petits veinards constituent à ce jour moins de 1 % des 17 % de foyers français connectés. Quand on sait que la presque totalité des ménages a au moins une télé, on mesure l’écart que la web-TV doit combler…

La lenteur du réseau est aussi en cause…

François Colobert (responsable du webcasting chez e-TF1) : En effet. Le bas débit est encore une norme de connexion quasi générale. Il autorise une vitesse de transmission poussive : trente kilobits par seconde en moyenne contre deux à dix mégabits par seconde pour une émission transmise par une chaîne numérique via le satellite ou le câble. Cette vitesse varie, en outre, selon le fournisseur d’accès à l’internet choisi par l’internaute, le nombre de personnes connectées, la largeur de la bande passante, etc.

Avec l’internet rapide, tout ira-t-il mieux ?

François Colobert : Oui, patience ! Avec la généralisation du haut débit, tous ces défauts disparaîtront. Nous sommes tous d’accord pour estimer que d’ici à deux à quatre ans, 18 à 30 millions de foyers en France seront équipés de liaisons ultrarapides (NDLR : vision optimiste). La technologie permettant de transformer un PC en poste de télé, ou l’inverse, existe d’ailleurs déjà. e-TF1 propose des images en plein écran comparables au format VHF de la télé. Et pas seulement aux cybercâblés. Les internautes qui surfent via l’ADSL ou les réseaux d’entreprise ont accès à cette qualité d’image.

Quel genre d’émissions de télévision verra-t-on sur le web ?

François Colobert : Pas les mêmes qu’à la télé. Les web-TV ont compris qu’il ne suffisait pas d’imiter ou d’importer les meilleures émissions de la télé classique pour faire exploser l’audience. Il faut dire qu’elles se sont assez vite aperçues qu’une bonne partie de la production télé était impossible à visionner sur le Net : l’outil, encore fruste, transforme en bouillie visuelle et auditive les travellings, les plans larges de foules, les bruits de fond, les couleurs chamarrées… Comme beaucoup de nos cons?”urs, e-TF1 a adopté une charte de production spécifique au Net : priorité aux séquences courtes, aux gros plans quasi fixes, aux tons contrastés, aux fonds de plateaux sombres ?” noirs de préférence.

Pas très folichon comme moyen d’expression, comparé à la télé…

Philippe Chazal (directeur général de la chaîne histoire et président de l’Association des chaînes du câble et du satellite) : Oui, sauf que la web-télévision possède deux atouts que la télévision classique n’aura jamais : elle peut proposer à l’internaute de visionner des émissions ” à la carte ” et d’interagir avec ce qu’il voit sur son écran. C’est ce que nous appelons dans notre jargon le Rich Media, qui permet d’enrichir le texte par du son, de la vidéo, de l’animation, des photos, etc.

Qu’apporte concrètement le Rich Média ?

Philippe Chazal : Prenons le principe du journal télévisé, par exemple. Le Rich Media donne la possibilité à l’internaute de réagir en direct à une interview en posant des questions à l’invité. Il peut approfondir, s’il le désire, les thèmes abordés au cours de l’émission en consultant une série de documents disponibles au même moment : textes, reportages vidéo, interviews…Le nombre de données que l’on peut stocker est illimité. Et, surtout, les séquences vidéo retransmises sur l’internet peuvent être indexées de toutes les façons possibles. Prenons l’exemple des soixante-dix heures du procès Barbie mises en ligne sur le site de la chaîne numérique Histoire : l’internaute peut choisir de visionner une partie du procès en ne sélectionnant que certains thèmes, témoignages ou moments clés du procès. Bref, il peut construire son émission lui-même…

Le spectateur fait son propre webcasting…

Nathalie Fourcade (PDG de NTV Factory) : C’est ce qui fait la spécificité de la web-TV par rapport à la télé classique. Elle s’adresse à une population de téléspectateurs ” actifs “, par opposition aux spectateurs ” passifs ” du petit écran, dont le seul élan créatif se résume au zapping. Le public visé par la web-TV est, en outre, un public de passionnés : collectionneurs, fans de musique, de sport ou d’histoire. Ils vont sur le Net parce qu’ils souhaitent en savoir plus sur certains thèmes qui leur tiennent à c?”ur. Les web-TV fournissent donc une offre complémentaire et non pas concurrente des télés classiques.Xavier Spender (directeur adjoint de M6-web) : La plupart des médias audiovisuels présents sur le Net ont compris cette complémentarité. Leur filiale web est l’outil d’une stratégie qui consiste à être présent sur tous les canaux, en inventant des formats d’émissions s’adressant à des publics ciblés : celui du réseau analogique, du Net, du câble et du satellite ou des ondes hertziennes. Prenez M6-web. Notre chaîne prépare M6 Ville, un site d’information de proximité en collaboration avec les douze rédactions de M6 présentes dans les régions. Par ailleurs, le site puise dans les contenus des émissions de M6 (Hit Machine ou Capital), mais il propose aussi huit chaînes thématiques, qui s’adressent aux fans de jeux vidéo ou d’automobile, aux passionnés d’infos ou de cinéma, aux jeunes, aux femmes…

Tout cela représente des investissements astronomiques que les recettes de pub sont encore loin de combler…

Xavier Spender : C’est le n?”ud du problème. Pour attirer l’internaute, il faut proposer un matériau audiovisuel et une qualité de connexion irréprochables. Il faut donc embaucher de vrais pros et dépenser des sommes colossales en équipement : M6-web emploie par exemple une centaine de salariés et investit près de 100 millions de francs par an. Or, l’internaute, lui, ne paye rien. Bref, nous n’avons pas encore trouvé la clé d’un modèle économique viable.Philippe Chazal : L’audience et son corollaire, les recettes publicitaires, sont loin d’être au rendez-vous. Le sponsoring et peut-être un soutien de la part des pouvoirs publics sont des pistes qu’il faut explorer… Je reste convaincu que tant qu’un système de péage n’est pas mis en place, à l’image de celui qui alimente les ressources des bouquets numériques, un modèle économique viable restera introuvable sur le web…

Comment comptez-vous tenir en attendant l’explosion de l’audience et des recettes publicitaires ?

Xavier Spender : Comme e-TF1, nous parions sur notre notoriété auprès des millions de téléspectateurs de M6 pour asseoir notre audience sur le Net. M6-web développe aussi une activité de fournisseur d’accès. Et nous appartenons à un groupe qui a les reins solides…

Une chance que n’ont pas les web-télés indépendantes…

Jacques Rosselin (PDG de CanalWeb) : Ce n’est pas une raison pour les condamner d’avance. En dehors de la pub, CanalWeb se rémunère sur ses activités ” corporate ” (retransmissions de conseils d’administration ou de conférences). Nous prêtons par ailleurs notre studio numérique moyennant un pourcentage sur la vente des émissions produites dans ce cadre. À ce jour, une trentaine de chaînes produites par CanalWeb sont à l’antenne. Libres de ton, animées par des gens qui n’auraient pas leur place sur le petit écran, elles s’adressent à des micropublics exigeants qui ne sont pas forcément des fans de télé.

Vous comptez pourtant diffuser bientôt sur le câble et le satellite…

Jacques Rosselin : C’est de bonne guerre, non ? Plus sérieusement, je pense en effet qu’une certaine convergence entre les moyens de diffusion multimédia est en train de se réaliser : d’un côté les chaînes classiques ou à péage investissent le Net ; de l’autre, des sites comme allocine.fr se mettent à diffuser sur des bouquets numériques. Dans ces conditions, CanalWeb aurait tort de se priver d’une vitrine sur le câble ou le satellite quand d’autres s’offrent à grands frais une vitrine sur le web.

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Par Jean-François Paillard