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Intel vit une très mauvaise passe

Tous ceux qui ont eu à commenter les derniers résultats d’Intel ont bien noté que la société n’allait pas très bien. Mais c’est en fait un vrai tremblement de terre qui la secoue actuellement

Les commentaires qui ont suivi la dernière annonce des résultats trimestriels d’Intel ont été dans l’ensemble ‘ compréhensifs ‘. Au point que la majorité des observateurs en a simplement
conclu que le marché des PC ralentissait actuellement et qu’AMD continuait de prendre des parts de marché à Intel.Mais en fait, lorsque l’on examine de près tous les chiffres fournis par la société à l’occasion de la publication de ses résultats, force est de constater qu’Intel subit un vrai tremblement de terre. Premier indicateur
significatif : la marge brute. Une société de semiconducteurs (qui fabrique donc elle-même tous ses circuits) en bonne santé affiche normalement une marge brute de l’ordre de 45 %. Une fabless (qui fait donc
sous-traiter la fabrication de ses circuits) peut afficher jusqu’à 60 %, parfois plus lorsqu’elle dispose d’un quasi-monopole.

Des indicateurs financiers inquiétants

Profitant de son monopole de fait et donc de prix de vente relativement élevés, Intel, bien qu’étant fabricant, annonce depuis longtemps des marges brutes de 59 % à 64 %, ce qui est tout à fait exceptionnel. Mais, au dernier
trimestre, cette marge est tombée à 55,1 %.Exception qui confirme la règle ? Pas du tout : Intel annonce que cette marge tombera entre 47 % et 51 % durant le trimestre en cours. Il s’agit toujours d’un taux élevé, mais cette chute est fatalement annonciatrice
d’une diminution de train de vie pour la société. De fait, la société va réduire par exemple de 1 Md$ ses investissements pour les neuf mois restants, dont 300 M$ pour des équipements de technologie avancée.Alors que le marché des PC aurait été en croissance de 13 % en nombre de pièces au premier trimestre selon les sociétés d’études spécialisées, Intel annonce une chute de ses ventes trimestrielles en dollars de 5 % d’une année
sur l’autre, ce qui laisse supposer qu’Intel est obligé de baisser fortement ses prix de vente pour résister à la concurrence d’AMD (dont les ventes trimestrielles ont, elles, crû de 70 % d’une année sur l’autre).La société annonce en outre une nouvelle chute de son chiffre d’affaires pour le trimestre en cours. Ce qui n’étonnera guère, vu que la société constate l’existence de stocks chez ses clients, preuve s’il en est que les PC Intel
n’arrivent pas à se vendre aux prix proposés. Un comble : Intel n’arrive pas à fournir suffisamment de chipsets pour répondre à la demande, ce qui témoigne en outre d’une mauvaise organisation de ses capacités de
production.Les observateurs auront retenu en lisant les commentaires sur les résultats de la société qu’Intel fait face à une baisse de la demande de PC. Il s’agit pourtant là d’une mauvaise interprétation : Intel fait seulement face à une
baisse de la demande pour les PC Intel. Le directeur financier d’Intel n’a d’ailleurs pas dit que le marché baissait mais qu’il était ‘ inférieur à ce que la société avait prévu ‘.

Quelles erreurs a donc commises Intel pour en arriver là ?

La première est d’avoir cru que la fréquence d’horloge de ses processeurs pourrait toujours augmenter au même rythme jusqu’en 2010. Ce n’est que vers 2004 qu’Intel a pris conscience que les problèmes de dissipation thermique liés à
l’augmentation de cette fréquence ne pourraient vraiment plus être résolus grâce à des astuces. Et il a fallu une année pour remuer le mammouth.AMD, à l’opposé, a pris des décisions stratégiques très tôt, avec le gros risque de se voir reprocher d’imposer des changements d’habitudes. Depuis cette décision, AMD suit une stratégie claire, sans déviations. Une stratégie
plébiscitée d’abord par les technophiles… puis par les autres.La deuxième erreur d’Intel a été de se croire le plus fort pour très longtemps : avec un chiffre d’affaires tellement supérieur à celui d’AMD, son pouvoir de représailles tellement fort vis-à-vis des clients
‘ infidèles ‘ et sa puissance de frappe publicitaire tellement omniprésente, rien ne pouvait être appelé à changer du jour au lendemain. Seulement voilà : ‘ Intel
Inside ‘
, aujourd’hui, cela veut dire auprès de très nombreux clients ‘ mauvais rapport qualité-prix dans ma machine ‘.Pour Dell par exemple, qui ne vend que des PC Intel, c’est une vraie catastrophe : Intel lui payerait historiquement quasiment toute sa publicité et mène pratiquement toutes ses recherches sur ses nouveaux PC. Que faire ? Car
le coût de sa fidélité devient énorme compte tenu de sa chute de performances. Cette société se pose à coup sûr des questions de fond actuellement !

Une réorganisation indispensable

Jusqu’à présent, si AMD doublait ses ventes, cela n’avait des effets qu’à la marge sur le chiffre d’affaires d’Intel, qui ne bougeait donc pas sa stratégie ; aujourd’hui, l’écart technologique est devenu trop important pour que la
politique de l’indifférence fonctionne. Cette situation est-elle donc appelée à perdurer ? Tout va dépendre de la capacité du p-dg d’Intel, Paul Otellini, à faire bouger le mammouth.C’est en cas de crise qu’un dirigeant montre le plus ses compétences. Le défi est à la fois facile et difficile à relever. Facile, théoriquement, car la force de frappe des équipes de recherche d’Intel et les capacités de production de
ses usines restent uniques au monde. Difficile en réalité, car, pour faire bouger un mammouth, il faut mettre en place une organisation implacable avec une main de fer. Nulle part au monde il n’est facile de faire changer des habitudes.* Rédacteur en chef d’ Electronique InternationalProchaine chronique jeudi 25 mai

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Jean-Pierre Della Mussia*