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Infernales copies

Professionnels ou de loisirs, les logiciels subissent depuis toujours le piratage. Avec internet, le phénomène a pris une nouvelle dimension. Et comme dans un grand magasin, on peut trouver de tout, au prix unique de zéro euro.

Près de 15 milliards d’euros pour les logiciels informatiques et plus de 2 milliards pour les jeux vidéo : la facture est salée ! Le manque à gagner lié au piratage dans le monde est d’autant plus important que les logiciels sont l’une des technologies les plus stratégiques de l’ère de l’information. En raison de leur valeur même, et parce que les ordinateurs permettent de réaliser facilement une copie exacte en quelques secondes, la fraude logicielle est largement répandue. “Je n’ai payé aucun des logiciels installés sur mon ordinateur”, reconnaît Jean-Paul, 25 ans, étudiant en DESS média et communication économique.Depuis les ordinateurs des particuliers en passant par les professionnels qui font le commerce en gros de logiciels piratés, la fraude est omniprésente, à la maison, à l’école, dans les entreprises et au sein des administrations. La contrefaçon de logiciel revêt alors plusieurs facettes : l’installation d’un logiciel original sur plusieurs ordinateurs, la duplication de logiciels originaux à l’aide de graveurs ou le piratage sur internet sont parmi les pratiques les plus courantes.a piraterie traditionnelle représente encore le gros du trafic, et les jeux vidéo ?” victimes de leur succès ?” sont une cible privilégiée. Tout a commencé avec des machines vieilles comme le monde (Commodore, Atari, Amstrad et Amiga). Mais comme les supports des jeux ont évolué, les moyens de piratages ont dû s’adapter. À l’époque, les jeux se présentaient sous la forme de cartouches, très difficilement copiables. Le CD-Rom a constitué une aubaine pour les pirates. Selon le cabinet GFK, sur 250 millions de supports vierges vendus par an, 75 millions (environ 30 %) servent à copier des jeux vidéo et autres contenus interactifs. Il existe maintenant de véritables organisations qui dupliquent, copient, et distribuent les jeux piratés à travers le monde.Ainsi, à la suite d’une plainte du Sell (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs), la Brigade de recherches de Chantilly et la BCRCIA (unité de la police nationale spécialisée dans les affaires de piraterie) ont démantelé, le 16 janvier dernier, un réseau de pirates français et saisi chez eux plus de 3 000 contrefaçons de jeux vidéo, qu’ils vendaient sur internet 5,34 euros le CD-Rom ! Il en va de même pour les logiciels professionnels, qui ont subi le fléau de la copie dès leur naissance. Le phénomène atteint aujourd’hui des propensions considérables à l’échelle de réseaux pirates internationaux.Le 16 novembre 2001, on a ainsi assisté à l’arrestation en Californie de trois personnes qui avaient amassé un butin d’une valeur de 100 millions de dollars (113,46 millions d’euros) comprenant 600 000 copies de logiciels Symantec ainsi que 35 000 copies de produits Microsoft. L’internet favorise évidemment le piratage à grande échelle. Le fonctionnement est alors celui des magasins online… avec présentation des produits contrefaits.

Une lutte inégale

La fraude logicielle a cependant pris une nouvelle dimension avec la multiplication des sites warez. Ce terme barbare n’est rien de plus que le nom de code qui désigne les logiciels illégaux mis à la disposition du public sur la toile. L’origine du terme est sujette à caution. L’explication la plus fréquente est que, lu à l’envers et phonétiquement, warez signifierait Zéro (Warez -Zeraw -Zero) en référence au prix (non) déboursé pour l’obtention de la copie du logiciel. Il y aurait près d’un million de pages warez dans le monde aujourd’hui.En octobre dernier, la BSA (Business Software Alliance), qui regroupe la plupart des éditeurs de logiciels professionnels, a fait fermer l’un des plus célèbres sites : Warez.at, qui s’étendait sur neuf pays différents. En tout, près de 6 000 mises en demeure ont été adressées l’année dernière à des sites diffusant des copies illégales de logiciels, “mais rien ne nous assure que, lorsqu’ils ferment, ils ne renaissent pas une minute plus tard dans un autre lieu et sous une autre forme”, explique Éric Beaurepaire, porte-parole du BSA en France. Il suffit de taper “warez” dans le moteur de recherche Google pour comprendre que la lutte est de toute façon inégale.Un tel engouement n’est pas anodin. Les créateurs de sites warez peuvent très vite gagner des sommes considérables sans lever le petit doigt. La première étape consiste à récupérer des logiciels via d’autres sites ou en se mettant en contact avec certains réseaux spécialisés et internationaux qui distribuent ces programmes. Ensuite, il faut mettre en place des procédures de téléchargement. Généralement, deux moyens sont proposés. Des programmes peer to peer, qui permettent de transférer des fichiers d’un ordinateur à un autre. Le surfeur intéressé doit juste se procurer un logiciel ad hoc. La seconde solution est le téléchargement de logiciels via le Web.La plupart du temps, ces logiciels nécessitent des codes que livrent les hackers. Les pirates vont jusqu’à se faire la guerre entre eux pour être les premiers à trouver la faille dans un jeu, ou encore le crack (logiciel dont on a fait sauter la protection) qui leur donnera une notoriété dans le milieu. “Certains n’hésitent pas à diffuser de faux logiciels piratés par un groupe concurrent, avec un virus par exemple”, explique Cortes, 27 ans. Et les pirates n’oublient pas de rentabiliser leur activité. L’appel à de la publicité érotique ou pornographique, extrêmement bien rémunérée, est monnaie courante. “Quand on a un site warez, avec un trafic important, on trempe souvent dans le X en même temps”, précise Tintin, 15 ans.Toutefois, il y a pirate et pirate : il y a ceux qui tirent profit de leur connaissance, et transforme leur arnaque en industrie, et ceux qui trouvent juste les failles ” pour le fun “. À la base, le phénomène prend d’ailleurs toute son ampleur dans les lycées, les écoles et les facultés. Selon une enquête menée par l’ESIEA (École supérieure d’informatique électronique) auprès d’élèves d’écoles d’ingénieurs parisiennes, 65,7 % des étudiants avouent recopier au moins 10 logiciels par an sur leur ordinateur.Au-delà des étudiants qui veulent se faire de l’argent de poche, il existe désormais de véritables réseaux mafieux qui associent la revente de copies à des activités frauduleuses plus traditionnelles, comme la contrefaçon.Pour les logiciels informatiques, qui ne sont pas épargnés par les sites warez, le problème va au-delà de la simple diffusion sur le réseau. La piraterie prend alors une tout autre dimension, celle de l’entreprise. Un chiffre étonnant : près de 40 % des logiciels utilisés par les entreprises, aujourd’hui, le sont de manière illégale. Dans les PME, ce chiffre atteint les 60 %. Chez Microsoft, on prend le sujet très au sérieux. “Nous avons adressé 130 000 courriers aux PME en les incitant à réaliser un audit de leur parc logiciel avec un CD-Rom gratuit, explique Jean-Marc Kuhlmann, responsable antipiratage en France. Il y a un travail d’éducation et de sensibilisation à faire car les entreprises ignorent souvent qu’elles sont dans l’illégalité.”Pourtant, les résultats d’une étude paneuropéenne conduite par The Ashdown Group pour le compte de la Business Software Alliance montrent que les entreprises considèrent le piratage comme presque aussi grave que la fraude fiscale. D’autant plus que celles où l’utilisation de logiciels illicites est constatée sont passibles d’amendes pouvant atteindre 760 000 euros et leurs dirigeants encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement.Uu total, le taux de piratage atteint 40 % en France quand la moyenne européenne est de 34 %. ” Quels que soient les systèmes de sécurité mis en place, ils sont ” crackés “, c’est juste plus ou moins long, explique le porte-parole du BSA. C’est une lutte sans fin. “ D’autant que la prise de conscience des entreprises n’empêche pas les salariés de n’en faire qu’à leur tête.

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Célia Pénavaire