Passer au contenu

Indispensables intermédiaires

La recette du succès de l’e-assurance ? Des technologies réseau efficaces, certes, mais surtout une composante humaine impliquée et performante, de l’avis unanime des spécialistes du risque.

Alors que les soubresauts de l’assurance en ligne en version B to C retenaient l’attention des médias, les pragmatiques de l’an 2002, eux, se concentraient sur l’e-assurance en version B to B. Par réalisme. “Internet est en effet un formidable moyen de normaliser les flux d’échanges entre les différents acteurs intervenants en B to B, explique Cyrille Chartier-Kastler, vice-président de la société de conseil Solving International. Exemple typique, les relations entre une compagnie et son réseau d’agents généraux, ou les courtiers distribuant son offre.” L’idée serait que “ce nouvel outil de communication permette de renforcer la performance de ces réseaux, notamment sur le plan commercial, grâce à une plus grande réactivité et à des échanges plus rapides avec les compagnies. La gestion administrative sera elle aussi améliorée “.Moins glamour, sans doute, qu’un module de souscription en ligne, l’aspect “gestion” revêt une importance capitale pour les assureurs. “En effet, une étude de Forrester montre que 85 % de la valeur ajoutée apportée par le recours aux nouvelles technologies se situe après la souscription de la police, insiste Niek Ligteljin, de l’assureur Ineas. La numérisation des données permet de supprimer quantité de papiers et d’éliminer des inefficacités.” Comme des appels téléphoniques sonnant dans le vide quand le courtier cherche à joindre telle personne au sein d’une compagnie. Temps perdu équivaut à argent perdu. Plus direct encore, Olivier Jaillon, président de Protegys, pense qu’internet est surtout intéressant pour augmenter l’efficience d’une compagnie, et lui permettre de couper dans ses coûts d’intermédiation.Leader de l’assurance en France, où il gère plus de 91 milliards d’euros d’actifs, le groupe AXA ne reste évidemment pas imperméable aux avantages liés aux nouvelles technologies. “Chez AXA France, au contraire, explique Bertrand Robert, directeur e-business, nous avons fait le choix d’une stratégie multicanal, en sachant que notre priorité ne touche pas à la souscription en ligne : notre réseau d’agents le fait mieux que l’électronique. Internet s’inscrit parfaitement dans la logique de ré-engineering des processus entamée il y a déjà pas mal de temps.” Au goût du jour, on ne parle donc plus guère de ligne Transpac ou d’EDI (échange de données électroniques) mais d’extranet… C’est que le développement de ce type d’outil, facilement accessible pour les agents et les courtiers, permet à ces derniers d’obtenir d’un clic de souris des informations techniques sur les produits, de réaliser en ligne des opérations comme l’édition de devis, la rédaction d’avenants aux contrats de leurs propres clients, etc. “Tout cela a des impacts évidents en termes de coûts pour AXA, reconnaît Bertrand Robert. En outre, nous nous efforçons d’automatiser les transferts d’informations vers différents prestataires, typiquement des réparateurs ou des experts. Quand Carglass vérifie en temps réel sur notre extranet que tel client victime d’un sinistre a droit à telle prestation, il y a un gain de productivité appréciable. Cette dimension n’est pas visible pour le client final. Mais, à terme, l’information disponible en ligne pour ces prestataires pourrait le devenir pour l’assuré. L’expert est-il passé ? La voiture est-elle réparée ?” Quand ce type de projet deviendra réalité, on sera arrivé au partage de l’information dont rêvent les assureurs cette année.

Mobiliser les réseaux sur le réseau

La mise en ?”uvre de tels projets requiert évidemment une participation active des réseaux, c’est-à-dire des agents généraux (salariés) et des courtiers (indépendants). Pas évident au départ puisque, pour beaucoup, l’émergence du net pouvait apparaître comme une nouvelle concurrence mise en place par les compagnies elles-mêmes. “Le problème des grandes compagnies, estime un courtier en ligne, c’est leur sureffectif. Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de leur timidité à aller sur le net !” Quant à Pascal Vienot, président du directoire de Aaassur.com, il considère que “les grandes compagnies ne seront pas des acteurs importants de l’assurance en ligne dans les trois ans, en raison des réticences forcenées de leurs réseaux d’agents “. Des analyses balayées d’un sourire par Florence Veilex (lire l’interview page 30), des AGF, qui souligne, au contraire, combien “il est étonnant de constater avec quelle rapidité nos réseaux se sont adaptés. Alors qu’en 1998-1999, c’est vrai, nos réseaux craignaient la concurrence éventuelle que pourrait générer internet “. Actuellement, AGF.fr permet surtout de retrouver la liste de ses contrats. “C’est encore un peu statique, concède Florence Veilex, mais nous nous dirigeons peu à peu vers une interactivité de plus en plus forte avec le client dans une démarche de fidélisation.” La stratégie développée par Azur GMF implique davantage encore ses réseaux. “Internet n’est pas un concurrent pour nos agents, explique Claude Friedrich, en dépit du fait que nous proposons au consommateur final de souscrire des contrats en ligne. Pour une raison simple : l’internaute qui souscrit un contrat en ligne doit choisir un agent général à qui il incombera de gérer la relation client. Si l’internaute ne fait pas ce choix, le système désigne un agent par défaut.”

Des courtiers évangélisés

Restait la réaction difficilement prévisible des réseaux de courtiers. “Les grands courtiers commencent à sentir l’urgence de connaître ces technologies, de les maîtriser, estime Raphaël Ducasse, président d’ Assurandco.com. Je ne pense pas qu’il y aura une utilisation massive dans les deux ans, mais tout le monde va se positionner.” Quoi qu’il en soit, pour Fabrice Tuffigo, d’AIPS, “le taux d’équipement des courtiers en messagerie électronique a explosé au cours des six derniers mois. Mais il est vrai que nous consacrons beaucoup de temps à la pédagogie”. Responsable de l’offre multimédia chez April Assurances, Lionel Lageneste remarque aussi que la fréquentation de l’extranet mis à la disposition de ses 10 000 correspondants augmente constamment. Le nombre de visites augmente, le temps passé sur le site aussi. Avec en filigrane, cette préoccupation de “séduire” ces correspondants qu’April considère en réalité comme ses clients. “Nous sommes un concepteur et un gestionnaire d’assurances, se défend Lionel Lageneste, pas un assureur ou un distributeur. Nous avons besoin des courtiers.”À en croire le courtier Pierre Plasse, la situation sur le terrain des nouvelles technologies ne serait pas vraiment idyllique : “Les compagnies nous demandent de saisir les données relatives à un devis ou à un contrat dans leur propre système d’information, explique-t-il. Mais si le système du courtier est différent, ce qui n’est pas rare, alors il faut saisir deux fois les données.” Et puis, il faut former les collaborateurs aux plateformes extranet développées par les groupes. Au final, l’obligation faite aux courtiers de passer par ces sites leur permet de bénéficier d’une information complète, à jour, et de limiter les erreurs. “On n’y échappera pas, les échanges de données normalisées entre courtiers et compagnies continueront forcément à se développer”, conclut Pierre Plasse.Pour les grands courtiers, la situation se présente différemment. Les systèmes d’information se trouvent au c?”ur des réflexions stratégiques d’une société comme Marsh, un des géants du courtage d’assurance dans le monde : “Notre univers professionnel se confond avec le B to B, explique Jean-Christophe Datain. Apparaître aux yeux du grand public, ce n’est pas notre créneau.” Ce qui n’empêche pas de vouloir toucher le consommateur. L’an dernier, Marsh a commencé à développer la vente d’assurance pour téléphones portables, grâce à un accord avec un distributeur spécialisé dans la vente de mobiles. En 2001, 40 000 contrats de ce type ont été conclus en France. Produit de niche, certes, mais à grand succès. “Nous allons étendre cet accord de distribution à d’autres chaînes, poursuit Jean-Christophe Datain. Le vrai volume de vente, c’est pour cette année.”

La prime aux géants

À la lumière de ce succès, fût-il conquis en B to B to C, on comprend mieux l’avertissement de Pascal Vienot, d’Aaassur, pour qui “il ne faut pas négliger les grands courtiers. Avec une activité “corporate” à 90 %, ils disposent d’une connaissance fine des travailleurs des entreprises assurées. Il y a là un gisement de connaissances encore inexploité “. En partie. De plus en plus de sociétés prennent contact avec le GAN pour mettre en place un site auquel pourraient accéder leurs salariés. “Les DRH sont très demandeurs, explique Henri de Bossoreille, responsable marché PME-professionnels au sein de GAN Eurocourtage Vie, parce que la mise en place d’un lien depuis le site de leur entreprise vers le GAN leur permet de se libérer de toutes les demandes récurrentes de leurs salariés à propos des programmes d’assurance contractés chez nous, en prévoyance collective ou en santé. De même, tous les documents nécessaires pour modifier une clause bénéficiaire, une adresse ou encore un statut, sont également accessibles directement par le salarié.” Actuellement, une dizaine d’entreprises, de grosses PME, disposent de ce service. “La production de sites n’est pas encore industrialisée, note Henri de Bossoreille. C’est encore du sur mesure.” Point important : ce service ne double pas les courtiers de GAN Eurocourtage Vie. Au contraire, selon Henri de Bossoreille : “Une centaine de nos courtiers réputés très actifs ?” sur un total de 800 ?” sont pleinement impliqués dans cette stratégie. Ils disposent par ailleurs d’un accès à toutes les ressources de notre extranet, dont un corpus reprenant l’ensemble des conventions collectives conclues en France.”Au-delà de l’expérience de GAN Eurocourtage, il semble que l’équation assureur-entreprise-internet soit appelée à se développer rapidement dans l’Hexagone. “Aujourd’hui, confirme Florence Veilex, d’ AGF.fr, lorsque de grandes entreprises négocient des contrats d’assurance collective, elles peuvent exiger que nous soyons présents sur leur intranet. Pour nous, c’est un axe de développement fort. Quelques projets grands comptes sont en négociation, au stade de l’étude et de la faisabilité technique.” Mais pas au stade de la communication… À suivre !

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Michel Gassée