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Images de beauté inuit

C’est une histoire banale, donc universelle, celle de deux hommes qui s’affrontent pour le c?”ur d’une femme. C’est une histoire banale, mais le décor ne l’est…

C’est une histoire banale, donc universelle, celle de deux hommes qui s’affrontent pour le c?”ur d’une femme. C’est une histoire banale, mais le décor ne l’est pas. Ni le mode de vie des personnages, ni les acteurs, ni même la genèse du tournage. Atanarjuat, la légende de l’homme rapide, de Zacharias Kunuk, est le premier long métrage inuit jamais réalisé (à découvrir sur le web : http://atanarjuat.com). Écrit, joué, produit par des Inuits (le film est l’?”uvre de la maison de production 100 % inuit Igloolik Isuma, www.isuma.ca), il fut entièrement filmé dans le Grand Nord. Le scénario est l’adaptation d’un vieux conte inuit, transmis de génération en génération, tant le message (“Il faut faire passer les besoins du groupe avant ses désirs personnels”) servait, à lui seul, de philosophie de vie à ce peuple de l’extrême.Le film conte la vie de deux familles, celles de Oki et Atanarjuat, maudites depuis qu’un chaman leurs a jeté un mauvais sort. Atanarjuat gagne la promise d’Oki, la belle et douce Atuat, à l’issue d’un concours de force. La s?”ur d’Oki, Puja, épouse Atanarjuat en secondes noces, et sera le cheval de Troie de la vengeance du frère floué. Dérouté par l’univers si “exotique” du film, le spectateur met plusieurs minutes à s’accoutumer à l’immensité blanche de la banquise, à se familiariser avec ces nomades au visage buriné, emmitouflés dans des combinaisons rudimentaires qu’on dirait intergalactiques, à trouver ses repères dans ce cinéma de l’inconnu. Et puis soudain, malgré lui, il se laisse embarquer dans un voyage pour le grand froid, happé par le destin singulier et romanesque des deux tribus. Des images incessantes de chasses au phoque ou au caribou, un rythme résolument lent, une musique incantatoire, une photo brute, Atanarjuat ne fait aucune concession aux codes hollywoodiens, et fascine d’autant plus. Beauté des horizons vierges (beaucoup moins désolants en été, quand la banquise dégèle et que la toundra se pare d’improbables fleurs violettes), exaltation des émotions universelles (l’amour, le courage, l’abnégation, la haine…), justesse du jeu des comédiens, cet étonnant témoignage des grandeurs et misères de la vie en communauté a déjà séduit moults festivals (Caméra d’or à Cannes, primé au Festival international du film de Toronto, nominé aux Oscars …).Derrière l’intensité dramatique (particulièrement forte lors de la scène de course d’Atanarjuat, pieds nus sur la banquise), se dévoile, en creux, un passionnant documentaire sur la vie des Inuits avant “l’acculturation” occidentale : on apprend comment se construit un igloo, le tannage des peaux de bêtes, le feu via lichen et huile de phoque, la lutte version inuit (qui consiste à frapper le plus violemment possible la tempe de son adversaire), et même quelques chansons grivoises ! Un patrimoine culturel désormais consigné sur la pellicule, et qu’on retrouve aussi sous forme d’écrits, consultables sur le portail web de la communauté inuit ( www.nunavut.com/traditionalknowledge) : quatre volumes sur le droit traditionnel, la santé, l’éducation des enfants, les rêves ou encore le chamanisme, à lire en anglais… ou en inuit !“Atanarjuat, la légende de l’homme rapide “, sur les écrans depuis le 13 février.

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Sophie Janvier-Godat