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Franck Frommer : « PowerPoint n’est pas un outil innocent »

En conférence, en réunion, entre services, PowerPoint est devenu inévitable. Dans un livre sur le sujet, Franck Frommer explique comment ce logiciel entraîne un nivellement par le bas de la réflexion. Entretien.

En 1987 naît le logiciel PowerPoint… et le monde change – celui de la communication et de l’exposé oral en tout cas. A la demande de l’éditeur La Découverte, Franck Frommer a consacré un ouvrage au logiciel*. Il ne s’est pas intéressé à l’aspect informatique ni au mode d’emploi, mais aux conséquences d’un usage à outrance des slides, des animations et des listes à puces.

PowerPoint réduit la pensée, assèche la réflexion et l’échange, simplifie à outrance les idées, maquille les informations et transforme la moindre réunion en spectacle, explique l’auteur.

01net. : Quel est votre pire souvenir de présentation PowerPoint ?
Franck Frommer :
Je n’ai pas en tête une présentation en particulier, mais je me souviens de nombreuses séances soporifiques, de slides remplis de texte qu’une personne vous récite pendant une demi-heure. Les trois quarts de ce qui est écrit sur les diapositives PowerPoint sont inutiles. Au bout d’un moment, vous prenez ça comme un divertissement ; vous repérez les fautes, vous vous faites des remarques sur la forme.

Pourquoi le logiciel s’est-il répandu à ce point dans tous les secteurs : armée, santé, communication, formation, université, etc. ?
Ce n’est pas véritablement dû à une stratégie de Microsoft pour imposer son produit, comme on pourrait l’imaginer, mais plutôt à des raisons de facilité et de pénétration des ordinateurs et des outils bureautiques dans le monde du travail.

Vous expliquez aussi que PowerPoint s’est imposé avec la multiplication des réunions en entreprise et qu’il les aurait transformées en un genre de spectacle. Mais n’est-ce pas nécessaire de faire un peu de « show » pour capter l’attention en réunion ?
C’est utile si c’est un moyen de partager, s’il s’agit d’un exercice de « cocréation ». Le problème, c’est que ça se passe rarement comme cela. Vous vous retrouvez à dix autour d’une table, il y a peu de discussion, et, à la fin, chacun se fait envoyer la présentation PowerPoint par e-mail. C’est devenu le document de base. Mais les entreprises commencent à en revenir, et les managers veulent récupérer des documents plus étoffés, des rapports, des synthèses.

Un outil de vente

Vous reprochez au logiciel d’appauvrir la pensée, de figer la réflexion. Est-ce inhérent à PowerPoint ou est-ce une dérive de son utilisation ?
Dans sa nature même, PowerPoint a un côté story-board, découpé en séquences. C’est un logiciel très linéaire où tout paraît très simple, très schématique. Les cadres limitent l’expression, d’autant que le contenu doit être lisible du fond de la salle. On met des verbes à l’infinitif, comme des injonctions, et on fait des listes, écrites de plus en plus petit pour hiérarchiser les idées, et l’information est diluée.
Ce que je veux dire, c’est que la forme sous laquelle on exprime des idées altère nécessairement ces idées. PowerPoint n’est pas un outil innocent. C’est un outil de vente. Il sert à convaincre. Pour des vendeurs, d’ailleurs, c’est un outil parfait, il est fait pour eux, et je dis ça sans aucun reproche.

Envahir l’Irak à coups de slides

Vous décrivez la présentation faite par Colin Powell aux Nations unies en février 2003 pour convaincre le monde que l’Irak cachait des armes de destruction massive et qu’il fallait l’envahir. A-t-il utilisé le logiciel en connaissance de cause ?
Colin Powell s’est appuyé sur toute la technologie offerte par PowerPoint. Il a entraîné son auditoire dans le désert irakien avec des vues satellite, des photos, il a fait écouter des communications radio… C’était un véritable show hollywoodien, mais ce n’était pas forcément volontaire.

Finalement, c’est Steve Jobs qui semble se servir du logiciel comme d’un pur artifice de spectacle.
Steve Jobs n’utilise pas PowerPoint mais Keynote, le logiciel maison d’Apple. Il s’en sert d’une façon totalement unique. Il crée un univers, presque un nouveau langage. Dès 1984, pour la présentation du Macintosh, il met en place son dispositif. Il arrive à jouer de tous les médias, de manière très élégante, avec des slides très abstraits ne comportant qu’un chiffre, par exemple.
Pour la présentation de l’iPhone, en 2007, une animation mettait en scène les fonctions du smartphone à l’écran, tandis que dans une fenêtre une vidéo montrait en direct les manipulations effectuées par Steve Jobs sur un véritable appareil, comme si c’était lui qui intervenait dans l’animation. Là, on est carrément dans l’illusionnisme. C’est Steve Jobs le Magicien !

PowerPoint peut donc être utilisé avec talent ?
Prenez l’exemple d’Al Gore et du documentaire Une vérité qui dérange. Tout le film est construit sur la base de la présentation PowerPoint que Gore réalise pour ses conférences sur le réchauffement climatique. Cela fonctionne très bien. C’est la preuve que le logiciel peut être utilisé d’une manière esthétique. La vraie question est de savoir si l’on peut traiter de problèmes aussi graves que le réchauffement climatique ou l’engagement d’un pays dans une guerre de la même manière que l’on vante des produits informatiques, avec des slides PowerPoint.

Et vous, comment faites-vous vos PowerPoint ?
J’en fais très peu. Et je suis un grand adepte du copier-coller. J’ai toujours estimé que je n’avais pas de temps à perdre à chercher des images et à peaufiner des flèches sur des slides. Mon rôle, c’est de produire du contenu. La plupart du temps, en réunion, le seul slide dont j’aie besoin, c’est le sommaire.

* La Pensée PowerPoint, enquête sur ce logiciel qui rend stupide, Franck Frommer, La Découverte, 2010, 260 pages, 17 euros.

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Arnaud Devillard