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Edwy Plenel : ‘ Mediapart.fr va sortir de la spirale du “toujours plus” d’information ‘

L’ex-directeur de la rédaction du Monde se lance dans une nouvelle aventure avec Mediapart, un site d’information payant.

L’ex-directeur de la rédaction du Monde se lance dans une nouvelle aventure de presse. En ligne cette fois. Mediapart est un site d’information accessible uniquement sur abonnement (9 euros par mois).
Objectif : rassembler en trois ans 75 000 adhérents payants. Ces lecteurs privilégiés pourront accéder à une plate-forme de blogs et contribuer ainsi au projet éditorial de Mediapart.01net. : Votre nouveau site d’information, Mediapart, sera lancé officiellement dimanche 16 mars, depuis le Salon du livre à Paris. Avez-vous prévu de sortir quelques scoops pour
l’occasion ?



Edwy Plenel : On a prévu les fondamentaux de notre métier c’est-à-dire du journalisme d’enquête. Je n’aime pas trop le mot ‘ scoop ‘. Disons exclusivité, disons découverte, disons originalité.
Voilà cela suffit et je pense que l’on lira dans Mediapart des choses que l’on ne lit pas ailleurs.Mediapart est construit sur un modèle payant. Comment pensez-vous réussir là où tous les autres sites d’information ont échoué, à l’exception notable du Wall Street Journal ?


Nous pensons qu’il y a une crise démocratique de la presse quotidienne en France. Il y a un manque. Il y a un besoin. Donc, si nous menons cette bataille sur le Net nous pensons que nous pouvons conquérir un public fidèle d’abonnés. Des
abonnés qui seront lecteurs, mais aussi adhérents d’un club. Ce qui leur permettra de devenir des contributeurs au sein d’une plate-forme de blogs. Ils pourront tenir leur blog dans une communauté de références, mais aussi des éditions, c’est-à-dire
un travail collectif à plusieurs auteurs.


En fait, nous avons additionné tous les éléments de ‘ contributif ‘ actuellement disponibles en ligne. C’est l’idée d’un participatif de qualité. Il s’agit pour le lecteur de s’emparer de Mediapart comme un lieu
de référence, pour porter lui-même les sujets qui lui importe.L’idée du journalisme collaboratif n’est pas nouvelle. On le retrouvait déjà dans le postulat d’un site comme rue89.com. Mais il est souvent difficile à tenir.


Vous allez découvrir sur Mediapart des éditions collectives d’historiens sur les usages politiques du passé, une édition collective de médecins sur le débat sur la santé, une édition collective de citoyens que l’on appellera
‘ Ils, de France ‘ pour sortir d’un regard convenu de ce que certains nomment à tort ‘ la banlieue ‘. Vous allez avoir des éditions internationales, des blogs de correspondants étrangers qui vont
s’emparer en tant qu’adhérent de ces instruments. Vous allez aussi avoir des contributeurs sur les programmes scolaires.


Nous, ce que nous avons à c?”ur, c’est la nécessité d’une information pour comprendre notre société. Mais nous pensons que le débat autour de cette communauté, il ne nous appartient pas. Nous construisons une communauté et nous disons
à cette communauté : ‘ Animez le débat par votre savoir ! ‘ Si je devais prendre une image, je dirais que Mediapart est comme une université populaire.Quelles sont aujourd’hui, selon vous, les forces et les faiblesses de la presse en ligne et des sites d’information ?


Tout d’abord, il y a sur la Toile un débat qu’il faut mener sur la révolution numérique qui est en cours. Une révolution qui comme dans toute révolution a ses excès, ses potentialités, ses dérives. Et ce débat c’est celui de la qualité.
C’est le débat du participatif de qualité, du dialogue de qualité, du contributif de qualité. Avant les journalistes parlaient de qualité entre eux. Désormais, ils doivent être bousculés par les lecteurs qui sont aussi des acteurs.


La seconde question pour moi, c’est la logique de flux. Il faut en sortir. Car la logique de flux uniformise les contenus d’information et tout en vient à se ressembler. Cela débouche sur une hiérarchie de l’information qui est la
hiérarchie des agences de presse. On est dans une logique d’audience qui fait qu’au même moment on a à peu près le même contenu sur Yahoo! ou sur le Monde.fr.Vous pensez que c’est désormais le modèle dominant des médias ?


C’est cette hiérarchie qui l’emporte aujourd’hui. Je dis simplement qu’il faut sortir de la forêt vierge. Il y a cet aspect d’abondance. C’est une sorte d’immensité végétale. Trop d’information tue l’information. Il faut revenir à des
logiques humaines, des logiques de tri, de hiérarchie qui ne soient pas seulement des logiques mécaniques, d’algorithmes ou de moteurs de recherche.


Donc si j’aligne tout cela, faire de la qualité, sortir de la logique du flux et revenir à la hiérarchie, voire de ‘ jardin à la française ‘ dans la forêt vierge. Tout cela va, pour moi, à l’encontre de la
logique d’audience et de gratuité.Quelles sont selon vous les dérives du modèle gratuit de l’information sur Internet?


Les logiques d’audience ont des conséquences. Je vais prendre un exemple. Je trouve que rue89.com fait un travail de très grande qualité. C’est un site qui est dans la même culture professionnelle que nous. Mais rue89.com est dans un
modèle économique différent.


Du coup que font-ils ? Ils ont fait, par exemple, récemment un chat avec Rachida Dati. Elle est ministre, elle est partout, elle peut-être aussi bien au journal de TF1 qu’ailleurs… Où est la distinction
où est la différence. On est dans les logiques de flux et de ressemblance. Alors évidemment c’est un chat qui va ramener de l’audience, mais dans ce cas-là le média ne se différencie pas. Il est dans une logique de banalisation.On ne pourrait donc pas faire de journalisme dit ‘ de qualité ‘ sur des sites gratuits ?


Non, je n’ai pas dit ça. Je pense qu’il y a des journalistes de qualité, y compris dans la gratuité. Par exemple, dans notre équipe, nous avons deux journalistes qui viennent de 20 Minutes. Ma conviction, c’est
que la logique du tout gratuit a une incidence sur les contenus. Le ‘ toujours plus ‘ d’information, ce n’est rien d’autre que l’uniformisation de l’information. Puisqu’il s’agit de rassembler le plus grand nombre.


Moi je pense, et je ne fais la leçon à personne, que l’information de qualité, originale, exclusive, eh bien cette information a un coût. Et c’est une information qui suppose la construction d’un public. Pas la foule, pas la masse. Un
public qui dit : ‘ Je suis fidèle à cette information. Je veux cette information. ‘ Et sur le Web on peut créer une conversation avec ce public. Et le public peut devenir contributeur.A la veille du lancement de Mediapart, où en êtes-vous en terme de nombre d’abonnés ?


Nous approchons les 3 500 abonnés, ce qui n’est pas mal. Nous avons un objectif à la fin du mois de mars de 5 000 abonnés, que nous devrions également atteindre. Et si nous atteignons 10 000 d’ici à l’été, mine de
rien ce serait déjà plus de 10 % des abonnés du Monde.fr… Ce n’est donc pas un pari si fou que cela.

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Propos recueillis par Philippe Crouzillacq