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Droit à l’oubli: le comité Google passe à Paris dans un climat de polémique

Snobés par la CNIL et la Quadrature du Net, les experts mandatés par le géant du web ont fait halte au Forum des Images pour trouver des réponses aux problèmes posés par le droit à l’oubli. Pour l’instant, le consensus paraît encore loin.

Quatre heures de discussions, huit experts interrogés devant 150 à 200 participants, mais encore bien peu de clarté. Aujourd’hui, 25 septembre, le « Comité consultatif de Google sur le droit à l’oubli » a fait halte à Paris, au Forum des Images, pour débroussailler le terrain miné sur lequel le géant du Net a été propulsé à la suite d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui l’oblige désormais à supprimer les liens qui fâchent.

Au dernier pointage, Google a déjà récolté 135.000 demandes de la part des citoyens européens portant sur le déréférencement de 470.000 URL. La France fait d’ailleurs figure de leader, avec plus de 17.000 requêtes. La firme dit avoir accepté « environ 50% des demandes », demandé plus d’informations dans environ 20% des cas et refusé environ 30% des demandes. Le problème, soupire-t-on chez Google, « c’est que nous ne savons pas vraiment selon quels critères traiter toutes ces demandes » qui sollicitent actuellement l’énergie de 150 collaborateurs. C’est le but de ce comité que de trouver des réponses à ce problème épineux où s’affronte d’un côté le droit à la vie privée, et de l’autre la liberté d’expression.

La session parisienne – la troisième du genre après deux première étapes à Madrid et Rome – s’est beaucoup focalisée sur la frontière entre vie publique et vie privée. Un point qui semble faire consensus: les demandes de suppression d’un personnage public sont moins légitimes que pour Monsieur Toutlemonde. Mais à partir de quand est-on un personnage public? Et toutes les informations concernant un personnage public méritent-elles d’être connues et exposées? Et que faire quand il s’agit d’un contenu que la personne a publiée elle-même ? « Une information déposée par quelqu’un ou avec son accord ne devrait jamais pouvoir être retirée, c’est seulement quand elle est déposée sur quelqu’un que cela doit être possible », a estimé le psychiatre Serge Tisseron qui craint que l’on passe « du droit à l’oubli au droit au déni ».« Il ne faudrait pas que le droit à l’oubli permette à quelqu’un de se fabriquer une image tout en gommant des évènements qui ont eu lui, surtout dans le cadre d’un mandat public ou associatif », ajoute-t-il.

Pour sa part, Benoît Louvet, avocat de la Licra, estime que « les résultats d’une recherche » sur une personne qui « comporterait des propos racistes ou antisémites relève clairement du droit à l’oubli ». Mais il demande la vigilance sur « les demandes liées aux crimes contre l’humanité car l’enjeu pour la mémoire est extrême ».

Opération de communication

Bref, les questions sont nombreuses et le chaos reste entier. « Au final de notre consultation, nous serions déjà contents de pouvoir lister les problèmes concrets que pose le droit à l’oubli », explique Luciano Floridi, professeur de philosophie et d’éthique de l’information à l’université d’Oxford. Une manière de dire, peut-être, qu’au fond ce problème est insoluble dans un monde où les usages évoluent de plus en plus vite, et où les frontières entre vie privée et vie publique s’estompent. Ce qui irait évidemment dans le sens de Google…

Histoire de compliquer encore un peu le tableau, ce Comité consultatif se trouve également contesté dans sa raison d’être même. Invitée par Google, la CNIL a pris ses distances pour ne pas être associée à une « opération de communication ». Elle préfère trouver ses propres réponses au problème dans un débat avec les autres autorités européennes de protection des données personnelles. Ce que les experts du Comité consultatif trouvent d’ailleurs « totalement normal ».

De son côté, La Quadrature du Net a également refusé de participer à cet évènement, contestant le rôle de « juge de paix » de Google. « Il n’est pas question de légitimer la posture de Google, qui tente de privatiser l’édiction de règles en la matière au travers d’une série de consultations », a souligné l’association de défense des droits et libertés des citoyens sur internet. Mais la CNIL n’est pas non plus épargnée. « Le fait que des autorités administratives puissent se substituer au législateur et au juge relève également d’un excès de pouvoir. C’est au législateur qu’il revient désormais de procéder à une clarification du droit existant permettant de protéger pleinement la liberté d’expression sur Internet », souligne l’association dans un communiqué où elle formule d’ailleurs ses propres recommandations sur l’application du droit à l’oubli. Le consensus sur la question est donc encore très loin.

Lire aussi:

Droit à l’oubli : Google se plaint du casse-tête que lui a imposé l’Europe, le 05/08/2014

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Gilbert Kallenborn, avec AFP