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Débat parlementaire pour le droit d’auteur numérique

Le projet de loi Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information est discuté en urgence, à l’Assemblée et au Sénat, les 20 et 21 décembre.

Copie privée, droit de reproduction, systèmes anti-copie, peer-to-peer…
Au terme des deux séances de débat parlementaire qui s’annoncent sur le projet de loi Droit d’auteur et droits voisins dans la société
de l’information (DADVSI), mardi et mercredi, le droit d’auteur et les libertés accordés jusque-là aux usagers sur les contenus sont susceptibles de connaître de sérieux changements. Et pas seulement dans le domaine musical, même si celui-ci a
focalisé l’attention et les débats.Lors d’une conférence de presse sur le sujet, lundi matin, le ministre de la Culture et de la communication Renaud Donnedieu de Vabres, a insisté pour qu’on ne voit pas dans ce texte un outil de répression, tout en rappelant que
‘ la gratuité totale de la culture sur Internet est un leurre. ‘ Selon lui, c’est ni plus ni moins que ‘ le modèle économique de la création qui est en
jeu ‘
avec ce projet de loi. Ce qui n’a pas empêché les parlementaires de devoir discuter en urgence du sujet…Un débat en urgence, cela signifie une seule lecture à l’Assemblée nationale et une seule au Sénat. On ne peut pourtant pas dire que la France aura été prise de court. Le texte transpose une directive européenne de mai 2001, des
traités de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle datant de décembre 1996 et il actualise la loi de 2002 sur le dépôt légal. Il devait être intégré en droit français au plus tard en décembre 2002… Mais les pouvoirs
publics ont multiplié les reports, si bien que le texte s’est arrêté au stade de la commission des lois, où il a été adopté en juin dernier avec les amendements qui seront discutés en séance.

De nouvelles exceptions au droit d’auteur

Le texte européen d’origine proposait aux Etats-membres une liste de vingt-deux situations donnant un droit de reproduction. Le projet de loi français en retient deux. La reproduction provisoire, d’abord, autorisée dans le cadre d’un
‘ procédé technique ‘ avec ‘ pour unique objet de permettre l’utilisation licite de l’?”uvre ou sa transmission entre tiers par la voie d’un réseau faisant appel à un
intermédiaire ‘
. On pense (mais le texte ne précise pas) à des copies techniques, des copies provisoires présentes dans le cache Internet, nécessaires à la mise en ?”uvre d’un service de distribution d’?”uvres numériques,
comme les plates-formes légales de musique (FnacMusic, iTunes Music Store, eCompil…). En tout cas, ces copies ne doivent pas faire l’objet d’une transaction commerciale.L’autre exception concerne les personnes handicapées. Celles-ci peuvent bénéficier de la consultation d’une ?”uvre sur un support spécial, selon la déficience dont elles sont atteintes : livres audio pour les malvoyants,
transcriptions en braille, etc. Seules des personnes morales comme des associations, des bibliothèques, peuvent mettre en ?”uvre ce type de reproduction, et à des fins non commerciales.

Copie privée garantie et peer-to-peer régulé

‘ Aucune disposition dans ce texte ne remet en cause le cercle de famille et le droit de faire des copies privées ‘, a insisté le ministre. En pratique, la situation peut s’avérer moins
claire dès lors que des contenus seront protégés contre, justement, la copie (lire ci-après). Quant au peer-to-peer, le concept n’est pas évoqué dans la loi. Mais le gouvernement a prévu plusieurs moyens d’en réguler
l’utilisation. Un premier amendement, inspiré des
travaux du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, prévoit de responsabiliser les éditeurs de logiciels de peer-to-peer. Ceux-ci s’exposent à
des sanctions s’ils incitent à une utilisation illicite des plates-formes ou s’ils ont connaissance d’échanges illicites mais ne font rien pour les empêcher.Deuxième amendement : la ‘ réponse graduée ‘, concept de lutte contre la contrefaçon voulu notamment par l’industrie du disque. Cela se passe en deux temps. D’abord on repère les internautes qui échangent
illégalement des fichiers pour leur envoyer un avertissement par e-mail ou par courrier. Ensuite, si ces internautes n’en tiennent pas compte, une procédure peut être engagée pour les sanctionner (300 euros au maximum, 1 500 en cas de
récidive). ‘ Un dispositif particulièrement novateur ‘, estime Renaud Donnedieu de Vabres. Sauf qu’il pose pas mal de questions sur la collecte et la conservation de données personnelles et nécessite un
étroit contrôle de la
Cnil.

Légitimation des techniques de protection des contenus

Sujet le plus emblématique et le plus polémique, les
mesures techniques de protection et de contrôle du nombre de copies de contenus numériques (les fameux systèmes DRM) sont reconnues par la loi. Reconnues et protégées : tenter de
‘ craquer ‘ les verrous placés sur des CD, des DVD ou des fichiers relève du délit de contrefaçon. Comme d’en faire la publicité ou de donner les moyens de faire sauter ces verrous. Mais, tempère le ministre, la sanction ne
s’appliquera pas dans les cas de ‘ bonne foi ‘ du consommateur. Notion à définir et, surtout, à prouver.Le sujet a fait couler beaucoup d’encre et agité beaucoup de débats concernant la musique, puisqu’il entre en conflit avec la notion de copie privée. Mais ces dernières semaines, prises de position et pétitions contre la loi se
multiplient, à cause de ces mesures, dans le milieu des bibliothécaires, des archivistes, des documentalistes. Ceux-ci s’inquiètent en effet d’une entrave à l’accès et à la consultation de documents numériques. Seule tentative de clarification par
le texte : des auteurs n’auront pas le droit d’empêcher la reproduction de l’?”uvre dans le cadre du dépôt légal opéré par l’INA
et la Bibliothèque nationale de France
.

Interopérabilité et logiciel libre

Le projet de loi évoque l’interopérabilité des systèmes, des logiciels et des DRM, afin que le consommateur puisse lire ses fichiers avec n’importe quel lecteur multimédia ou baladeur numérique. Mais sans parler de sanction contre les
éditeurs et constructeurs qui ne la mettrait pas en ?”uvre… Autre problème, quid des logiciels de lecture en open source ? Des logiciels ouverts, dont on peut s’échanger le code source mais qui, du coup, ne peuvent pas
lire des fichiers protégés, à moins d’en faire sauter les protections… pratique interdite par la loi. Les logiciels libres se trouvent donc potentiellement exclus des outils utilisables pour lire une ?”uvre numérique.Lundi matin, l’association EUCD.info est venue présenter, à l’entrée du ministère de la Culture, une pétition réunissant plus de 110 000 signatures pour le retrait du projet de loi de l’ordre du jour du Parlement.

Le règlement des conflits sur l’exception pour copie privée

En faisant cohabiter dans le droit français l’exception pour copie privée (instaurée en 1985) et les DRM, le projet de loi crée de facto une impasse juridique. En cas de conflit entre un utilisateur qui ne peut pas
copier un CD protégé et l’ayant droit qui a placé les mesures techniques de protection sur ce même CD, qui a raison ? Du coup, le texte invente une nouvelle entité : un collège de médiateurs qui se consacrera, justement, à trancher ce
genre de conflit. Ses décisions sont déposées au greffe du tribunal d’instance. Possibilité d’appel devant la Cour d’appel de Paris.

Les créations des fonctionnaires cédées à l’Etat

Une disposition rarement évoquée : les droits des agents de l’Etat sur leurs ?”uvres de l’esprit créées dans l’exercice de leurs fonctions sont cédés ‘ de plein droit à l’Etat ‘. Le
fonctionnaire ne peut pas s’opposer à la modification d’une ?”uvre (sauf cas d’atteinte à son honneur et à sa réputation) ni demander son retrait ou invoquer le repentir pour en empêcher la difusion ou l’utilisation par l’Etat.Ces dispositions posent un gros problème aux universitaires et aux chercheurs, qui peuvent très bien être assimilés à des agents de l’Etat. Le texte crée les conditions pour que les universités revendiquent des droits sur leurs travaux.
‘ Un danger peu opportun au moment de relancer l’avenir de la recherche ‘, estime le Syndicat autonome d’universitaires en droit, gestion, économie et science politique, dans une lettre ouverte en
circulation sur le Web.Un amendement gouvernemental doit justement rectifier le tir en évoquant la spécifité du statut des universitaires. Il devrait protéger leurs droits dauteurs.

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Arnaud Devillard