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Cinq questions pour comprendre la taxe Gafa de Bruno Le Maire

A défaut d’un accord européen, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a présenté, mercredi 6 mars, sa taxe Gafa au gouvernement. Cinq questions pour en comprendre les contours. 

Au centre de l’attention depuis décembre, la « taxe Gafa » était, ce mercredi 6 mars, à l’agenda du Conseil des ministres. L’enjeu ? « Bâtir la fiscalité du XXIe siècle », a déclaré Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des Finances, « celle qui repose sur la valeur qui existe aujourd’hui : les données », a-t-il continué dans un entretien au Parisien, samedi 2 mars.
Revenons en cinq questions sur ce projet de taxe pour en comprendre les contours.

Qui paiera cette taxe ?

Les entreprises concernées par cet impôt sont celles dont les activités numériques génèrent plus de 750 millions d’euros, et qui ont un chiffre d’affaires en France supérieur à 25 millions d’euros. Autrement dit, les cibles sont les Gafa(m) (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft). Au total, selon le ministre une « trentaine d’entreprises » seront taxées à hauteur de 3% sur leur chiffre d’affaires.

« C’est […] une question de justice fiscale », affirme encore Bruno Le Maire, dans le Parisien.

Actuellement, selon la Commission européenne, leur taux d’imposition moyen est compris entre 8,5% et 10,1% contre 20,9% et 23,2% pour les sociétés européennes en général. Soit près de 14 points en moyenne de moins.

Le gouvernement assure que le double seuil établi par le projet de loi garantira aux jeunes pousses françaises du numérique d’être épargnées par ce nouvel impôt.

« Nos start-up ne sont […] pas concernées. Leur vrai problème, c’est d’être systématiquement rachetées par ces géants numériques justement parce qu’ils ne sont pas soumis à une fiscalité adaptée », renchérit Bruno Le Maire, dans le Parisien.

Les champions français, Criteo, SoLocal, Cdiscount ou encore Le Bon Coin dépassent les seuils fixés par le gouvernement. Ces sociétés seront donc imposables. Selon une source d’une fédération professionnelle du numérique de La Tribune, « moins de dix » entreprises françaises seront concernées.

Les secteurs ciblés par cette taxe sont les places de marché numériques. C’est-à-dire les entreprises qui font de la mise en relation et touchent une commission pour cela (Booking, Uber, Ebay, le marketplace d’Amazon, etc.). Mais aussi celles qui misent sur le ciblage publicitaire et la revente des données personnelles à des fins publicitaires, comme l’avait précisé Mounir Mahjoubi, le Secrétaire d’État chargé du numérique. Google et Facebook en première ligne.

En revanche, le e-commerce ne rentrera pas dans le périmètre de la taxe, ni les fournisseurs de contenu comme Netflix ou Spotify.

Combien cette taxe va rapporter ?

A l’horizon 2020, le gouvernement promet que cette taxe rapportera 500 millions d’euros. Il s’agit d’une extrapolation des chiffres obtenus par l’Union européenne (UE), en mars 2018, dans la perspective d’établir une législation supranationale. Le gouvernement français s’est inspiré sur les calculs de la Commission européenne, qui tablait sur 5 milliards d’euros – dans l’hypothèse d’un taux d’imposition à l’échelle du continent de 3% [PDF].

Ce montant a été calculé sur des estimations de chiffre d’affaires fournis par différents cabinets spécialisés et par une analyse du nombre de visiteurs européens rapporté à l’activité mondiale des sites et des plates-formes concernées par la taxe. 

Une clause pour éviter une double imposition sera incluse dans le projet. Le montant de la taxe Gafa sera donc déductible de l’impôt sur les sociétés.

« Cela aura pour effet de réduire jusqu’à un tiers du montant de cette taxe pour les entreprises qui paient leurs impôts en France », précise le ministre de l’Économie et des Finances.

Comment appliquer une taxe à partir du 1er janvier 2019 si elle est votée après ?

Annoncée d’abord comme partie intégrante de la loi plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), actuellement étudiée par le Sénat, Bruno Le Maire a présenté finalement un « projet de loi spécifique », ce mercredi 6 mars, au Conseil des ministres. Le début d’un processus long et fastidieux.

Le dépôt du projet de loi devant le Conseil des ministres doit s’accompagner ensuite d’une étude d’impact. Puis, il faudra respecter le temps du travail législatif : commission parlementaire, rapport, amendements, vote de l’Assemblée nationale, navette parlementaire avec le Sénat et, enfin, promulgation de la loi par le Président de la République.

En cas de désaccord entre les deux chambres ou de saisine du Conseil constitutionnel, le calendrier du vote de la loi peut s’étirer encore. Et,  la rétroactivité du projet de loi pourrait poser un problème constitutionnel quant à l’applicabilité de la loi :

« Le Conseil constitutionnel interdit la grande rétroactivité : vous ne pouvez pas faire appliquer une taxe au 1er janvier si elle est votée après », explique Valérie Rabault, présidente du groupe PS à l’Assemblée nationale, dans le Monde.

Pourquoi la France fait cavalier seul ?

Faute d’accord européen, la France se lance seule dans la taxation des géants du numérique. Le projet de taxe divise largement les 28 États membres. Certains pays comme l’Irlande, le Danemark et la Suède s’étaient clairement opposés à une taxe sur 3 % du chiffre d’affaires des géants du numérique. Or, en matière de fiscalité, c’est la règle de l’unanimité qui s’impose.

Mais, Bruno Le Maire assure que six pays de l’Union européenne (UE) soutiennent la position française, dont l’Espagne qui lance sa propre initiative nationale. Le 12 mars prochain, le projet européen va être tout de même étudié par l’UE. Le résultat pourrait être un accord édulcoré. Dans le cas peu probable où le projet de taxe européenne, sur laquelle se fonde celui de l’impôt national, serait validé, la législation supranationale prendrait le pas sur la loi française.

Si l’enjeu de la taxe Gafa est européen, il est avant tout international. Depuis la rencontre avec Steven Mnuchin, le secrétaire du Trésor américain, à Paris, en février, une possibilité d’accord à l’échelle international pourrait être trouvée. Il s’agirait d’un texte permettant d’harmoniser les politiques fiscales de tous les pays riches rassemblés au sein de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). La « seule solution viable », selon Mounir Mahjoubi au micro de RMC.

Pourquoi est-elle critiquée si vivement ?

La taxe Gafa est critiquée pour n’être qu’une taxe « symbolique » à la fois due au contexte de tensions sociales que traverse la France et pensée pour affirmer la domination hexagonale sur la scène internationale. 

« Par son impact limité sur les recettes de l’Etat et les effets de seuils, l’annonce d’une taxe sur les géants du numérique est surtout symbolique, résume Guillaume Glon, de Pwc Avocats à La Tribune. C’est un message politique à double portée. Le premier répond à la pression populaire des Gilets jaunes en s’attaquant aux entreprises qui dominent l’économie. Le deuxième vise à peser davantage sur les discussions au niveau européen ».

Des critiques partagées par l’association altermondialiste Attac qui l’estime trop timide. L’organisation dénonce depuis longtemps, les stratégies d’optimisation fiscale mises en œuvre par les géants du numérique.

Le problème, selon eux, c’est que les Gafa déclarent leurs revenus dans des pays où les impôts sont les plus bas. À titre d’exemple, quand le taux de cet impôt est de 31% en France en 2019, il est seulement de 12,5% en Irlande. Une asymétrie que ne peut pas résoudre un impôt national. 

Cette « taxe Gafa ne mange pas de pain, mais elle n’est pas non plus une révolution », déplore Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer Financement du développement au CCFD-Terre Solidaire, à Sud-Ouest. « C’est un petit pansement sur un système fiscal qui ne fonctionne pas ».

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Marion SIMON-RAINAUD