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Cap sur l’opaque pour les chefs de projets

Contraints de plaire à leurs directions, les chefs de projets doivent se montrer optimistes. Tels les messagers d’antan, ils doivent cacher les mauvaises nouvelles, sous peine de punition.

” 99,999 % des estimations des projets de développement logiciel sont sous-évaluées. “ L’affirmation, glissée récemment lors d’un séminaire du Centre d’étude pour la maîtrise des systèmes et du logiciel (CMSL), pourrait faire sourire par son exubérance.Pourtant, elle pose une vraie question, celle de l’optimisme forcé des chefs de projets, population constamment en porte-à-faux, savamment placée entre le marteau de la maîtrise d’ouvrage et l’enclume de la réalité opérationnelle.Dans la réalité, justement, tout le monde a ” vu “, mais personne n’a ” vécu “, ce qui indique que l’on a là toutes les caractéristiques du sujet tabou.Tout le monde a ” vu ” des chefs de projets accepter des délais trop courts, dans des budgets trop serrés, sous la pression d’un management trop directif. Tout le monde les a ” vus ” préconiser des logiciels pas adaptés mais premiers au box office (donc pérennes, il paraît…), refuser des méthodologies innovantes ou, en un mot, choisir la sécurité pour se ménager une porte de sortie, juste au cas où ça chaufferait.Parce qu’il n’y a pas de raison que ça ne chauffe pas, vu que peu de projets, finalement, se terminent ” dans les clous ” (voir à ce sujet cette étude du Standish Group au format PDF). En somme, devenir chef de projets aujourd’hui, c’est un peu comme s’engager en politique.L’un de ces chefs, qui… a ” vu “, stigmatise cette tendance, l’expliquant par la volonté des ingénieurs informaticiens de devenir chefs : ” Au bout de deux ans, ils ne veulent plus coder  “… et ils visent la place du calife. Exit les lignes de code, bienvenue dans le panier de crabes.Conséquence : il devient de plus en plus difficile de trouver des développeurs expérimentés. Effet pervers : ces ingénieurs qui passent du côté du management n’ont généralement aucune idée de la façon de gérer une équipe.Un industriel chargé de recruter des ingénieurs à la sortie de l’école demandait à quelques têtes bien faites ce que représentait pour elles le poste de chef de projets. Réponse : “Décider !” Rien sur la planification. Rien sur la gestion des équipes. Rien sur les estimations de coûts. Et moins que rien sur la gestion des sous-traitants ou les relations avec les utilisateurs. Les cursus informatiques n’apprennent pas tout cela.Armé de cette solide inculture, il devient très simple de sombrer dans un ” optimisme béat “.Pour l’éviter, les chefs de projets, chez un grand industriel français, se sont regroupés en club. Selon eux, l’un des grands changements de ces dernières années, c’est que non seulement le chef de projets ne peut plus se focaliser sur le codage pur, mais qu’il doit prendre en compte tous les facteurs, en amont comme en aval. Il devient donc urgent qu’il les maîtrise et apprenne à dire non aux exigences incohérentes.Simple tout ça ? Pas vraiment. Les maîtrises d’ouvrage se cherchent encore et toujours ; l’utilisateur tout-puissant ?” et, en général, celui qui paie ?” remplit plus que jamais le rôle de censeur ; il organise ses marchandages dans les hautes sphères et le tout retombe comme une volée de grêlons sur les chefs de projets.Ils se transforment en messagers qui, si la nouvelle est mauvaise, verront leurs budgets réduits de moitié, ou leur avenir professionnel compromis. Et finalement, loptimisme contraint se transforme vite en opacité débridée.Prochaine chronique le lundi 2 juillet

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Philippe Billard