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BEA innove, mais risque de s’isoler dans le développement de services web

Tuxedo a assuré les premiers succès de l’éditeur, Weblogic l’a hissé parmi les plus grands, Workshop devrait lui garantir de conserver ce rang.

Par deux fois déjà, BEA a anticipé une rupture technologique grâce à des acquisitions. Ce fut le cas en 1996 avec le moniteur transactionnel Tuxedo, repris à Novell, et, deux ans plus tard, avec l’éditeur de serveurs d’applications Weblogic. A chaque fois, la société a fait un bond technologique : le transactionnel, puis J2EE (Java 2 Enterprise Edition). Comme on ne change pas une tactique qui gagne, elle procède de la même manière pour défricher le marché du développement de services web.L’achat, l’an dernier, de l’éditeur Crossgain débouche aujourd’hui sur l’annonce de l’atelier de développement Weblogic Workshop (nom de code Cajun). Et le roi du serveur d’applications, comme il se baptise lui-même, doit une nouvelle fois combattre le scepticisme et convaincre de la justesse de sa vision. “On ne croyait pas à notre stratégie quand nous avons racheté Tuxedo, puis Weblogic. Et pas plus aujourd’hui, lorsque nous lançons Workshop, note Alfred Chuang. Mais il est temps de simplifier le développement des applications.” Le PDG de BEA place ainsi l’acquisition de Crossgain au même niveau d’importance que celle de Weblogic. Elle doit mener à un environnement de développement standardisé de services web, qu’il appelle de ses v?”ux : ce sera, avec le serveur d’applications, le fer de lance de sa nouvelle stratégie.

Objectif : standardiser la création de services web

BEA saura-t-il pour autant s’imposer dans les services web, comme il l’a fait dans le monde J2EE ? Rien n’est encore joué. Un autre spécialiste de cette technologie, Silverstream, emprunte la même trajectoire technologique. Mais, il est vrai, sans disposer de la même puissance de feu. Ses parts de marché dans J2EE sont marginales et il ne dispose pas de 1 milliard de dollars en cash, comme son concurrent. En fait, le plus grand risque, pour BEA, est d’être perçu comme propriétaire, et donc de ne pas être suivi par d’autres éditeurs.Un paradoxe pour ce chantre de Java. Mais son avance technologique repose sur des innovations qui n’ont pas encore été adoptées par la communauté Java. D’ici là, “toute application développée à l’aide du framework devra être maintenue dans Weblogic Workshop ?” du moins, tant que d’autres outils ne reconnaîtront pas ces annotations”, argumentent John Meyer et Mike Gilpin, analystes du Giga Group. Ces annotations ?” qui reflètent les propriétés des contrôles créés par l’atelier de développement ?” sont, en effet, ajoutées au code Java.A partir de ce constat, les analystes du Giga Group dressent trois scénarios. Le premier imagine Weblogic Workshop s’imposer en tant qu’outil suffisamment évolué pour bâtir des applications complexes, et le système d’annotation devient une composante de J2EE. Dans le deuxième, Weblogic Workshop fait ses preuves, mais BEA peine à faire adopter son système d’annotation. Le troisième ?” le pire ?” voit un atelier de développement satisfaisant difficilement les besoins de ses clients, et les autres éditeurs rechignant à adopter son système d’annotation. Si le Giga Group juge les deux premiers scénarios comme étant les plus probables, le dernier ne peut, pour autant, être écarté. En effet, le marché des serveurs d’applications n’est plus aussi profitable qu’il ne l’était.

Le logiciel libre risque de faire chuter les tarifs

BEA est, en quelque sorte, victime de son succès. S’il a largement contribué à populariser les architectures J2EE, il doit aujourd’hui affronter la concurrence des géants de l’informatique comme IBM, HP ou Sun. Ces trois constructeurs ont chacun inscrit un serveur d’applications compatible J2EE à leur catalogue.L’argument technologique tend à s’estomper dans les discours de vente, même si le serveur d’applications est encore loin d’être une simple commodité, comme le prétend IBM. Il n’empêche que son logiciel Websphere a, de l’avis de nombreux analystes, comblé son retard technologique sur Weblogic. De plus, l’amélioration continuelle des performances des serveurs d’applications rend ce critère moins décisif. Le coût du logiciel est devenu le premier argument de vente de ces produits. Même certain de sa supériorité économique sur ce terrain, BEA doit batailler ferme. Alfred Chuang dénonce les pratiques déloyales de ses concurrents.A ses yeux, ils noient les coûts réels de leurs solutions dans le matériel et les services. Une autre menace ?” sans doute plus diffuse ?” pointe : celle du logiciel libre. Si les entreprises continuent de retenir des serveurs d’applications commerciaux pour mettre en production leurs applications, elles utilisent régulièrement des logiciels libres pour réaliser des maquettes. Selon Merrill Lynch, cette tendance risque, à terme, de déboucher sur des choix, et donc d’obliger les éditeurs à revoir à la baisse leurs tarifs. En octobre dernier, la banque d’affaires avait chiffré qu’une baisse de 30 % du prix des licences d’un éditeur d’outils d’infrastructure comme BEA se répercutait sur sa rentabilité globale et gommait tout bénéfice.

Des espoirs de croissance modestes pour 2002

Pour compenser le risque de baisse de tarifs, Alfred Chuang ne peut plus vraiment compter sur les services. Il a pris le parti de sacrifier une partie de ses revenus pour éviter les conflits avec ses partenaires. La part des services dans son chiffre d’affaires devrait donc diminuer dans les prochaines années. Dans une note interne, Merrill Lynch estime déjà que leur proportion chutera de 42 % ?” son niveau actuel ?” à 30 %. Bill Klein, directeur financier de BEA, le confirme : “Sur le long terme, la part de la vente de licences va augmenter.” Pour ces multiples raisons, les perspectives de croissance du chiffre d’affaires 2002 restent très modestes. BEA table sur une augmentation de quelques points. Ce n’est qu’en 2003 qu’il devrait franchir la barre mythique du milliard de dollars et entrer dans la cour des grands.Ses lauriers d’éditeur ayant atteint le plus rapidement ce niveau de chiffre d’affaires, BEA ?” fondé en 1996 ?” les a revendiqués trop tôt. Son pari n’aura pas été tenu cette année, contrairement à ses prévisions du début 2001. Il n’en est pas pour autant perdu. S’il réussit dans les services web, le spécialiste du middleware risque juste de mettre une à deux années supplémentaires pour atteindre son objectif.

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Olivier Roberget