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ABC explore les chaînes Foxconn dans les coulisses d’Apple

Apple a demandé à Foxconn de laisser une équipe de télé filmer les conditions de travail sur ses chaînes de fabrication. Un reportage terrifiant, pas forcément dénué d’espoir, mais qui nous confronte à une réalité qui nous échappe un peu.

Volonté de transparence, volonté d’informer, volonté de préserver et de consolider son image. C’est ce qui a sans doute motivé Apple à inviter Bill Weir, journaliste et présentateur de l’émission Nightline sur la chaîne américaine ABC, à visiter, en exclusivité, les chaînes de production Foxconn qui travaillent pour la firme de Cupertino.

Au-delà de quelques images chocs et des chiffres aussi incroyables qu’effarants demeurent quelques impressions désagréables. Celle de contribuer à la reproduction inévitable d’un nouveau Germinal. Celle de voir une société chinoise sacrifier ses forces vives, sa jeunesse. Celle de voir des efforts dérisoires pour tenter d’améliorer les choses, qui peut-être porteront leurs fruits, si on leur donne leur chance…

Des machines humaines

On plonge dans l’iFactory, comme l’appelle Bill Weir. On suit à grandes enjambées les 141 étapes qui jalonnent la fabrication d’un iPad et leur cortège de chiffres improbables. En une heure, 10 000 blocs d’aluminium se transforment en boîtiers d’iPad. Une ouvrière ébarbe environ 300 pommes croquées en 12 heures de travail. Il faut moins de 24 heures à deux équipes pour monter 300 000 caméras pour iPad. Une tablette qui sera prêt à partir dans un magasin à l’autre bout du monde après cinq jours de travail et le passage entre 325 paires de mains.

Car, étonnamment, les chaînes de production sont assez peu automatisées. Et sur ces chaînes, on ne parle pas, ce sont les machines qui rythment le travail et indiquent les étapes à suivre de leur voix préenregistrée. Et quand Bill Weir demande à une ouvrière à quoi elle pense pendant qu’elle répète sans cesse les mêmes gestes, elle répond : « Souvent je pense à quel point je suis fatiguée. »

Une vie enchaînée à la chaîne

Il faut dire que le rythme est particulièrement lourd. Douze heures de travail, entrecoupées de deux pauses d’une heure pour manger le repas que les ouvriers paient 0,17 dollar. Avec, si on mange vite, la possibilité de faire une sieste avant de reprendre le travail, à même la chaîne de production.

Une vie passée à la chaîne, dans l’usine, où les ouvriers vivent et dorment dans des dortoirs de huit bondés, moyennant un loyer individuel de 17,50 dollars par mois. Alors malgré les cafés Internet, les terrains de foot en herbe synthétique et les classes d’anglais, financées par Apple, pour s’ouvrir les portes d’un avenir meilleur, on comprend l’horreur qui a pu pousser certains au suicide. Les filets antisuicide sont d’ailleurs partout. Et pourtant, comme le rappelle le reportage, vu le gigantisme des usines Foxconn, qui sont de véritables villes, le taux de suicide y est inférieur à celui de la moyenne nationale chinoise.

Alors Bill Weir cherche des explications aux vagues de suicide récentes. Une des conseillères psychologiques, mises en place sous la houlette d’Apple, explique que ce pic de décès est dû au management, certainement pour une part, mais aussi à la nouvelle génération d’ouvriers. Souvent arrachés à une campagne chinoise miséreuse, ils ont « un autre état d’esprit », d’autres aspirations et, ajoute-t-elle, « il est difficile de se faire des amis ici. »

Futur ou présent ?

Et le salaire de débutant de 1,78 dollar par heure, pas mauvais pour la Chine même s’il faudrait que les ouvriers réalisent plus de 47 heures supplémentaires par mois pour être considérés comme imposables par l’administration chinoise, ne laisse pas forcément l’espoir d’un futur meilleur.

Un futur meilleur, peut-être pas, mais un présent plus vivable, a priori. En effet, l’équipe de télévision américaine est allée dans la campagne chinoise pour savoir si le départ des jeunes – et l’argent qu’ils envoient – avait changé les conditions de vie. Les personnes interrogées – mais dans quel contexte ? – disent à l’unisson que oui, elles mangent mieux, elles vivent mieux, maintenant.

Jeunesse sacrifiée ?

Est-ce la réalité ou les témoignages sont-ils arrangés pour les caméras américaines ? Peut-être un peu des deux. Par un beau lundi matin, devant un des centres de recrutement de Foxconn, plus de 300 000 personnes se pressent pour travailler sur les chaînes d’assemblage du fournisseur des plus grands noms de l’industrie électronique. Selon ABC, 80 % de ces candidats ont été embauchés. Après trois jours de formation, ils ont commencé leur vie sur la chaîne. Mais avec quel espoir ? Celui d’échapper à la misère ?

Des réalités…

Au moment de la réalisation du reportage de Nightline, la Fair Labo Association (FLA) commençait ses audits, visiblement confiante. « Les problèmes finissent toujours par remonter après quelques jours », déclarait Auret van Heerden, responsable de la FLA et chef de la mission. Mais le fait qu’Apple paie 250 dollars les ouvriers volontaires pour faire partie de l’audit ne semblait pas choquer le chef de la mission.

Peut-être parce qu’il y a beaucoup de combats à mener avant que nos considérations d’Occidentaux soient un tant soit peu en prise avec la réalité de ces usines chinoises où aucun syndicat n’existe. Où les ouvriers ne peuvent rien faire d’autre que se plaindre, quand ils l’osent. Se plaindre ou monter sur un toit et menacer de se jeter dans le vide pour être entendus. Un responsable de Foxconn déclarant benoîtement que de tels procédés désespérés « font partie du processus de négociation normal ». Une autre réalité et encore tellement à faire…

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Pierre Fontaine