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Le bruit d’image : l’ennemi numérique numéro 1

Inutile de tendre l’oreille : quand on parle de bruit en photo ou vidéo numérique, il s’agit de défauts parasites venant dégrader la qualité de l’image, un peu comme le grain en photo argentique. La correction de ce phénomène complexe est un enjeu majeur pour les fabricants d’appareils photo. Voici quelques explications pour mieux comprendre d’où vient ce bruit, inaudible mais bien visible.

Le terme de ‘ bruit ‘, emprunté au domaine de l’acoustique, peut en fait s’appliquer à n’importe quel système électronique délivrant un signal. Sur une chaîne hi-fi, vous avez sûrement remarqué le souffle que l’on entend dans les enceintes si l’on monte le volume alors qu’aucune musique n’est jouée. Pour obtenir une qualité d’écoute acceptable, ce bruit de fond doit être assez discret pour ne pas être discerné quand la musique passe. Si son niveau reste assez faible, il se ‘ fondra ‘dans le signal mais, s’il est trop important, ce bruit non désiré se superposera à la musique, à plus forte raison si l’enregistrement présente un faible volume sonore. Lors des passages musicaux plus soutenus, le bruit sera toujours là mais, couvert par la musique, on ne l’entendra plus. C’est exactement la même chose sur une photographie. Un système d’enregistrement d’image comme un appareil photo ne restitue pas l’image de manière parfaite : des informations parasites apparaissent et viennent s’ajouter de manière aléatoire aux détails de la scène d’origine. La plupart du temps, cet effet est gênant et doit être corrigé. Sur un film argentique, cette perturbation peut prendre la forme soit d’une granulation colorée provoquée par les grains d’argent ou de colorants (le fameux ‘ grain ‘ photo, parfois apprécié), soit d’un voile uniforme venant diminuer le contraste de l’image. En photo et vidéo numérique, le bruit n’a pas les mêmes origines, mais provoque des effets assez semblables : perte de netteté sur les détails, grain et autres dominantes colorées sont des symptômes bien connus des photographes d’aujourd’hui. Et, comme en acoustique, ce bruit est d’autant plus présent que l’intensité du signal baisse : il se distingue mieux sur les zones sombres ou les plages homogènes comme un ciel bleu que sur les valeurs très claires ou les détails complexes. C’est pour cette raison que l’on mesure l’effet du bruit, qu’il soit visuel ou auditif, par le rapport signal/bruit. Quand cette valeur augmente, cela signifie que la proportion du signal parasite dans le signal d’origine diminue, le bruit ‘ pollue ‘ donc moins notre perception de l’information, quelle que soit son intensité. Pour parvenir à un bon résultat, il faut donc soit augmenter le signal, soit baisser le bruit.

D’où vient ce bruit ?

Le bruit que l’on peut voir sur une photo résulte de trois principales composantes, causées lors d’étapes successives de la formation de l’image. Pour comprendre leur origine, penchons-nous sur la ‘ chaîne de fabrication ‘d’une photo. L’image formée par l’objectif est projetée sur le capteur de l’appareil, dont le rôle est de transformer l’intensité lumineuse en signal électrique, converti ensuite en image numérique par le processeur. Le capteur est constitué par un alignement de photosites, véritables ‘ puits à lumière ‘ qui emmagasinent l’énergie lumineuse sous forme de photons qui sont convertis en électrons lors de l’exposition. Les photosites recevant le plus de lumière (parties blanches de l’image) sont donc remplis d’électrons, tandis que ceux qui n’en reçoivent pas (parties noires de l’ image) sont théoriquement vides (voir infographie). Mais certains électrons ne provenant pas de l’exposition sont formés ici de manière aléatoire, et viennent se confondre avec les ‘ bons ‘électrons au sein du signal créé par l’appareil. Ce phénomène se manifeste même lorsque le capteur n’est pas exposé, c’est pour cela qu’on le nomme ‘ courant d’obscurité ‘. Son niveau moyen ne dépend pas de l’intensité du signal : lors de l’exposition, il reste constant. Il est donc plus visible sur les zones sombres, où le rapport signal/bruit est à son minimum. Sur l’image, cela se traduit par des pixels colorés ou non, mais dans l’ensemble plus clairs, ce qui augmente au final la luminosité de l’image. Cette première composante du bruit est due à l’agitation thermique naturelle des électrons, qui ‘ sautent ‘ d’un puits à l’autre. On peut donc limiter cet effet en refroidissant le système : c’est la solution retenue sur les appareils de studio professionnels, maintenus à température ambiante par un ventilateur. Certains équipements d’astronomie sont même refroidis à -60 ?’c grâce à de l’azote liquide. Sur les appareils photo grand public, un système plus simple permet de limiter sensiblement ce bruit ‘ de fond ‘ : tout d’abord, un filtre placé sur le capteur empêche les rayons lumineux infrarouges d’atteindre celui-ci et de créer des électrons parasites. De plus, les bords du capteur sont composés de pixels de calibrage qui ne sont jamais exposés à la lumière. Ceux-ci permettent de mesurer le niveau moyen du courant d’obscurité, que le processeur soustrait ensuite à l’image pour lui ôter ce voile de ‘ fausse lumière ‘ et retrouver des noirs plus purs. Mais les irrégularités aléatoires de ce phénomène empêcheront toujours une correction parfaite.

Un bruit qui court

Le deuxième type de bruit est provoqué par une réponse non homogène du capteur : sa structure physique fait que certains photosites sont plus sensibles à la lumière que d’autres, et créent un signal plus fort à partir de la même exposition. Sur l’image, on obtiendra des pixels ‘ chauds ‘au même endroit sur toutes les photos, créant une sorte d’image fantôme. Ce ‘ bruit structurel permanent ‘ reste en effet identique à chaque exposition. Il est donc plus facile à corriger que le bruit de fond aléatoire. Ceci concerne particulièrement les capteurs de type CMOS (que l’on trouve sur les photophones et les reflex Canon), générant une très forte irrégularité de par leur structure. À chaque prise de vue, l’appareil fait simultanément une lecture du capteur au noir pour mesurer l’effet du bruit, qui est soustrait à la capture effective. C’est le même principe qui est adopté lors des photos en poses longues (plus d’une seconde en général) : le système de réduction du bruit proposé sur les appareils experts consiste à effectuer une seconde capture avec l’obturateur fermé après la prise de vue, pour ‘ nettoyer ‘ ensuite le signal par comparaison. Enfin, une grande partie du bruit n’est pas créée par le capteur, mais par les composants électroniques qui exploitent le signal issu de celui-ci avant qu’il soit numérisé. C’est pour cette raison qu’on l’appelle le bruit de lecture. Il résulte en fait de l’amplification du bruit du capteur (bruit d’obscurité et structurel) et du propre bruit apporté par ces composants. Celui-ci est d’autant plus important que le signal est amplifié.

Sensibilité… et sensibilité

Ce dernier point permet de comprendre pourquoi le bruit monte avec la sensibilité réglée sur les appareils. Il faut savoir qu’en réalité, un capteur, tout comme un film argentique, ne possède qu’une seule sensibilité, qui dépend de la capacité de ses photosites à capturer les photons lumineux. C’est en général la plus petite valeur de sensibilité disponible sur l’appareil (50 ou 100 ISO en principe). Lorsque l’on augmente cette valeur, l’appareil modifie en fait l’amplification du signal issu du capteur (voir infographie). Les habitués de l’argentique connaissent bien la technique qui consiste à ‘ pousser ‘un film, permettant de l’utiliser à une sensibilité plus élevée que sa valeur réelle : il suffit pour cela de le sous-exposer puis de prolonger son développement pour ‘ rattraper ‘la bonne exposition. C’est exactement le même principe en numérique : en montant artificiellement la sensibilité, on ne fait que ‘ pousser ‘le signal fourni par le capteur, au détriment de la qualité d’image, puisque le bruit aussi est amplifié.

Inégaux devant le bruit

Au-delà des problèmes liés aux réglages de sensibilité, il est clair que certains appareils sont plus doués que d’autres en matière de correction du bruit. Si, comme nous l’avons vu, ils sont tous ‘ armés ‘pour limiter en grande partie les dégâts, certains contrôlent moins bien les différentes étapes de formation du bruit. Les petits capteurs équipant les compacts, peu coûteux à fabriquer, sont par exemple bien connus pour générer beaucoup de bruit : la surface de leurs puits étant limitée, surtout quand leur définition augmente, ils n’emmagasinent qu’un nombre restreint d’électrons. Leur sensibilité est ainsi plus faible que celle des capteurs de reflex dont les puits sont plus grands. Le signal, donc le rapport signal/bruit, est déjà limité à la base. Ce signal doit ensuite être davantage amplifié pour former l’image, ce qui ne fait qu’aggraver le phénomène. On a donc des capteurs qui provoquent plus de bruit au départ, et celui-ci subit une amplification plus importante que sur les ‘ bons ‘capteurs. Un peu comme si vous écoutiez une vieille bande audio avec le volume poussé à fond. Obtenir une image correcte relève donc souvent de la pirouette technique, et les fabricants mènent une recherche très active sur ce terrain. Une des solutions consiste à améliorer la sensibilité du capteur par l’ajout de microlentilles pour focaliser les photons sur chaque photosite. Mais les progrès les plus marqués concernent l’amélioration des circuits de traitement d’image et surtout des algorithmes de calcul des processeurs, dont la finesse est souvent décisive pour séparer le ‘ bon grain de l’ivraie ‘ et rendre l’image visuellement acceptable. C’est ainsi que l’on peut voir apparaître aujourd’hui des appareils compacts affichant des sensibilités réglables à 1600 ISO, là où les autres osent à peine atteindre les 400 ISO (voir notre comparatif page suivante). Quand la ‘ chirurgie ‘ informatique vient au secours de la photo…

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Julien Bolle