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Vers un cyberdialogue social

L’intranet, qui se généralise dans l’entreprise, peut devenir un outil d’échange entre salariés, syndicats et employeurs. À condition que tout le monde y ait accès. Premiers pas.

C’est l’histoire banale d’un salarié qui quitte son entreprise. Mais le salarié est aigri, et entend bien le faire savoir. Le jeune homme joue alors de la souris, et “balance” quelques indélicatesses sur son directeur d’agence via l’un des forums de l’intranet maison, celui d’Hervé Thermiques en l’occurrence, une entreprise de génie climatique et électrique employant 1 200 personnes sur 25 sites. Le message suscite des dizaines de réactions, le plus souvent de soutien pour le boss incriminé. Ainsi que cette remarque d’un salarié : “La liberté de parole offerte par notre entreprise via ces forums ne doit pas être le prétexte à des déballages diffamatoires.” Effet pervers des forums ? “Ce sont des soupapes, le dernier endroit où l’on puisse s’exprimer quand on a épuisé tous les autres moyens de communication physique, assure Michel Hervé, patron de l’entreprise et initiateur de cette cyberdémocratie. Je ne crains pas les dérapages car je crois à l’autorégulation : quand quelqu’un va trop loin, il se fait fustiger par ses collègues.” Toutes les entreprises ne partagent pas encore cet avis, et certaines hésitent à offrir ainsi une tribune libre réellement interactive à leurs collaborateurs.

Souvent à sens unique

Au Club Med, le tout récent intranet (mis en service en juin 2001) ne comporte pas ?”encore?” de forums, par crainte de susciter des remous : “Un plan social est en préparation, donc nous n’estimons pas qu’il soit opportun d’en mettre en place, en ce moment”, annonce franchement le responsable de l’intranet, Fabrice Trouvé. Et si Cisco France offre aux salariés la possibilité de poser des questions au directeur, Thierry Drilhon, l’entreprise ne permet pas un dialogue en direct avec ce dernier, ni un débat entre les salariés autour des questions posées. “Ce genre de boîtes à questions unilatérales ne suscite jamais l’enthousiasme, constate Marianne Gazeau, PDG de Se- same, société de conseil et de création de contenus intranet, par ailleurs cofondatrice de Club Net, qui réunit une centaine de responsables d’intranet dans les entreprises. Il faut des forums horizontaux, autour de communautés ou de projets pour qu’un vrai dialogue s’instaure.” Les statistiques confirment : Cisco reçoit moins de 5 questions par semaine, et Procter & Gamble France a carrément supprimé la rubrique “suggestions et questions” de son intranet, faute de succès. À l’inverse, le forum “jeunes cadres” de l’intranet de la SNCF, qui permet aux jeunes recrues de s’échanger informations et tuyaux sur l’entreprise, est un vrai succès.“Le dialogue social n’est jamais une priorité lors de l’installation de la première version des intranets et est surtout l’apanage des entreprises traditionnellement à l’écoute de leurs salariés”, souligne Michel Germain, patron d’Arctus, un cabinet de conseil en déploiement de stratégies internet et intranet. Et de citer les derniers chiffres de l’Observatoire de l’intranet, mis en place par Arctus depuis 1998 : une entreprise interrogée sur deux a installé des forums sur son réseau interne en 2001, soit deux fois plus qu’en 1999.

Inégalités d’équipement

Dès lors qu’elles sont plus mûres dans l’usage de l’intranet, la plupart des entreprises évoluent vers la mise en place de réseaux collaboratifs, commente Michel Germain. En clair : l’intranet ne devient plus seulement un instrument de bourrage de crâne aux mains de la direction de la communication, mais un outil de partage d’informations transversal, en marge des hiérarchies.Ainsi, les salariés de Siemens France postulent anonymement à des offres d’emploi internes via l’intranet, sans subir l’opprobre éventuel de leur manager. À France 3, les salariés devraient pouvoir, dans chaque direction, publier simplement des informations sur l’intranet. Et comités d’entreprise, voire syndicats, ont de plus en plus souvent accès à l’intranet pour diffuser leurs informations.Malgré les réticences ici ou là, le cyberdialogue social est donc en marche, mais se heurte encore à un obstacle majeur : l’inégal équipement informatique. Rares sont encore les sociétés où tous les salariés ont accès à un ordinateur. Les entreprises les plus en pointe en matière de dialogue social sur l’intranet l’ont bien compris : SNCF ou encore Autoroutes du Sud de la France multiplient les bornes interactives pour les personnels non encadrants. Pour que la fracture numérique ne vienne pas s’ajouter à la fracture sociale…

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Sophie Janvier-Godat