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Veaux, vaches, ordis et Internet

De la salle de traite à la vente des fromages, de la qualité du lait à la sélection génétique des animaux, la ferme de la Fontaine Orion, à Haution, dans l’Aisne, illustre l’apport de l’informatique au monde agricole.

La ferme, toute rénovée, ne paraît pas son âge. Elle livre fièrement sa date de naissance, 1860, sur l’une de ses façades de briques rouges. Son propriétaire, Vincent Halleux, en est fier lui aussi. En particulier de la touche moderne qu’il lui a apportée depuis son arrivée dans les années 80 : 7 ordinateurs connectés en réseau équipent les bâtiments, dont les plus modernes accueillent un élevage de 120 vaches laitières. Lesquelles produisent, chaque jour, 3 000 à 3 200 litres de lait au cours des deux traites, à 6 h 50 et 17 h. Pour parvenir à un tel résultat, l’informatique est devenue un outil de travail comme un autre, omniprésent. Les quatre associés de l’exploitation se partagent les tâches. Didier, le frère jumeau chargé des cultures, jongle entre un service en ligne pour gérer les parcelles et le tableur Excel. Philippe, le beau-frère, assure l’élevage des vaches laitières et la traite, assistés par ordinateur. Claire, l’épouse, produit les maroilles, fromages locaux, dont le suivi des commandes est assuré par un logiciel commercial. Et Vincent est à la maintenance informatique et à la gestion administrative. Il passe 3 heures par jour sur ordinateur. Quand ce ne sont pas les conseillers en élevage qui viennent à la ferme avec leur matériel électronique. Loin des clichés, l’agriculture s’est hautement informatisée pour améliorer les rendements.

Traite assistée par ordinateur

Le collier que la vache porte lui permet d’être reconnue quand elle franchit le portillon magnétique de la salle de traite carrelée de blanc. L’ouvrier agricole l’installe alors sur un manège, branche l’appareillage qui va pomper le lait. Au fur et à mesure que le précieux liquide coule, les noms des vaches et la quantité de lait produite par chacune défilent sur un écran monté sur un bras mobile. Certaines lignes s’affichent en couleur, selon un code qui indique, entre autres, qu’une vache reçoit des antibiotiques ou allaite son veau. La conductivité du lait est aussi mesurée en direct : elle renseigne sur la présence de globules blancs. Trop nombreux, ils révèlent que la vache est atteinte d’une inflammation des mamelles qu’il faut soigner.

Paillettes et codes-barres

Matthieu Bombart, inséminateur de Gènes Diffusion, présente un boîtier électronique. Il s’agit d’un ordinateur de poche pourvu d’une carte 3G pour se connecter à Internet et récupérer les dossiers des troupeaux, et d’un lecteur de codes-barres. Sur l’écran défilent des informations comme les dates de vêlage des vaches et le stock de semences nécessaires aux inséminations, sous forme de paillettes plongées dans l’azote liquide. Le géniteur est choisi par l’ordinateur en fonction des desiderata de l’éleveur. Lequel peut vouloir augmenter la production de lait, améliorer sa qualité, ou accroître la résistance des vaches aux maladies. Grâce à l’informatique, la France dispose d’une gigantesque base de données génétiques de plusieurs millions de bovins.

Valise informatique

Pierre Millot, conseiller d’élevage de Nord Conseil Elevage, ne se déplace jamais sans sa valisette. A l’intérieur, son bureau mobile : un ordinateur portable et une imprimante prêts à servir. Pierre vient onze fois par an prélever le lait de chaque vache afin d’analyser sa qualité. Le taux de protéines, le taux de matière grasse et la quantité de globules blancs sont pris en compte. Sur son ordinateur, il consulte via Synel le dossier de chaque vache. Son “ casier judiciaire ”, comme il aime l’appeler. En fonction des résultats au fil des mois, il recommande des ajustements alimentaires afin d’améliorer la qualité du lait, dont dépend le prix de vente.

“ Le zéro papier, on n’y est pas encore ”

L’ordinateur du bureau attenant à la salle de traite sert à se connecter au logiciel Synel, pour consulter et ajouter les informations concernant chaque vache. Juste à côté, une roue de papier criblée de punaises tapisse le mur. Elle représente les cycles de gestation des vaches que l’on insémine afin de provoquer la lactation. Une information disponible sur l’ordinateur. “ L’informatique, c’est très bien, mais ça peut tomber en panne. Or nous travaillons avec du vivant ”, s’excuse M. Halleux. “ Et puis, le tableau, c’est très rapide et très visuel pour ceux qui manquent d’habitude avec l’ordinateur ”.

Fragile ordinateur de poche

La 3G ne couvre pas les bâtiments de la ferme. Heureusement, les pâtures à quelques centaines de mètres sont desservies. Quand les vaches y reviennent à la fin de l’hiver, l’éleveur utilise son smartphone pour noter ses remarques sur les bovins dans le logiciel Synel, sans avoir besoin de retourner au bureau. Toutefois, le matériel n’est pas toujours adapté : l’écran constellé du mobile de Vincent Halleux en témoigne.

Internet, outil de travail onéreux

La ferme de la Fontaine Orion ne peut pas recevoir l’ADSL haut débit. C’est le satellite qui permet de se connecter à Internet et d’accéder aux informations en ligne du logiciel Synel. L’abonnement coûte quelque 60 euros par mois, pour un débit de 3 Mbit/s qui décroît à chaque utilisation. “ Un outil de travail indispensable qui revient cher ”, s’agace le fermier.

Synel, un logiciel pour les éleveurs, par les éleveurs

La ferme de la Fontaine Orion utilise le logiciel Synel pour le suivi des vaches : naissance, insémination, vêlage… Synel, pour “ synergie élevage ”, a vu le jour entre 2000 et 2002, à l’initiative de l’atelier régional de services aux organismes d’élevage (Arsoé) Nord-Pas-de-Calais Picardie. L’association regroupe éleveurs et professionnels, lesquels proposent des services, comme l’insémination artificielle et la sélection génétique, l’analyse du lait et l’amélioration de sa qualité ainsi que l’identification des animaux. Le logiciel collecte, regroupe et met en forme les données des prestataires. L’Arsoé, propriétaire du logiciel, joue le rôle de service informatique. Les éleveurs expriment leurs besoins et font évoluer en conséquence le logiciel.

Bientôt des étiquettes RFID

A l’heure actuelle, les vaches, en plus de l’étiquette bouclée à chaque oreille sur laquelle figure leur numéro d’identification nationale, portent un collier électronique. Il sert à les identifier pour la traite quand elles franchissent le portillon magnétique. Le même système existe pour adapter l’alimentation à chaque animal. Or chaque fabricant utilise sa propre technologie, ce qui multiplie les colliers. Pour harmoniser les pratiques, le recours à la RFID est prévu à l’échéance de 2013 pour les bovins. L’habituelle étiquette s’enrichit d’une puce RFID, qui contiendra les informations d’identification de la vache pour le fonctionnement des appareils. Pour l’instant, Vincent teste la tenue des nouvelles boucles sur ses veaux : “ On n’imaginait pas ça il y a quelques années, ça va très vite. ”

Google Earth agricole

En plus du logiciel Synel pour l’élevage, le service en ligne Mes parcelles sert à enregistrer l’activité agricole sur chaque parcelle de terrain : assolement, épandage, labours… “ Comme dans Google Earth, on peut superposer des calques sur les photos ”, précise Romain Dremaux, de l’Arsoé de Douai. L’outil sert notamment à préparer plus facilement les déclarations obligatoires dans le cadre de la politique agricole commune européenne. Didier Halleux, le frère jumeau de Vincent, profite de la visite pour exprimer ses doléances. Actuellement, le service ne permet pas de gérer les pâtures aussi bien qu’il le voudrait. L’agriculteur a donc réalisé un savant fichier Excel. “ On va voir ce qu’on peut faire ”, promet Romain.

Mignons, sorbais et pavés

Dans l’ancestrale cave, patiemment, 2 500 à 3 000 maroilles, le fromage local, s’affinent, déclinés selon leur taille en mignons, sorbais et pavés. La ferme en produit 60 000 par an. Des étiquettes manuscrites signalent les différents lots. “ J’ai envisagé un temps d’utiliser un système de codes-barres pour la traçabilité des fromages, confie Vincent Halleux, mais ce n’était pas intéressant. ” C’est donc un autocollant qui indique le numéro du lot sur l’emballage.

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Olivier Lapirot