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Une e-révolution sans visage

Toute révolution s’appuie sur des héros et des figures emblématiques. La Net-économie française en est curieusement dépourvue.

” Qui personnalise le mieux en France la Net-économie et l’esprit start-up ? “, me demandait il y a quelques jours une consoeur anglo-saxonne. La question semblait anodine, et, pourtant, elle me laissa indécis. La Net-économie monopolise aujourd’hui tous les débats, et les start-up, éclaireurs de cette nouvelle ère économique et technologique, se comptent par milliers. Reste qu’aucun visage ne résume à lui seul tous ces bouleversements en cours.C’est bien là un problème de journaliste en quête d’images faciles et de clichés réducteurs, vont penser certains. Peut-être pas tant que cela. Selon un sondage réalisé cette semaine par l’association Croissance Plus et Mc Kinsey, 75 % des Français ne veulent pas que leurs enfants travaillent dans une start-up. “Ne dites pas à ma mère que je suis dans une jeune pousse, elle me croit au chômage…”Et si toute transformation de la société, sociale, économique ou technologique, avait nécessairement besoin de modèles ou d’exemples ? C’est peut-être une condition nécessaire pour que Monsieur Tout-le-monde puisse s’identifier à cette révolution ou se l’approprier.Au Royaume-Uni, même la veuve de Glasgow connaît l’épopée de Brent Hoberman, 31 ans, et de Martha Lane Fox, 27 ans, les heureux fondateurs de lastminute.com. Charmants et immensément riches depuis l’introduction en Bourse de leur start-up, ils sont devenus les symboles d’une jeunesse britannique dynamique et sûre d’elle.Aux Etats-Unis, pays où l’on fabrique, il est vrai, des success stories à la chaîne, Jerry Yang, le PDG de Yahoo, incarne à lui seul le rêve américain. Arrivé à l’âge de 10 ans de son île natale de Taïwan, il était étudiant à Stanford quand il a commencé à lister avec un de ses condisciples les sites les plus intéressants du web. Six ans plus tard, à 32 ans, il est à la tête du principal annuaire d’Internet, entreprise qui vaut des centaines de milliards de dollars. Ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs de s’habiller toujours en jean et t-shirt.Et la France ? Dans son numéro de juillet, le magazine Challenges dresse le tableau des 500 Français les plus riches. Près de 200 d’entre eux seraient des fortunes Internet. Et pourtant, la plupart de ces ” kids ” du Net sont inconnus du grand public. Louise Blouin et Eric Teyssonnière de Gramont (Trader.com), Pierre-François Grimaldi (ibazar) ou Alain Bernard (Prosodie) sont le quarté gagnant des grandes fortunes Internet hexagonales. De fait, Il y a fort à parier que 99 % des Français ne connaissent aucun de ces quatre visages. L’explication réside peut-être dans cette réticence bien française à afficher de façon trop ostentatoire sa réussite.Autre raison éventuelle : une actualité trop axée sur les grands groupes traditionnels entamant leur virage Internet. Mais, malgré leurs qualités de chefs d’entreprise et de visionnaires, Jean-Marie Messier ou Michel Bon peuvent-ils faire rêver les adolescents ? Quant aux capital-risqueurs, business angels et autres responsables d’incubateurs de start-up, ils constituent certes une brique essentielle de la dynamique Net-économie, mais cela n’est pas suffisant pour en être les figures de proue.Alors il n’y aurait pas de e-héros francais ? En cherchant bien, j’ai tout de même trouvé quelques vrais créateurs au parcours exemplaire et déjà bien connus des milieux Internet. Par exemple Michel Meyer (Multimania), Loïck Lemeur (Ubiqus) ou Orianne Garcia (Caramail/Spray). Aucun de ceux-là n’a encore la notoriété médiatique d’un Zidane. Mais, finalement, est-ce là tout le bien quil faut leur souhaiter ?Chronique parue le vendredi 30 juin 2000

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Didier Géneau, rédacteur en chef délégué