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Un informaticien sur deux n’a pas de formation initiale en informatique

Intérêt du travail, ambition et passion sont les trois grandes motivations des ingénieurs généralistes venus à l’informatique. Pour autant, font-ils de bons informaticiens ?

Embaucheriez-vous un agronome qui serait diplômé de Télécom Paris ? Pas vraiment. Et pourtant, l’inverse est vrai. Question de motivation ! A vingt-six ans, Lucie Chalverat est ingénieur études et développement chez Unilog. Elle travaille sur le décisionnel du bijoutier Cartier. Diplômée de l’Institut national d’agronomie de Paris-Grignon (INA PG en 2000), rien dans sa formation initiale, ne la prédisposait ni ne la préparait à son travail actuel. Un travail où elle excelle. Comment y est-elle arrivée ? Quelle est sa motivation ?“J’étais attirée par la nature et la biologie. Mais le travail de conseiller agricole ne m’a pas convenu. J’ai fait un essai dans le domaine du marketing. Mais c’est un travail de comptable. J’ai suivi un stage d’ingénieur R&D en agroalimentaire. Mais c’était peu motivant. Tout cela n’était pas bien payé, et l’ambiance n’y était pas.”C’est alors que l’un de ses amis lui dit que des SSII seraient intéressées par son profil. Elle y a trouvé sa voie : “L’informatique me plaît, car elle nécessite de la réflexion mathématique. C’est un métier intellectuel, où l’on doit réfléchir avant d’agir. L’ambiance est bonne, jeune et ouverte. Enfin, le salaire est stimulant.”

Une passion pour les ordinateurs

Les motivations de Lucie Chalverat sont claires. Celles de Sélassié Mbida, technicien d’exploitation d’Infogérance sur Open VMS chez Schlumberger Sema, le sont tout autant. C’est à vingt-six ans, à l’issue de son DUT de biologie ?” “J’aime les sciences de la vie, mais il y a peu de travail ” ?” qu’il s’est découvert une passion pour les ordinateurs. “C’est devenu un virus, que je peux maintenant assouvir dans mon travail.” Il reconnaît que sa formation ?” “scientifique, carrée et rigoureuse”?” lui sert. Mais, soupèse-t-il, “l’informatique, on peut aussi l’apprendre par soi-même”.Guillaume Arnaud, sorti de Polytechnique en 1997, a choisi le travail sur écran pour une tout autre raison : il voulait gérer sa carrière. “En 1999, je devais partir aux Etats-Unis pour compléter mon CV. J’ai choisi le secteur informatique, et j’ai travaillé chez Ardent Software, spécialisé dans les bases de données décisionnelles. Si la mode de l’époque avait été à la mécanique, je serais entré dans une entreprise de mécanique.”
Un sens de l’opportunisme qui lui a permis, lors de son retour en France en août 2000, d’entrer à la Caisse nationale des Caisses d’épargne (CNCE). Nommé responsable des partenariats internet pour la création du portail du groupe bancaire, il fait maintenant partie de la direction de la stratégie de la CNCE : ” J’ai quitté l’informatique. Dans les métiers de type internet, ce qui est intéressant, c’est la mise en place. La phase de maintenance me paraît moins passionnante. “Intérêt du travail, ambiance, passion du clavier, ambition. Voilà donc les trois grandes motivations autres que la rémunération, qui guident ces jeunes ayant choisi un métier différent de leur formation initiale. Ils représentent même la moitié des cinq cent vingt mille salariés actuels de l’informatique. Ils sont venus par vagues. Au début des années quatre-vingt, la généralisation de la méthode Merise a nécessité le recrutement de gens non ” pollués ” par la technique informatique.Plus tard, le développement de l’atelier de génie logiciel Pacbase de la CGI a provoqué l’embauche de nombreux scientifiques, vierges de toute connaissance en programmation. La tendance se poursuit dans les années quatre-vingt-dix avec la généralisation des PGI : la pénurie de consultants a provoqué l’arrivée d’anciens élèves des écoles de management.Plus récemment, le passage à l’euro et à l’an 2000, la pénurie des diplômés d’écoles spécialisées et la bulle internet ont réouvert les vannes. Des vagues successives pour l’ensemble du secteur, certes, mais des flots continus pour certains employeurs. Chez Unilog, l’embauche de non-informaticiens est édictée comme une règle, pratiquée depuis l’origine de la SSII, il y a quinze ans. Yves Buisson, son directeur du recrutement, embauche chaque année deux tiers de non-informaticiens bac +5.“Ce n’est pas la formation initiale qui nous intéresse, mais les qualités du candidat. Les compétences techniques peuvent s’acquérir par le biais de la formation continue.” Une recherche qui privilégie la tête bien faite à la tête bien pleine.

” Ici, on est rapidement obsolète “

Un choix que partage en partie Laurent Vallée, directeur du cabinet de recrutement d’Eden Conseil : “Cela se justifie dans des domaines où il y a peu de diplômes et de spécialistes en regard de la demande, comme pour les technologies gros systèmes.”La tentation est forte de prendre des bacs +5 et de les former rapidement pour être opérationnels dans les meilleurs délais. C’est économique et sécurisant pour l’entreprise. Mais, “hors de leur pré carré, ils risquent de ne pas pouvoir s’adapter à de nouvelles technologies”, note Laurent Vallée. Leur seule chance serait alors d’évoluer vers des postes d’analyste chef de projet. Et cela “d’autant plus aisément qu’on leur demandera moins de connaissances techniques pour ce type de poste”.Ainsi, ceux qui se débrouillent le mieux excellent dans le domaine fonctionnel. “On apprend très vite pour être immédiatement opérationnel sur une technique, renchérit Guillaume Arnaud. Mais si on ne met pas à jour ses connaissances, les technologies avançant très vite, on est rapidement obsolète.” La carrière informatique étant un moyen et non une fin à ses yeux, il a choisi le monde des affaires, qui l’attire davantage.Lucie Chalverat et Sélassié Mbida, eux, n’envisagent pas de changer. “Unilog nous pousse à accroître nos compétences, à avoir un plan de carrière. Cela correspond bien à mon idée de ne pas faire toujours la même chose. Je pense changer bientôt pour être expert ou analyste spécialisé dans le décisionnel”, espère la première. Quant au second, il pense qu’un passionné comme lui se reconvertira facilement : “Spécialisé dans Open VMS, j’ai aussi appris à travailler sur des gros systèmes. Pour évoluer, il me manque juste des remises à niveau.” Tous deux ont pourtant un regret : celui de ne plus être en contact avec le vivant, d’avoir quitté les sciences de la nature et de la vie.

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Hubert d'Erceville