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Un impératif pour le DSI : préparer le terrain de l’intelligence économique

Constituer les bibliothèques de connaissances internes à l’entreprise, détecter les bonnes pratiques d’organisation : l’intelligence économique concerne aujourd’hui directement les directions informatiques.

‘ L’intelligence économique : les Français en parlent beaucoup, mais en font peu. Tandis que chez les Anglo-Saxons, c’est tout le contraire. ‘ Le reproche est d’autant plus fort
qu’il émane d’un spécialiste des questions de renseignement : le commissaire divisionnaire Bernard Besson, précédemment directeur de cabinet du patron de la DST ­ le contre-espionnage français ­ aujourd’hui en poste à la Direction
centrale des renseignements généraux (RG).Or, ce jugement sévère s’adresse tant aux entreprises privées qu’aux administrations. Une vision partagée par Jean-Pierre Raffarin lui-même, qui chargeait, au début de cette année, le député du Tarn, Bernard Carayon, d’une mission de
six mois pour passer au crible les activités d’intelligence économique en France(1). ‘ Car force est de constater, écrivait alors le Premier ministre, que cette matière n’occupe pas
encore en France une place digne des enjeux qu’elle doit prendre en compte. ‘
Le sujet n’est pas nouveau. Déjà en 1984, le président de l’Afnor, Henri Martre, donnait son nom à un rapport devenu célèbre, et justement intitulé ‘ Intelligence économique et stratégie des
entreprises ‘
. De quoi parle-t-on ? ‘ L’intelligence économique n’a pas pour vocation de percer les secrets de la concurrence, mais de les précéder ‘, résume Bernard Besson,
coauteur d’un ouvrage de référence sur le sujet(2).

Bâtir la mémoire de l’entreprise

En clair, il s’agit de fournir aux décideurs d’une entité ­ entreprise, collectivité territoriale, ministère, etc. ­ les éléments d’information qui leur permettront de mieux connaître et appréhender leur environnement juridique et
économique. ‘ L’intelligence économique et concurrentielle est avant tout une affaire d’anticipation, prévient Loïc Tribot La Spiere, le délégué général du Centre d’études prospectives et stratégiques (CEPS)
­ l’un des ‘ think-tank ‘ de pointe sur les questions industrielles et de défense. Elle s’appuie notamment sur l’analyse du secteur d’activité et celle du risque
pays. ‘
Soit une approche transversale, qui correspond parfaitement aux directions des systèmes d’information.Les professionnels du secteur ne s’y sont pas trompés : pour preuve, la publication il y a quelques semaines, par le Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref), d’un rapport très complet sur la contribution des
DSI aux problématiques d’intelligence économique et stratégique (IES)(3). Leur légitimité pour se saisir de cette activité est évidente.D’ailleurs, en 2000, l’Institut des hautes études de la défense nationale désignait déjà l’IES comme ‘ un produit dérivé des systèmes d’information de l’entreprise et du traditionnel système
informatique ‘
. Une vision qui ne doit toutefois pas cantonner l’IES à la consultation de bases de données ou à la navigation sur internet.‘ La première responsabilité des DSI est de doter leur entreprise ou leur organisation d’un réseau d’échanges opérationnel et sécurisé, explique Philippe Clerc, président de l’Association française
pour le développement de l’intelligence économique (AFDIE). En outre, ils doivent collaborer dès l’origine aux projets de knowledge management ‘.En effet, la constitution de bibliothèques de connaissances propres à chaque entreprise permet à celle-ci de se doter d’une véritable mémoire de ses activités passées. Cela pour éviter la déperdition d’informations et l’absence de
capitalisation sur les expériences déjà menées dans l’entreprise.‘ Notre intranet, intitulé CCInet, est bâti autour de trente-six thématiques, allant des questions juridiques aux technologies de l’information, en passant par les actions à l’international, confie
Philippe Clerc, par ailleurs directeur de l’intelligence économique et des TIC de l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI). Il recense chacune des actions menées par les cent soixante-dix-neuf chambres de
commerce dans ces différents domaines. Ce qui évite de partir de zéro et permet de tirer profit des bonnes pratiques qui ont déjà fait leurs preuves. ‘
Soit un solide avantage concurrentiel par rapport à des institutions qui ne pourraient compter sur ce savoir-faire. En effet, le réseau consulaire compte vingt mille salariés et dix mille élus, soit autant de contributeurs
possibles.

Répérer les nouvelles formes d’organisation

Cet intranet accueille aujourd’hui chaque mois quelque neuf mille neuf cents visiteurs uniques. ‘ Une même personne y revient en moyenne 3,2 fois au cours du mois ‘, complète le directeur
de l’ACFCI. Cet expert connaît son sujet pour avoir corédigé le rapport Martre et dirigé la mission Compétitivité et Sécurité économique au Secrétariat général de la défense nationale (SGDN).Convaincu du caractère stratégique de ce service, l’ACFCI consacre trois postes à ses activités de veille et d’innovation. Et seize collaborateurs sont en charge du développement des technologies de l’information.
‘ Près de cinq cents intervenants sont inscrits à notre forum dédié à l’intelligence économique ‘, précise Philippe Clerc.Ce chiffre témoigne d’une réalité qui gagne du terrain. Jusque dans les PME. ‘ En 2005, les donneurs d’ordres du secteur aéronautique et spatial ne travailleront plus qu’avec les fournisseurs qui auront intégré
les processus d’ingénierie simultanée entre bureaux d’études et de coordination informatique des productions,
prévient Jean-Paul Charié, député du Loiret et auteur d’un rapport sur la compétitivité numérique des
PME(4). Une montée en puissance technologique qui concerne cinq mille équipementiers et sous-traitants. ‘ Et tous sont loin d’être prêts.Pourtant, ceux qui ne répondront pas aux critères en temps et en heure ne pourront que disparaître. ‘ Les technologies de l’information uniformisent les procédures, indique Philippe Clerc.
Dans ce cas, le rôle du DSI est d’expliquer en amont à sa direction générale les changements organisationnels et techniques qui vont découler de ce nouveau dispositif informatique. ‘ C’est cela aussi l’intelligence
économique.Mais cette quête de l’information peut s’effectuer tous azimuts. C’est pourquoi on la classifie en trois catégories : blanche, grise et noire. ‘ Toutes les informations disponibles se trouvent, tout n’est
qu’une question de moyens et de temps ‘,
reconnaît Ludovic Emanuely, chef du département multimédia et sourcing à la Servair, la filiale d’Air France en charge de la restauration à bord.Les membres de son équipe (deux temps plein et un mi-temps) traitent annuellement environ cent cinquante demandes de renseignements émanant du groupe. Celles-ci exigent chacune entre une heure et trois mois de travail. A l’instar de
cette découpeuse de gâteaux au laser, qui a nécessité plus de deux mois d’enquête pour être dénichée. Les demandes peuvent être multiples.Et les sources de réponse sont-elles forcément légales ? ‘ C’est un peu comme au football : les règles prévoient une sanction bénigne quand on touche le ballon de la main, explique,
sibyllin, le manager de la Servair. Or, qu’est-ce qu’un carton jaune si l’on a ainsi empêché qu’un but soit marqué contre son camp ? A la fin du championnat, le carton est oublié. ‘ Et rien de tel que la mise
en réseau pour bien faire de l’intelligence économique.

Une structure pour mettre les ressources en commun

Ainsi, forts de ce principe, un certain nombre de poids lourds de l’industrie, parmi lesquels Total, Danone, Servair ou le groupe Thales, se retrouvent au sein du groupe La Fontaine. Une structure informelle, dans laquelle les
responsables de l’IES mettent en commun leurs ressources. Dans le strict respect des intérêts de leurs employeurs respectifs, bien entendu. ‘ Nous sommes défavorisés par rapport à nos concurrents américains, dont le cadre juridique facilite l’IES, regrette Ludovic Emanuely. Par exemple, ils peuvent négocier avec un bon hacker
afin d’acquérir son savoir-faire, et l’utiliser ensuite pour défendre leurs intérêts. Ce qui n’est pas dans nos habitudes. ‘
Et les officines privées de se multiplier pour offrir leurs services en matière de renseignement.
‘ On en recense une cinquantaine en France, indique Loïc Tribot La Spiere. Mais comme le marché n’est pas suffisamment mature, elles ont tendance à faire un peu de tout afin d’assurer leur chiffre
d’affaires : audit, conseil en stratégie, communication financière, etc. ‘
Une approche qui effraie les spécialistes : ‘ On ne partage pas avec autrui ses interrogations stratégiques, estime le divisionnaire Besson. Idéalement, le poste doit être occupé en
interne par quelqu’un ayant déjà exercé deux fonctions différentes dans l’entreprise. ‘
Histoire de cumuler les expériences et de ne pas aborder les problèmes par un biais unique. Une description qui colle assez bien avec
celle du DSI, qui est amené à gérer les méthodes de travail et les problématiques des différents services.
































Information blanche, grise ou noire
Information blanche Information grise Information noire
Code couleur Ce que chacun peut voir et recueillir.  ?” Ce qui résulte de l” accouchement de l’esprit ‘.


 ?” Par le traitement de l’information (confidences).


 ?” Par l’habileté de l’accoucheur.


 ?” Ce qui peut être immoral sans être illégal.
Ce qui est protégé par la loi ou le contrat et réservé aux personnes autorisées.
Qualification Information ouverte (90 % du total).


Information publique.
Information sensible (% croissant).


De l’ouvert au fermé.
Information fermée (10 % du total).


Information secrète.
Source : général Pichot-Duclot, ESLSCA.(1) Son rapport est en ligne à l’adresse :
www.bcarayon-ie.com



(2) ‘ Du renseignement à l’intelligence économique ‘, par Bernard Besson et Jean-Claude Possin ; Editions Dunod.


(3) Texte disponible sur le site internet du Cigref,
www.cigref.fr/cigref02/fr/accueil.nsf/pimageportail



(4) Accessible sur
www.competitivite-numerique.com

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Nicolas Arpagian