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Théâtre coup de poing

On s’y rend pour Isabelle Huppert. Et d’emblée elle nous happe. Pantalon de cuir noir, tee-shirt bleu roi, l’actrice s’offre à nous, pétrifiée. Campée sur moins…

On s’y rend pour Isabelle Huppert. Et d’emblée elle nous happe. Pantalon de cuir noir, tee-shirt bleu roi, l’actrice s’offre à nous, pétrifiée. Campée sur moins d’1 m2 du plateau noir des Bouffes-du-Nord, elle s’immobilise pendant 1 h 40. Ses doigts seulement, ses bras parfois, se crispent au phrasé d’outre-tombe de Sarah Kane. “4.48 Psychose”, c’est le titre de la pièce de cet auteur britannique, suicidée à 28 ans (biographie sur www.arche-editeur.com, cliquer sur Catalogue, puis Sarah Kane). 4.48, c’est l’heure du sabordage, le chiffre qui fait basculer dans le néant. 4.48 : les candidats au départ volontaire ont leur nom de code. Car c’est d’un suicide raté ?” jusqu’à quand ? ?” qu’il s’agit. Et de la longue descente aux enfers qui y mène. “D’une dépression psychotique, précise l’auteur (sur www.bouffesdunord.com, rubrique À l’affiche, cliquer sur 4.48 Psychose). Et de ce qui arrive à l’esprit d’une personne quand disparaissent complètement les barrières distinguant la réalité des diverses formes de l’imagination.” D’un au-delà des larmes et du désespoir. D’une voie sans retour. D’une putréfaction. “Vous avez des projets ?”, demande un psy planqué derrière un voile de tulle surnaturel, littéralement incapable de toucher du doigt le délitement de sa patiente. “Prendre une overdose, me tailler les veines et me pendre”, répond-t-elle, tranquillement. Isabelle Huppert articule méticuleusement les mots violents et poétiques de Sarah Kane (détail de ses pièces, photos… sur www.iainfisher.com/kane.html, en anglais), le plus souvent avec lenteur, parfois avec dégoût et colère. Le langage semble le dernier lien avec la vie. La dernière once de vie. Un langage toujours d’une parfaite cohérence, terriblement lucide. Point de folie ici. Juste un esprit qui n’habite plus le corps, un tout figé, enfermé dans une réalité qui ne donne plus prise.

Le c?”ur accroché

Adepte d’une mise en scène dépouillée, Claude Régy enclôt l’actrice dans de successifs rectangles de lumière. Lumière tantôt brutale, tantôt blafarde, jamais consolante ou revigorante. Le théâtre n’est pas une sinécure. C’est même parfois un sacerdoce : habitée par ce personnage intraitable, maîtresse de son jeu dans les moindres mouvements de la voix et du corps, Isabelle Huppert (biographie sur www.ecrannoir.fr, Célébrités, puis H, puis Huppert) en témoigne une fois de plus. Le théâtre est aussi une expérience pour le spectateur. Une éprouvante catharsis. “4.48 Psychose” n’est pas un divertissement. C’est un “théâtre de la cruauté”, à la manière d’Artaud. Y aller le c?”ur accroché et les idées noires au placard. S’agripper aux moindres notes de légèreté. Car l’humour, noir forcément, n’est pas absent des textes de Sarah Kane : “J’ai rêvé qu’un médecin ne me donnait plus que 8 minutes à vivre, raconte l’héroïne. Cela faisait une demi-heure que je patientais dans la salle d’attente.” Sursis, sursaut, survie ? La pièce finit sur une touche d’espoir, celle d’un retour à la vie : “S’il vous plaît, ouvrez le rideau.”4.48 Psychose, théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, jusqu’au 9 novembre. 01 46 07 34 50.

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Sophie Janvier-Godat