Passer au contenu

Serge Tchuruk (Alcatel)

‘ Nous sommes compétitifs en Chine contre les Chinois. ‘

Traditionnellement réservé, le président d’Alcatel réagit à la montée en puissance des constructeurs chinois. Il revient aussi sur l’évolution du secteur et les éventuels facteurs de consolidation chez les
équipementiers.01 Réseaux : Hormis l’explosion de la ‘ bulle ‘ et ses conséquences spectaculaires, notamment dans le domaine de l’emploi, qu’est-ce qui vous a le plus marqué
dans les télécoms au cours de ces dix dernières années ?
Serge Tchuruk : Toutes industries confondues, le secteur des télécommunications est celui qui a vécu les changements les plus drastiques, notamment au niveau de la valorisation des entreprises. C’est beaucoup,
pour une industrie, de passer en quelques années d’un rapport de un à dix dans les deux sens !L’autre grand mouvement est l’évolution de la finalité même des activités, que ce soit chez les opérateurs de réseaux ou chez les équipementiers. Côté opérateurs, la mutation est loin d’être finie ; elle va
même s’accélérer. Les acteurs se multiplient et le jeu reste très ouvert. On est loin de la simple fourniture de connectivité, et l’on se dirige de plus en plus vers la distribution de contenus.C’est aussi une révolution technologique puisque l’on passe d’un mode ‘ point à point commuté ‘ à un environnement de paquets sur fond de concurrence entre diverses plates-formes
technologiques. Au-delà du passage du monopole à la concurrence, la compétition entre fournisseurs de services, sans doute moins folle, sera néanmoins plus intense, puisque la déréglementation a ouvert le jeu.Malgré la crise, aucun constructeur majeur n’est finalement passé à la trappe. Pensez-vous qu’une consolidation soit souhaitable, ou inévitable, dans les années qui viennent ?Hormis le cas de certaines sociétés dont les banquiers ont pris le contrôle, le paysage n’a guère été chamboulé au niveau du nombre d’acteurs. Côté start-up, beaucoup ont survécu grâce au cash d’augmentations de
capital intervenues… à la veille de l’explosion de la bulle. Sinon, l’histoire se répète souvent. Au départ, lorsque quelque chose de nouveau émerge, vous avez une prolifération d’acteurs sur le marché, puis, nécessairement,
un phénomène de concentration.Pour ce qui est de la consolidation, elle devrait surtout concerner les acteurs moyens, bien positionnés sur certaines niches. Pour les grands généralistes, c’est surtout une question d’économies d’échelle. Pour
eux, le principal facteur de consolidation concerne la recherche-développement, où il y a un intérêt évident puisque aucun constructeur ne peut se permettre de lever le pied dans ce domaine. Or, quelle que soit la taille de l’entreprise ou
des marchés sur lesquels elle intervient, l’effort à consentir reste le même.J’observe qu’à l’exception d’un petit nombre de généralistes, au rang desquels Alcatel ?” dont le périmètre a considérablement évolué ?”, les principaux acteurs ont des profils assez
différents. L’industrie risque de bouger, mais difficile de prédire comment. Tout est possible. On peut imaginer des rapprochements ponctuels, que ce soit sur le plan géographique ou sur des segments de marchés spécifiques.Les constructeurs chinois font actuellement couler beaucoup d’encre. N’êtes-vous pas surpris par la rapidité de leur offensive sur les marchés occidentaux et auprès de vos clients traditionnels ? Comment
comptez-vous réagir ?
C’est effectivement un facteur de concurrence nouveau, et nous ne le sous-estimons pas. Le bon choix, c’est d’être Chinois en Chine, comme nous le sommes nous-mêmes à travers notre filiale Alcatel Shanghaï Bell. On
ne le répète sans doute pas assez, mais Alcatel Shanghaï Bell est un constructeur authentiquement chinois, présent à la fois en Chine et à l’exportation.Pour le reste, vous faites sans doute référence à Huawei. Ils se sont développés à partir de leur base chinoise grâce à des coûts de production et de recherche-développement très bas, quoique beaucoup de leurs collaborateurs aient été
formés sur la côte ouest des États-Unis. Mais il ne faut pas surestimer le phénomène pour autant. Si vous prenez la région Asie-Pacifique, et en dehors du marché chinois, Alcatel pèse cinq fois plus lourd que Huawei !Quant à la Chine, il n’y a que trois grands équipementiers dans le fixe, dont Alcatel Shanghaï Bell. Lors de la dernière attribution de China Telecom, la part d’Alcatel dans l’ADSL (40 %) était la plus
importante. Dans les infrastructures cellulaires, Alcatel est trois fois plus gros que ses concurrents chinois. De toute manière, la terre entière se bouscule en Chine, et cela pousse nécessairement à la concentration sur place. Nous sommes
compétitifs en Chine contre les Chinois. À partir de là, comment pourrions-nous ne pas l’être en Occident ?Êtes-vous à la recherche d’un partenaire chinois dans le TD-SCDMA, et quel pourrait être l’impact du choix de cette norme, hors de ses frontières, par le gouvernement chinois ?C’est une question à laquelle nous réfléchissons, et pour laquelle on peut envisager des coopérations. Sachant que la Chine sera le premier marché mondial pour la troisième génération, les Chinois font logiquement la promotion de
leur propre norme pour en faire un élément de différenciation sur la scène mondiale !Pour le reste, le TD-SCDMA est moins avancé en terme de développements que le W-CDMA ou le CDMA 2000. Cela dit, il faut bien voir que l’UMTS est encore en phase de démarrage en Europe. Du coup, les Chinois, qui ne vont pas entrer
de plain-pied dans l’UMTS, sont plutôt attentistes, et pourraient ne pas attribuer de licences avant le second semestre 2005.Quant au choix des normes, le W-CDMA reste bien placé, notamment en raison de sa capacité à être associé au TD-SCDMA, permettant ainsi une combinaison des deux normes. Et même si le W-CDMA va devenir la technologie dominante, le
TD-SCDMA pourrait, à plus long terme, se diffuser hors de Chine.Quel sera, selon vous, le principal fait marquant des années à venir dans l’univers des télécoms, notamment pour les équipementiers ?Aujourd’hui, plus personne n’a de certitudes ! Ce que l’on observe, notamment aux États-Unis, c’est la progression ultrarapide du triple play ?” aussi bien chez les opérateurs
de télécommunications que parmi les câblo-opérateurs ?” et la montée en puissance de la TVHD. Les réseaux de cuivre actuels permettent de fournir 5, 10, 15, 20 Mbit/s, et les concepts de fiber to the node ou
fiber to the home reviennent en force. L’ADSL 2+ ou le VDSL, on y va à toute allure. Même s’il y a un temps de latence parfois encore un peu long, la télévision sur IP offre de multiples perspectives, notamment en
termes de variétés de services.C’est la raison pour laquelle nous investissons dans la vidéo, notamment au niveau des applications. En Europe, où la pression des câblo-opérateurs est moins forte, l’IP TV n’en est qu’à ses débuts, mais va
également se généraliser.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Henri Bessières