Réseaux sociaux : le besoin d'un sursaut éthique (5/5)

Alors que les instances démocratiques européennes ou françaises en sont à s'interroger sur les mesures à prendre pour protéger nos vies privées dans le cadre des réseaux sociaux, c'est aux citoyens de prendre leur destinée numérique en main et de faire leur choix.
Ce qui devrait en toute logique être un choix de société, issu d’un consensus démocratique, est désormais du ressort de l’individu, seul à même de prendre les mesures qui s’imposent pour essayer de se soustraire à l’emprise de « l’œil qui voit tout ». Le privilège d’être « relié » par l’intermédiaire de Facebook vaut-il que l’on renonce à sa vie privée pour ce qu’Eben Moglen, professeur de droit à l’université de Columbia, décrit comme « une poignée de gadgets PHP », incitant développeurs et utilisateurs à adopter une stratégie antiFacebook ? Mais quelle attitude adopter ? Rejoindre le mouvement Europe v. Facebook et envoyer une requête à la société pour montrer que votre vie privée vous importe ? Partir chez la concurrence ?
Quelques modestes solutions
De nouveaux réseaux sociaux, souvent bâtis en réaction au modèle de Facebook, et capitalisant sur la frustration extrême de nombreux usagers en quête d’une alternative, ont vu le jour. Leur but avoué ? Laisser l’utilisateur maître de ses données. Leurs moyens ? Pour l’instant, plutôt dérisoires. Des projets comme Diaspora et Unthink, toujours en phase bêta, semblent prometteurs, même s’ils sont en surcapacité permanente. Unthink, en particulier, innove en proposant deux formules : une gratuite avec pub, une payante (seulement 2 $/an) sans aucune pub. Si Unthink parvient à prendre son envol, nous découvrirons peut-être si le facteur « payant », même pour une somme dérisoire, constitue – ou non – une véritable barrière d’entrée sur les réseaux sociaux.

Ning, un moteur de réseau social open source et customisable, offre également une alternative intéressante pour ceux qui souhaitent former des réseaux sociaux pour des groupes d’intérêt précis tout en gardant le contrôle sur leurs données.
Autre solution, pour les utilisateurs de Facebook (et autres) qui ne souhaitent pas être espionnés après s’être déconnectés, ou pour les non-utilisateurs qui refusent d’être « shadow-profilés », l’explorateur Firefox. Il permet d’échapper à tout cela tant par l’adoption de mesures internes que par son ouverture à de nombreux plug-ins comme Flashblock, Ghostery, etc. chargés de bloquer les trackers et autres scripts indiscrets qui pullulent sur de nombreuses pages.
Ce que vous perdrez en confort, vous le gagnerez en sécurité... Bien que la seule alternative « crédible » à Facebook soit dans l’immédiat Google+, qui malgré sa popularité déficiente présente les mêmes zones d’ombre que la société de Mark Zuckerberg. Quoi qu’il en soit le succès et l’intérêt suscité par les offres alternatives prouvent qu’il existe un marché pour d’autres réseaux sociaux, plus respectueux de l’intimité de leurs usagers.
Manipulation et observation
Les effets sociétaux des réseaux sociaux ont fait l’objet de nombreuses études et critiques. S’il est évident que la logique binaire des « J’aime/J’aime pas » ne constitue guère un encouragement à nourrir une pensée complexe, il ne s’agit que de la partie émergée de l’iceberg. Rien, dans l’architecture de Facebook – et a fortiori la plupart des jeux « sociaux » qu’il héberge, comme ceux de Zynga – n’est laissé au hasard.
Le principe « créatif » s’efface totalement derrière une vaste boîte à outils de techniques de conditionnement développées depuis plus d’un siècle. Les ressorts de la psychologie sociale, les mécanismes de récompense et de gratification, sont exploités ouvertement par la quasi-totalité des communicants de toutes sortes. A une ère où le neuro-advertising règne en maître, et où plus un publicitaire ne cherche à « convaincre » sa cible, mais au contraire à l’« engager », en jouant sur des ressorts viscéraux et inconscients, le réseau social est un véritable eldorado.

« Le social computing et la modélisation comportementale », l’un des nombreux ouvrages savants inspirés par l’étude des réseaux sociaux.
Ce qui n’était peut-être qu’un combat d’arrière-garde, perdu d’avance, il y a une décennie, ne mérite-t-il pas d’être réexaminé à la lueur transformatrice des réseaux sociaux ? Mises en évidence par Pavlov chez l’animal, puis raffinées pour être appliquées à l’homme par des spécialistes de la « transformation humaine et sociale » comme Edward Bernays, B.F. Skinner ou Kurt Lewin, ces techniques ont inspiré la structure même de Facebook, façonnant sa dimension addictive par un recours savant aux mécanismes de récompense communs à la plupart des individus, encourageant la pression sociale exercée sur les « outsiders » par autant de petits signaux, de petits « gadgets PHP », qui rythment l’expérience de l’adepte de Facebook.
Mais même si de telles considérations semblent bien accessoires et sans conséquence à la plupart des usagers, il n’en est rien. Car ces techniques ont été développées explicitement pour « apprivoiser » les masses, pour contourner les processus conscients et le sens critique afin d’agir directement sur l’inconscient, bien plus malléable, pour amener la cible à réagir non de manière rationnelle et dans son intérêt propre, mais comme le « programmeur » l’a décidé. Les réseaux sociaux fournissent ainsi un moyen d’action directe sur l’usager, mais surtout un moyen d’observation, instantané et à une échelle dantesque, de dynamiques sociales et individuelles très complexes.
Cobayes Inc.
Autrement dit, Facebook et consorts sont également des laboratoires géants, évolutifs, opérés par des gens qui pourraient être tout sauf désintéressés. Les usagers seraient alors autant de sujets d’étude passés au microscope, permettant d’en tirer des observations toujours plus précises sur ce qui fait « tilter » un individu ou un groupe.
A la lumière de l’Histoire, il est pourtant évident que le grand public n’a absolument aucun intérêt à livrer ainsi les clés de ses habitudes, de ses pulsions, de sa pensée, aux « grands communicants » (gouvernements et corporations) qui peuvent se permettre d’exploiter ces données. Loin d’être le « grand égalisateur » dont on chantait les louanges, loin de mettre les « puissants » au niveau, ou en contact direct avec les « petits », la double dynamique observation/influence au cœur des réseaux sociaux risque de ne faire que creuser le gouffre entre les « observés » et les « observants », magnifiant l’écart des rapports de force et fournissant aux « puissants » des outils de mesure et d’action dont ils n’auraient pas osé rêver il y a encore une décennie.

Un sursaut éthique ?
Autrement dit, le « réseau social » fortement asymétrique (usager transparent, intermédiaire opaque), loin d’être un moteur de progrès ou d’évolution sociale, perpétue et renforce des structures et des tendances socialement et économiquement paralysantes et favorise le renforcement des gros quasi-monopoles.
Même si, en tant qu’individu, vous n’accordez que peu de valeur à votre vie privée (65 cents en moyenne, selon une étude allemande), la contribution que vous apportez à cet échantillon, et les conséquences en termes d’évolution des pratiques de gouvernance et de communication pour la société tout entière, ne méritent-elles pas d’être mûrement pesées ?
Lisez les quatre premiers volets de cette série d'articles :
- Réseaux sociaux : de l'addiction à l'addition (1/5)
- Réseaux sociaux comme outils : de l'addiction à l'addition (2/5)
- Réseaux sociaux : de l'addiction à l'addition, sur écoute (3/5)
- Réseaux sociaux : de l'addiction à l'addition, identité perdue (4/5)
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jim²
merci pour cette série d'article très bien conçu et intelligemment rédigé !
enfin un oeil ouvert sur 1984 !
(à lire et à relire) -
AnnaM
Une série d'articles sur un vrai sujet, bien écrits, documentés, bien au-dessus de la masse de ceux qu'on trouve régulièrement sur tous les sites d'info "hightech"
Chapeau bas !
Dommage que surement peu prendront le temps de tout lire et d'en tirer une analyse personnelle... et préféreront faire une mise à jour de leur statut ou mettre en ligne les photos de leur dernier "exploit"... ;-) -
iygiduiuzdgig
Du grand "01" qui nous incite à penser notre monde merci au journaliste et félicitations.
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ThéOLait
Un grand merci à Nathan Sommelier pour cet excellent dossier en 5 actes sur les réseaux sociaux et leurs faces pile. Le tout téléchargé au format JoliPrint pour assurément mieux éclairer que je ne saurais le faire tout nouvel aventurier de la grande arche du "social web".
Un travail bien fichu.
Je ne fréquente aucun réseau social (peut-être à tort, mais cela ne me motive pas) et je serais par conséquent et bien peu instruit et aussi peu légitimé à éclairer quiconque sur un feu qui brule quand il chauffe de trop. Cet article sera tombé à point nommé. -
journal du clic
Le totalitarisme… un “système tendant à la totalité, à l’unité”
Lorsque nous pensons totalitarisme, nous pensons prise de pouvoir par la force, intervention de l’armée, putsch sanglant, écrasement des opposants. Il prend forme dans des instances politiques et s’exhibe. Il est concret, matérialisé dans un lieu géographique. En bref, le totalitarisme est bruyant, visible et palpable.
Beaucoup plus subtil serait son arrivée par un biais nouveau et non reconnaissable, par une instauration immatérielle sans contrainte apparente; mieux, avec des services rendus qui créent insidieusement des besoins, des réflexes, allant jusqu’à bouleverser le fonctionnement même de nos vies, bref nous rendant dépendants. “Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un monde de réflexes conditionnés” Hannah Arendt. C’est plus pernicieux mais redoutablement efficace et beaucoup beaucoup plus ambitieux. On change d’échelle, on pense planète.
I° ) Examinons donc le phénomène :
L’expression totalitaire vient du fait qu’il ne s’agit pas seulement de contrôler l’activité des hommes, comme le ferait une dictature classique : un régime totalitaire tente de s’immiscer jusque dans la sphère intime de la pensée (1), en imposant à tous les citoyens l’adhésion à une idéologie obligatoire (2), hors de laquelle ils sont considérés comme ennemis de la communauté(3).
1 ) L’immixtion du web dans la sphère privée est une évidence admise comme allant avec l’évolution de notre société et de sa technologie. Notre intimité est scannée, digérée et redistribuée par des machines. Le danger est éradiqué par la neutralité que l’on prête à la technologie : si les machines enregistrent et travaillent, la volonté humaine paraît s’être volatilisée. Soyons conscients que le recoupement de toutes nos données (identitaires, habitudes et lieux de connexions, courriels, chats, achats en ligne, photos, appels téléphoniques, etc…) permet une analyse en profondeur de nos actes et de nos pensées.
“Il est dans la nature même des régimes totalitaires de revendiquer un pouvoir illimité.” “Un tel pouvoir ne peut être assuré que si tous les hommes littéralement, sans exception aucune, sont dominés de façon sûre dans chaque aspect de leur vie.” Hannah Arendt
Et quelle meilleure domination que de connaître toute la vie d’une personne !
2 ) Le côté “obligatoire” du passage sur internet
• Larry Page sait ce qu’il veut et pourquoi : “C’est tout simple : nous voulons gagner encore plus d’argent !” “Avec notre moteur de recherche, nous avons réussi à créer l’équivalent d’une brosse à dent, un outil qui a pris une place importante dans nos vies. Même chose avec GMail, pour le courriel. Tous les produits que nous lançons devraient être comme ça. Voilà notre raisonnement : de quoi les gens ont vraiment besoin, qu’est-ce qui a de la valeur pour eux ?” Selon l’expression connue : “Nécessité fait loi.”
• Extraits d’interviews :
“C’est un monde qui se développe en parallèle et qu’on le veuille ou non, il s’est installé dans la vie réelle” Etudiant de 20 ans
“C’est comme çà, si on remet le système en question, on passe pour des vieux cons.” Homme de 49 ans
Sur l’impossibilité de ne pas être sur Facebook :
“On minimise parce qu’en fait on sait très bien que c’est grave mais on n’a pas envie de se marginaliser de la société. Enfin, quand je dis “on” c’est peut-être 1 personne sur 100 ou c’est peut-être que moi. En fait, on n’en parle pas.” Etudiante de 15 ans.
“Tout ça serait risible si avoir une page Facebook ne devenait pas une quasi- obligation… Ou, pour être plus claire, si ne pas avoir de page Facebook ne devenait pas suspect.“
… Intéressantes remarques qui illustrent que du simple constat, au fatalisme, en passant par le questionnement ou la peur, “y être” est au mieux un acte spontané, au pire un non choix, jusqu’à aller se poser la question si le fait de ne pas avoir de compte Facebook ne desservirait pas une carrière… Un étudiant m’a confié qu’il était moins regardant sur ce qu’il mettait sur Facebook, car il voulait embrasser une carrière dans la fonction publique. Selon lui, les risques d’ingérence étaient donc moins probables. Il a admis que le contenu de son compte aurait été différent s’il avait envisagé une autre carrière.
3 ) La révolution communautaire (lire l’article “Le partage de la confidentialité, un concept sans limite”)
Dans sa lettre de mars 2012, Larry Page note en 10 lignes : ”partage” (6 fois) , recommandé à (3 fois), regrouper les gens, s’engager avec, ajouter des gens. “Nous sommes enthousiasmés par la vitesse avec laquelle certaines personnes ont rassemblé plus d’un million d’internautes qui les suivent, et ég -
gdgdgdfg
Il parait évident que nous sommes tous influençables, plus ou moins, certains étant des râleurs compulsifs ;-), prenant des décisions, qui bien que dépendantes des autres, de ce qui est proposé, sont quand même le fruit d'une réflexion personnelle, en fonction des besoins individuels et pas de ce que les autres pensent, souhaitent, imposent.
La carotte, la notation, la mise en avant, des individus, l'effet de masse est effectivement utilisé, par exemple par certains FAI, pour faire de leurs abonnés, non pas seulement des utilisateurs qui paient, mais des Fan's, des inconditionnelles d'une marque, même quand celle-ci, petit à petit, vous en donne moins pour plus cher, utilise des arguments laissant penser que l'on vous offre, par l'intermédiaire, d'inclus, tout en vous le faisant payer, alors que pour d'autres formules des options donnent le choix, tout cela mené tambours battants, par une horde qui au delà de réfléchir, sentent bien la critique de leur FAI favori, mais n'en comprennent déjà plus, la critique argumentée par des chiffres et balaye l'ensemble sous le terme de troll, tellement c'est plus simple que d'argumenter, ce qui est effectivement très compliqué, puisque la logique, les mathématiques, ne peuvent que très rarement être contredites.
De l'autre, il est toujours intéressant de voir certains commentaires quasi automatiques, soit pour vous brosser dans le sens du poil, histoire de vous inciter à commenter plus, soit pour vous contredire sans argument, en fermant les portes de la discussion, aussi pour vous inciter à commenter plus, de préférence avant un long Week End ?
La psychologie, effectivement, le seul problème, c'est que si le but est de faire acheter, de faire utiliser, sous la pression d'une majorité, un mot à une puissance sans pareille, ne nécessite aucun argument, aucune explication, aucune approbation d'autres, ce mot est.....NON.
- Facebook est incontournable --> NON
- Facebook il faut y être pour décrocher un emploi --> NON
- Les réseaux sociaux, si l'on n'est pas sur Facebook, il faut y être, sur un autre, un concurrent respectant plus la vie privée --> NON
- Achetez les jeux avec DRM connectés --> NON
- Achetez de la musique avec DRM --> NON
- Achetez Office 2010 mais selon les CLUF vous êtes limités... --> NON
Incroyable, le mot NON, ne nécessite aucun approbation d'autrui, effet psychologique induit par une société, ou même les Parents sont formatés pour dire OUI aux caprices des enfants, sous peine d'une crise, où le biberon est remplacé par du matériel, que l'on achète pour avoir la paix ?
Ou l'on vous hypnotise à faire comme les autres, l'on vous valorise par le pack intégrale, que vous avez pu acheter, alors que le voisin s'est contenté de la version familiale est que le petit malin du dessous vous fait bondir parce que lui à la même chose que vous mais gratuitement...
En fait la pression sociale est partout, vous ne partez pas en vacances ? vous n'allez pas vous faire bronzer pour avoir l'air d'être parti en vacances ?
Un jour la stupidité du système fera même que l'on payera une société pour fournir des photos, de vous avec votre famille, en vacances, pour alimenter son compte Facebook, alors que par manque de moyens vous n'êtes pas parti, aussi histoire de faire saliver les autres, de devenir "le mec à suivre", le prescripteur, parce qu'évidemment surtout sur les réseaux Non Anonymes, c'est comme d'habitude votre situation sociale (Sociale = Financière), qui fait de vous quelqu'un de fréquentable ou pas.
C'est pourquoi, il y a deux sortes d'Internet, de Réseaux, ceux où l'on est fiché par les histoires que l'on peut raconter, où l'on peut faire croire, que sa vie ne se résume pas à Metro, Boulot, Dodo, Chômage, où évidemment il faut dévoiler son identité, quitte à revêtir l'identité d'une personne imaginaire, celle que l'on aimerait bien être ?, ou de l'autre le seul moyen d'être plus ou moins équivalent, avec les autres, l'anonymat le plus complet, mais qui évidemment ne permet pas la moindre photo, le moindre nom.
Qui suis-je pour faire ce commentaire ?
Personne, et c'est très bien comme cela, s'il fallait obligatoirement s'inscrire, gérer un ou plusieurs Pseudo's, évidemment qu'à force, le commentaire ne serait plus, un passe temps occasionnel, en fonction du temps et de mon bon vouloir, des articles, mais une sorte d'obligation pour faire grandir un personnage, comme j'en suis sûr, certains se sentent obligés, pour ne pas déplaire à la communauté des "Amis" sur Facebook de faire évoluer, d'enrichir leur compte, même s'ils n'en ont pas vraiment l'envie.
Alors, en conclusion, la solution est pourtant toute simple.....sachez dire NON. -
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