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Réseaux sociaux : de l’addiction à l’addition, identité perdue (4/5)

Logué, surveillé, écouté, les réseaux sociaux font un peu de tout ça, mais clament vouloir respecter votre liberté, tout en induisant une nouvelle tendance qui pointe vers une identité unique.

A quel son de cloche se vouer ? Qui croire ? Quelle position ? Difficile de savoir sur quel pied danser face au discours totalement schizophrène des principaux acteurs du secteur. Google en tête qui déclare un jour que la protection de la vie privée est sa priorité principale puis, par la voix de son ex-PDG Eric Schmidt, que l’idée même de vie privée devait être, sinon totalement, abolie. Ou tout au moins réévaluée largement à la baisse, puisqu’il va jusqu’à suggérer que dans l’avenir, les gens auront peut-être l’occasion de « changer d’identité numérique » pour oublier leurs erreurs de jeunesse ? Et que dire des propos de Facebook qui répète à qui veut l’entendre que la vie privée est protégée, et fait dire à Randi Zuckerberg, la sœur de Mark alors directrice du marketing de Facebook, que « l’anonymat doit disparaître » ? Orwell aurait-il vu juste ?…

Vers une identité unique

Depuis des années, nombre de politiques, rejoints par une proportion croissante d’acteurs issus du secteur privé, nous expliquent qu’une identité unique et (biométriquement) sécurisée sur Internet, est non seulement souhaitable, mais aussi inéluctable. Et là, encore, le secteur privé pourrait s’avérer bien plus efficace que les pouvoirs publics pour faire accepter au public ce genre de mesure, tout comme il est parvenu à faire digérer le profilage biométrique, qu’aucun gouvernement n’aurait pu réaliser sans provoquer un tollé historique.

Google et Facebook ne se cachent plus de vouloir devenir un « service d’identité », autrement dit le véhicule unique à travers lequel vous exercerez votre identité en ligne, malgré la reculade de Google+ qui autorise désormais l’usage de pseudonymes. Cette démarche de « dé-anonymisation » a un intérêt multiple : légitimer la base de données officielle, canaliser les flux d’information, etc. La tentative de mainmise sur les systèmes de commentaires – des blogs et autres tierces parties – est éloquente. Aujourd’hui, même des solutions tierces comme Disqus (à quand le rachat ?) proposent de s’inscrire via un compte Facebook, Google+ ou autre, et de nombreux sites (comme Scribd, par exemple) proposent par défaut de se connecter sous son identité Facebook. Autant de mesures qui convergent, petit à petit, vers cette « identité unique de l’internaute ». Les avantages sont évidents : moins de mots de passe, facilité à partager des ressources d’un réseau à l’autre, etc. Mais là encore, quel sera le coût réel de ce petit confort ?


Par ordre de bulles :
– Bienvenue à vous, citoyens de Facebookia (sur le menton, on lit : MINISTÈRE DE LA VIE PRIVÉE)
– Il s’agit de votre pays, et de votre vie privée !!
– C’est pourquoi nous venons d’introduire un nouveau règlement !
– Par défaut, toutes vos infos sont désormais accessibles à tous? pas seulement à vos amis? mais tout l’Internet
– Pour protéger votre vie privée, partagez tout avec tout le monde !

Texte à l’écran :
La vie privée, c’est la sociabilité
Le secret, c’est le partage
L’intimité, c’est l’exhibition

Crédit : joyoftech.com

Transparence mais pas pour tous

Encore et toujours, la propagation des réseaux sociaux est présentée comme un progrès, comme une transition vertueuse vers une société plus « transparente ». Le rêve de Mark Zuckerberg serait, selon ses proches, de promouvoir une « société transparente », comme celle décrite par l’utopiste Américain David Brin. Une telle analyse, cependant, ignore la nature totalement univoque du panoptique : une « transparence » toujours plus totale est demandée aux utilisateurs. L’intermédiaire – la machine, la boîte noire de Facebook, Google et autres – reste pour sa part d’une opacité totale.

L’ère de la prédiction et de la surveillance totale

Histoire de rassurer ceux qui dénoncent depuis longtemps l’invasion programmée des « objets communicants » – bourrés de capteurs en tout genre – dans notre environnement comme une sérieuse dérive sécuritaire, le général Petreaus, le nouveau directeur de la CIA, a confirmé que son agence comptait bien intégrer tous ces progrès technologiques dans son arsenal de surveillance totale.

Après une décennie d’acclimatation « soft », il semblerait que les poids lourds entrent enfin en piste, histoire d’asséner sans prendre de pincettes un fait accompli : en raison de grandes orientations adoptées il y a déjà des décennies dans le secteur militaire, la société technologique EST consubstantiellement une société de surveillance. Bien malin ceux qui arriveront à dissocier l’une de l’autre.


Crédit : U.S. Army Staff Sgt. Lorie Jewel

Google, de son côté, a investi des sommes considérables dans Recorded Future, une société offrant des services de prédiction algorithmique. Pis encore, les technologies prédictives – bien réelles et d’une efficacité stupéfiante pour prédire certains phénomènes sur de larges éventails de population – sont désormais revendiquées ouvertement comme des pistes valides pour prédire les comportements criminels, le fameux concept de « pre-crime », une dérive si bien dénoncée par Philip K. Dick dans Minority Report qu’on la croyait tout jamais confinée aux romans dystopiques et autres avertissements formels. La série américaine Person of Interest, dont chaque épisode commence sur une voix off déclarant à peu de choses près : « le gouvernement connaît vos moindres faits et gestes », tombe également à point nommé.

L’observation automatisée du comportement, physique et mental, entre données biométriques et données prélevées sur la Toile, a permis à des sociétés, appartenant à ce mastodonte public-privé de la surveillance qui connaît un boom sans précédent depuis le 11 septembre, de commercialiser plusieurs solutions logicielles déjà « fonctionnelles ». Les solutions techniques permettant de rendre tous les types de flux d’information (trafic Internet, vidéosurveillance, autres systèmes de suivi : comme la RFID dans les transports, coordination des drones qui ne tarderont pas à suppléer la police américaine, mais aussi les polices européennes) interopérables et totalement « centralisables ». La mission du TIAO, pour Total Information Awareness Office, et de sociétés comme Palantir est en pleine gestation, tant dans le secteur privé qu’à travers un organisme européen semi-public comme le projet INDECT.

L’impasse dialectique

Naturellement, les défenseurs des technologies invasives – l’ex-PDG de Google Eric Schmidt en tête – ne manquent pas d’utiliser fréquemment un argument aussi éculé qu’absurde : « Si vous n’avez rien à vous reprocher, vous n’avez rien à cacher ». Mais même en admettant que la liberté de conscience est une valeur révolue, même si vous avez une confiance totale dans les structures de gouvernance actuelles, et dans les garde-fous pourtant bien malmenés des libertés civiles, qui peut se porter garant de l’avenir ? Quelle garantie avez-vous que les énormes pouvoirs acquis – et désormais irrévocables – par des gouvernements et des multinationales surpuissants ne seront pas utilisés à des fins déloyales dans l’avenir ? Aucune. Au contraire, un minimum de recul historique permet de conclure que de telles dérives constituent la norme, et non l’exception.


Quels garde-fous ?

Face à l’échec de toute forme d’autorégulation (selon les propres termes de la Commission Fédérale du Commerce (FTC) américaine), face à la concentration toujours plus extrême de l’industrie, oligopole aux allures de duopole, et la démission des gouvernements (malgré quelques efforts en Europe), que faire ? Confrontée à des actes de surveillance totalement illégaux sur le sol français (cartographie de tous les périphériques sans fil, écoute et enregistrement du trafic de données, etc.) par les Google Street Cars, la Cnil a condamné la société à verser une pénalité dérisoire de 100 000 € (soit environ six mois du salaire d’un chef de produit ou développeur senior chez Google). Tout cela après que Google ait commencé par nier publiquement les faits, puis maintenu qu’il s’agissait d’une erreur de code, avant de revoir sa copie et d’admettre que le prélèvement de données était délibéré. Cela mis à part, le slogan de Google est toujours « Don’t Be Evil »

Lisez les trois premiers volets de cette série d’articles :
Réseaux sociaux : de l’addiction à l’addition (1/5)
Réseaux sociaux comme outils : de l’addiction à l’addition (2/5)
Réseaux sociaux : de l’addiction à l’addition, sur écoute (3/5)

Dès demain, retrouvez la suite et fin de notre dossier.

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Nathan Sommelier