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‘ Pourquoi utilisons-nous Google si facilement sans nous poser de questions ? ‘

Traducteur de livres sur l’informatique et enseignant, Dominique Maniez prend à rebrousse-poil les tendances du Web dans son livre ‘ Les dix plaies d’Internet ‘.

Quel est le point commun entre Google, la blogosphère, Wikipédia, le ‘ journalisme citoyen ‘ à la Agoravox, Facebook ou encore le peer to peer ? Celui d’être de véritables
‘ plaies ‘ de l’Internet. C’est l’avis de Dominique Maniez, ancien journaliste informatique, traducteur et enseignant à l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques de
Villeurbanne, dans son récent livre Les dix plaies d’Internet : les dangers d’un outil fabuleux, sorti le mois dernier chez Dunod. Un ouvrage (Voir encadré à la fin de l’entretien) qui nous a donné
envie d’interroger son auteur. Qui réfute avoir écrit un réquisitoire contre la Toile et parle plutôt de réveiller l’esprit critique de chacun.01net. : Dans votre livre, vous épinglez Wikipédia, le Web 2.0, les blogs, la mode du tout-communautaire… Mais vous commencez en vous en prenant à Google et à ses usages. C’est ce qui a déclenché l’écriture du
livre ?



Dominique Maniez : J’ai traduit en français le livre Google Story, de David A. Vise, un journaliste du Washington Post, et qui retrace la saga technologico-financière de la
société. J’ai trouvé que le côté sombre de Google n’était pas du tout exploré. J’ai fait des recherches et me suis demandé : pourquoi utilisons-nous Google si facilement sans nous poser de questions ? Il y a des bibliothèques dont les
ordinateurs ont comme écran d’accueil la page de Google, des gens qui tapent les adresses des sites dans le champ de saisie de Google, et pas dans la barre d’adresses…Pourquoi, selon vous ?


Il faut être honnête : Google paraît pratique, c’est rapide, c’est gratuit… Je ne dis pas que c’est un mauvais moteur de recherche, mais que l’on en a une confiance déraisonnable et, surtout, irréfléchie.C’est un peu ce que vous reprochez à Wikipédia, non ?


Le fil conducteur de toutes ces ‘ plaies ‘, c’est un rapport avec le savoir, la connaissance et avec le rôle d’Internet dans la transmission de ce savoir. Tout le monde ne peut qu’être d’accord avec le fait de
partager la connaissance. Je doute simplement de l’efficacité du phénomène dont le problème principal est l’anonymat. Il faut des filtres. Le fait que tout le monde puisse s’exprimer, c’est bien, mais c’est une arme à double tranchant.Que les procès se multiplient contre les sites d’hébergement de contenus était alors inévitable ?


L’une des dernières affaires, celle initiée par l’acteur Olivier Martinez [contre Fuzz, NDLR], s’est soldée
par la condamnation du responsable du site. C’est un renversement radical de la Loi pour la confiance dans l’économie
numérique (LCEN), qui dit que l’hébergeur n’est pas responsable de ce qui est posté en ligne. Si ce jugement était confirmé, il y aurait une judiciarisation de l’Internet, ce serait grave. En même temps, la nature propre de ce que l’on appelle
le Web 2.0 encourage cette tendance.Etes-vous favorable à une LCEN 2 que les pouvoirs publics sont en train de préparer ?


Je suis pour responsabiliser les gens, pas pour plaider pour une nouvelle loi liberticide. Personnellement, par exemple, je suis pour bannir l’anonymat sur Internet.L’Internet actuel semble faire aussi des ravages dans les pratiques étudiantes, avec la généralisation de copier-coller tirés de Wikipédia-Google…


Quand j’étais étudiant, et qu’Internet n’existait pas, le copier-coller existait déjà. On recopiait des livres. Mais maintenant, on industrialise le processus. Il suffit de taper un mot-clé sur Google qui vous renvoie sur
Wikipédia.C’est un constat que vous faites personnellement, en tant qu’enseignant ?


Oui, bien sûr, mes collègues aussi.On entend souvent dire qu’à cause d’Internet les jeunes ne lisent plus et n’écrivent plus. Vous-même épinglez les blogs, les sites contributifs, etc. Or que fait-on avec tout cela si ce n’est écrire et lire ?


Au début de l’informatique, c’est vrai, il n’y avait que du texte. Mais vingt-cinq ans après, on en est à la vidéo sur YouTube. Et avec quelle qualité ! Quant aux blogs, quand on voit ce qui s’y écrit, ce n’est pas terrible.
Récemment, j’ai constitué un corpus de commentaires d’internautes sur un article du Monde.fr à propos du mariage du président de la République. Au total, 300 commentaires. La plupart n’apportaient rien, n’avaient pas
d’argumentation, sur une nouvelle qui n’a aucune importance. Alors oui, les gens écrivent, mais pour dire quoi ?Vous attendez la fin de votre livre pour évoquer les dangers pour la vie privée et le rôle de la Cnil. N’est-ce pas plutôt ça, la plus grande plaie de l’Internet ?


J’ai en quelque sorte voulu garder le meilleur pour la fin. J’ai été journaliste à la fin des années 1980 et je peux vous dire que la Cnil, dans les revues informatiques, on n’en parlait pas. Tout le monde s’en fichait. Or,
l’existence de la Cnil atteste du fait que la technologie n’est pas neutre. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus de savoir si on est dans une société à la Big Brother : on y est. Le problème est de savoir comment vivre avec.Pourquoi les gens s’y sont habitués ?


Parce qu’ils préfèrent donner leurs informations personnelles contre de la gratuité. Contre le mythe de la gratuité, plutôt. En réalité, vous échangez vos informations personnelles contre des services. C’est le prix à payer. De plus, on se
dit que l’on est déjà tous fichés, alors un peu plus un peu moins… Or, l’information donne du pouvoir. Les gens ne perçoivent pas cette portée politique. Si la rafle du Vel d’Hiv’ a pu avoir lieu, c’est qu’il y avait des fichiers. Certes pas
informatiques, mais des fichiers quand même.

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Propos recueillis par Arnaud Devillard