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Paris-Dakar en visiophonie

La première cabine publique de visiophonie de France relie le quartier parisien de la Goutte-d’Or à Dakar via le Net. Des voix, des visages et de l’émotion.

Devant l’écran du PC, Assane agite le doigt vers son interlocuteur. A l’autre bout de la webcam, au cybercafé Metissacana de Dakar (Sénégal), son correspondant lui répond d’une voix douce. Trop douce : il y a un retour d’écho dans le casque à Paris. “Une fois que c’est parti, explique Assane, ça marche plutôt bien. Après, je pourrais rester vingt heures devant l’écran, je ne me rends plus compte de rien.” Miracle de l’image animée et de la “tchatche” en direct : voici la première cabine publique de visiophonie via Internet, l’unique liaison Paris-La Goutte-d’Or/Dakar en son, image et… émotion.A Dakar, le copain s’en va, remplacé par Aïda, l’épouse d’Assane. La conversation reprend, en wolof, ponctuée de grands gestes, d’éclats de voix, de rigolade. A l’écran, le visage d’Aïda qui s’affiche au format timbre poste réagit à contretemps en raison du rafraîchissement irrégulier de l’image. Mais peu importe. “Voir les yeux, c’est essentiel, affirme Assane. Je sais tout de suite si on me raconte du charabia, si on me camoufle quelque chose, si la santé est bonne. Au téléphone, je suis frustré. La visiophonie, c’est un plaisir, une sucrerie.”

Effacer les distances

Voilà trois ans qu’ils vivent séparés, lui à Paris, elle à Dakar avec les enfants. Et trois mois qu’ils ne se sont pas vus sur Internet. Les manifestations du 1er mai, les élections en France, les cousins sans-papiers et puis tout le reste : le boulot, la santé, l’argent… Assane monopolise la ligne pendant trois heures, dont une bonne moitié gracieusement offerte par le maître des lieux, Jean d’Eudeville, créateur du Vis@vis, le fameux cybercafé de la Goutte-d’or, à Paris (XVIIIe).Ce cybercafé se situe juste en face de l’église Saint-Bernard, rendue célèbre par la grève de la faim des sans-papiers en 1996. L’un de ses animateurs, Aboubacar Diop, est aussi à l’origine de la renommée du Vis@vis, pour avoir vendu (très cher) à Jean-Marie Messier le droit d’utiliser le nom pour son portail Internet, Vizzavi. Mais Jean d’Eudeville et son associé, Noël Audrain, revendiquent seuls la paternité du lieu. “Aboubacar Diop s’est greffé à nous pour une courte période, sans doute surmédiatisée. Nous, on voulait créer le premier cybercafé proposant un vrai service de visiophonie.” Pourquoi à la Goutte-d’Or ? “Pour se rapprocher d’une population immigrée qui dépense beaucoup d’argent au téléphone, notamment avec l’Afrique.” Avec un argument tout trouvé : la visiophonie coûte moins cher que le téléphone, et offre l’image en plus. Cet “entrepreneur-épicier”, comme il se décrit lui-même, croit au développement de son service à destination des égarés de la mondialisation. Né avec la vague start-up, il n’a de commun avec elle que le goût de la technologie. Même pas celui du gadget : l’équipement de la cabine publique se limite à une webcam achetée 150 euros, un casque-micro, un PC à 400 GHz et NetMeeting, logiciel gratuit agrémenté d’un développement maison : une interface dotée d’un compteur-interrupteur. Astucieux. Une première liaison a été ouverte avec Dakar. Une seconde débute ces jours-ci avec Tombouctou, ville sainte du Sahara reliée par satellite depuis le Mali ! La mise en place d’un réseau de cabines publiques de visiophonie à travers le monde se révèle plus ardue qu’il y paraît. Une à deux fois par an, Jean d’Eudeville se balade en Afrique de l’Ouest, son cahier des charges sous le bras, à la rencontre de partenaires potentiels. Pour ouvrir une destination, le poste équipé d’une webcam doit avoir une adresse IP fixe (en clair : un numéro d’identification fixe sur le réseau mondial).Or, la plupart des cybercafés, même en Europe, se contentent d’une seule adresse IP, partagée via un routeur entre tous les ordinateurs reliés par un réseau local. Une liaison à haut débit est ensuite nécessaire pour transporter sur la Toile les données audio et vidéo de la visiophonie. Enfin, les cybercafés doivent pouvoir gérer à distance un planning commun de rendez-vous, tenir compte du décalage horaire, proposer des tarifs raisonnables (lire encadré). Et prévoir un minimum d’intimité autour de la cabine.

Plus de questions que de connexions

Avec seulement quatre ou cinq connexions par semaine, le début est progressif, mais prometteur. “Il nous reste à vaincre un certain scepticisme. Et le bouche à oreille ne fonctionne pas si bien que ça “, admet Jean d’Eudeville. Pourtant, de nombreux curieux tournent autour du poste de visiophonie et posent des questions. Michel est venu après la lecture d’un article. Ce sosie de Guy Bedos a conservé de la famille de l’autre côté de la Méditerranée. “Si ça existait avec Alger, je reviendrais !”Seul dans son monde, affalé dans le fauteuil, Assane, lui, souffle un bisou sur son doigt et l’envoie à l’image d’Aïdawww.visavis.tm.fr

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André Mora