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NetCentrex : une voix en or

Sa technologie est certes “pointue”, mais les financiers y croient dur comme fer. A Caen, un nouvel Alcatel français est en train de s’imposer sur le marché de la téléphonie par l’internet.

Olivier Hersent se souvient encore de ce matin de juillet où, pour la première fois, son voisin de palier lui a adressé la parole. “Ah ? Vous créez une start-up ? Ça ne va pas durer, ce truc…” Lourde erreur !Quatre mois après cette rencontre, NetCentrex, l’entreprise fondée par Hersent, est devenue l’une des plus belles perles de l’internet business en France. Equipe solide, technologie innovante, vision stratégique ambitieuse : à Caen, près de la colline aux Oiseaux, un nouvel Alcatel du Net est né. De prime abord, l’entreprise paraît tout aussi mystérieuse que le produit qu’elle commercialise. Un nom complexe : “commutateur de services vocaux sur IP”. Un aspect peu attractif : une boîte noire de 50 centimètres de haut à plusieurs étages. Et une technologie, la téléphonie sur le web, alias IP, que monsieur Tout-le-monde ne connaît pas et utilise encore moins.

Le produit : les avantages de la téléphonie IP sans les inconvénients.

Un commutateur IP sert à téléphoner n’importe où dans le monde en empruntant non plus sa ligne téléphonique classique, mais l’internet (voir le graphique page suivante). Intérêt ? Le coût, presque nul pour l’utilisateur. En effet, sur le réseau numérique, celui des ordinateurs, un appel peut durer des heures sans coûter plus cher : seule la communication jusqu’à la passerelle de l’opérateur internet (qui transforme les données vocales en données numériques et inversement) est facturée. Cette dernière se situant en général dans une zone de taxation locale, les coûts sont faibles. Appeler en IP de Lyon à San Francisco n’est donc pas plus cher que de téléphoner de Lyon à Pau.Un atout appréciable, mais insuffisant. Car l’utilisateur attiré par la quasi-gratuité de l’IP devait jusqu’à présent renoncer aux services proposés sur son combiné classique (signal d’appel, renvoi, répondeur, etc.) et tolérer une qualité sonore franchement défaillante. Difficile d’abandonner le téléphone classique pour un mauvais talkie-walkie version web. C’est ici qu’intervient la révolution NetCentrex.Son commutateur IP permet d’aiguiller les appels sur le réseau internet et d’y associer les mêmes services que ceux offerts sur le couple classique téléphone-messagerie. Avec quelques options en prime. Par exemple, si la ligne est occupée, l’appel de l’émetteur déclenche automatiquement un e-mail d’alerte sur l’ordinateur du destinataire, qui peut l’écouter en cliquant dessus. Le tout avec une qualité de son comparable à celle du téléphone. Il suffit d’ajouter une webcam, et le destinataire du message peut voir son correspondant.

L’équipe : encore trop d’ingénieurs et pas assez de commerciaux.

Un fonctionnaire-entrepreneur, ça existe ! A la fin de ses études (X-Télécoms), Olivier Hersent est muté au département téléphonie en ligne du Cnet (France Télécom), à Rennes. Les chercheurs y planchaient sur la technologie IP depuis 1996. Avec son équipe, Hersent met au point le prototype du commutateur NetCentrex… et réalise un coup de maître : il rachète à son employeur la technologie pour l’exploiter au sein d’une structure indépendante. Pas simple. En effet, à terme, la téléphonie sur IP remet en cause la position… de France Télécom lui-même.Olivier Hersent obtient pourtant gain de cause. Il crée http://www.Netcentrex.net en décembre 1998. En échange, France Télécom acquiert des bons de souscription d’actions pour 10% du capital. Technocom, filiale de l’opérateur français, prend une autre tranche de 10%. Dans le deal, Olivier Hersent est autorisé à débaucher un salarié. Bernard Jannes, ex-ingénieur consultant chez Cap Gemini, se laisse convaincre… mais ne veut pas quitter Caen. Un commercial, Dominique Lafranchi, ex-Newbridge (un équipementier), vient rejoindre l’équipe, bientôt complétée par un manager “crédible” et capable de convaincre les investisseurs : Hervé Goguely, ex-Cisco. Aujourd’hui, NetCentrex emploie 115 personnes dont 80 ingénieurs. Trop de scientifiques, pas assez de commerciaux ? “On va se corriger à ce niveau-là”, promet Olivier Hersent.

Le business model : vendre, mais aussi louer.

Le gros poste de coûts chez NetCentrex est le salaire des 80 ingénieurs. Côté recettes, les revenus proviennent de la vente du produit, un logiciel “emballé” dans du matériel acheté chez un fournisseur de hardware, par exemple Dell. Seconde source de revenus : le hosting. Il s’agit des sommes tirées de la location de la technologie NetCentrex à des clients qui ne souhaitent pas encore acheter. NetCentrex héberge les machines et facture les clients selon le volume des transactions. Résultat : 3 millions de francs de chiffre d’affaires en 1999 et 100 millions prévus en 2000. Les clients ? Tiscali en Italie, Pagoo ou Genuity aux Etats-Unis. Et ce n’est qu’un début, car le marché est prometteur : 6 milliards de francs prévus en 2002 par les experts de Forrester.

Le marché : les particuliers, mais aussi les entreprises et leurs centres d’appels.

“Dans un an, les particuliers reliés au web par le câble ou l’ADSL utiliseront la voix sur IP”, prédit Olivier Hersent. Les entreprises, elles, vont suivre. Pour l’instant, téléphoner sur IP reste cher : de 6 000 à 20 000 francs par mois, en raison du coût des lignes spécialisées nécessaires pour la connexion internet. Mais, selon Olivier Hersent, les prix vont baisser. De plus, en fusionnant avec MG2, leader dans la technologie des centres d’appels, NetCentrex s’est ouvert le marché des grandes entreprises qui veulent, à terme, mettre ce service sur IP.

La concurrence : des poids lourds qui ont la confiance des opérateurs.

“En France, NetCentrex est premier, mais Lucent, Alcatel, Nortel ou Ericsson se préparent”, dit Arnaud Amouyal, consultant chez Devoteam, un cabinet spécialisé. Le produit du français est prêt, mais les “gros” sont bien introduits chez les opérateurs. Ils apparaissent plus viables, techniquement plus fiables. “Nous sommes en concurrence avec des monstres : nous devons grossir”, admet Olivier Hersent.En tout cas, les financiers y croient. Si beaucoup de start-up ont du mal à boucler leur second tour de table, NetCentrex, qui avait levé 7,3 millions de francs “seulement” lors de sa création, a récolté 85 millions lors de son deuxième tour (Intel, Crescendo Ventures et Newbury Ventures) en décembre 1999. “Nous tenons là l’une des plus belles start-up de ces dix dernières années”, affirme Christophe Chausson, PDG de Chausson Finance, qui a organisé les tours de table de l’entreprise.Des chiffres ? Valorisée à 20 millions de francs lors du premier tour, 200 millions lors du deuxième, NetCentrex vaudrait, selon les estimations de financiers initiés, 2 milliards de francs aujourd’hui… Si elle entre en Bourse en 2001, le voisin d’Olivier Hersent pourra toujours se consoler en achetant quelques actions.

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Fabiola Flex