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(Mise à jour) Loi de l’Internet : ce qui va changer

La deuxième lecture de la loi Fontaine s’est terminée hier soir. Parmi les points chauds : Internet sort de la sphère du CSA et les prestataires techniques se voient transformés en juges de proximité.

Présenté à l’origine comme devant rassurer l’e-consommateur (d’où son intitulé) et dynamiser le commerce en ligne, la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) a suscité des débats bien plus larges dès sa présentation, le
15 janvier 2003.A la fois loi fondatrice d’un droit de l’Internet, loi anti-spam, loi sur le commerce électronique, loi sur la lutte contre la criminalité sur le web, tout en transposant (avec un gros retard) la directive européenne de 2002 sur le
commerce électronique, ce texte ne pouvait que déchaîner les passions.Il est arrivé mercredi 7 janvier à l’Assemblée nationale, pour une deuxième lecture qui s’est conclue hier soir. Tour d’horizon des dispositions les plus riches en débat avant un dernier passage au Sénat.

Passage mouvementé de l’Internet dans le giron du CSA

Dans le texte d’origine : La LEN définit Internet comme ‘ communication audiovisuelle transmise sur demande individuelle formulée par un procédé de télécommunication ‘. Le
terme audiovisuel fait aussitôt tiquer, des associations d’internautes aux marchands en ligne en passant par l’Autorité de régulation des télécommunications, et même la ministre déléguée à la Recherche, Claudie Haigneré. Il implique, en effet, que
l’Internet relève de la loi de septembre 1986 sur l’audiovisuel et puisse être régulé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).Les sénateurs s’empresseront de corriger le tir. Leurs modifications limitent explicitement l’autorité du CSA à la radio et à la télévision sur Internet.Après la deuxième lecture par les députés : Malgré l’insistance du gouvernement, les députés ont évacué la référence à l’audiovisuel. Internet devient une ‘ transmission, sur demande
individuelle, de données numériques n’ayant pas un caractère de correspondance privée, qui s’appuie sur un procédé de télécommunication permettant un échange réciproque d’information entre l’émetteur et le
récepteur ‘
.Qui cela intéresse : Placer Internet dans le giron du CSA permettait au gouvernement de faire vite : il avait ainsi une autorité et un cadre juridique tout prêt. Cela arrangeait aussi les industries culturelles
(notamment le Comité de liaison des industries culturelles), qui s’inquiètent de plus en plus du piratage. Le lobbying de ces dernières n’a pas réussi, les députés préférant s’en remettre à l’avis de la grande majorité des acteurs d’Internet. Il y
aura un droit spécifique de la Toile. Retournant les arguments des industries culturelles contre elles-mêmes, les députés ont estimé que la lutte contre le piratage méritait un débat propre, non des mesures relevant de la précipitation.

Les prestataires techniques, juges de proximité ?

Dans le texte d’origine : Les ‘ prestataires techniques ‘ sont responsables des contenus illicites en ligne et doivent les retirer ou en interdire l’accès dès qu’ils en
ont connaissance, sous peine de sanctions civiles ou pénales.Hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet sont ainsi investis d’une mission de justice avant même l’intervention des juges. S’y ajoute la difficulté à savoir qui a eu connaissance de quoi et quand, ainsi que l’imprécision des termes
‘ prestataire technique ‘.Après la deuxième lecture par les députés : Les députés ont réintégré ces mesures, assouplies par le Sénat (qui demandaient que les prestataires réagissent uniquement après avoir été avertis). De fait, les hébergeurs
se voient attribuer une mission de recherche de contenus illicites, puisque le seul fait de les héberger est un délit. A cela s’ajoute la difficulté technique du filtrage.Qui cela intéresse : Beaucoup, comme la Ligue Odebi (association d’internautes), voient dans ces mesures la main de l’industrie du disque, prête à tout pour endiguer les échanges illégaux de fichiers musicaux et
accusant les FAI de faire du téléchargement un argument de vente pour le haut-débit. Pour le Gouvernement, c’est aussi une façon de montrer qu’il fait quelque chose contre la pédo-pornographie sur le web.

Entre interdiction du spam et entrave au secteur du marketing direct

Dans le texte d’origine : La prospection directe par mail est autorisée si le destinataire a consenti au préalable à figurer dans les listings marketing, s’il a toujours la possibilité de s’opposer à un futur
démarchage électronique dans le mail de prospection qu’il reçoit et si la prospection, une fois acceptée, concerne la vente de produits ou de services ‘ analogues ‘ à ceux d’une précédente transaction. Cette dernière
restriction limitant grandement l’intérêt de tenir un listing.De plus, le texte ne fait pas de distinction entre personnes morales et personnes physiques, ni entre les fichiers constitués légalement avant la loi et ceux qui le seront après. D’où la nécessité pour les professionnels d’envoyer un
mail à tous leurs contacts pour se mettre en conformité avec ces nouvelles dispositions. Ce qui revient à pratiquer le spam pour endiguer le spam… Se pose également un problème de rétroactivité.Après la deuxième lecture par les députés : Le consentement préalable ne s’applique plus qu’aux personnes physiques. La Cnil est explicitement habilitée à recevoir les plaintes de particuliers ayant reçu des mails
marketing sans y avoir consenti au préalable. Concernant les fichiers loyalement constitués, leurs détenteurs auront six mois après publication de la loi pour solliciter le consentement de tous ceux qui y figurent.Qui cela intéresse : Demi-victoire pour les marchands en ligne et les professionnels du marketing. Ils obtiennent l’abandon du consentement préalable pour les entreprises entre elles. Mais s’ils conviennent que le
spam est un fléau, ils devraient continuer à protester (via l’Acsel pour le commerce en ligne, et la Fevad pour la vente à distance) contre les imprécisions de ces mesures. Dès le début, ils y ont vu à la fois une entrave à leurs activités et une
injustice, dans la mesure où sont mis dans le même sac fichiers constitués loyalement et fichiers sauvages.Sauf que la phase transitoire de six mois pour mettre à jour les fichiers déjà constitués, concerne les coordonnées recueillies ‘ à des fins de prospection ‘. Un distingo serait donc
possible entre les fichiers prospects et les fichiers clients… Soit le Sénat clarifie la chose, soit il faudra faire avec un problème d’interprétation.

Les collectivités territoriales en mini-France Télécom

Dans le texte d’origine : C’est en sortant de sa première lecture au Sénat que la LEN a été augmentée d’une série de dispositions autorisant les collectivités territoriales à se faire opérateurs de télécommunications.
Dans les grandes lignes, les collectivités peuvent acheter des droits d’usage ou se servir de réseaux existants, mais le tout dans le respect du jeu de la concurrence. Pourtant, elles ne peuvent à la fois être opérateur et octroyer les droits de
passage permettant l’établissement de réseaux de télécommunications.Après la deuxième lecture par les députés : Les députés ont confirmé les ajouts des sénateurs. Les collectivités territoriales deviennent, uniquement sur leur propre territoire, ‘ opérateurs
d’opérateurs ‘. C’est-à-dire qu’elles pourront exploiter des réseaux de télécommunications, mais dans le cadre d’un partenariat avec un autre opérateur qui, lui, sera chargé de fournir le service aux consommateurs.Les collectivités s’attribuent ce rôle seulement lorsqu’un manque d’initiative privée a été constaté (à la suite d’un appel d’offre infructueux).Qui cela intéresse : Pour les pouvoirs publics, il s’agit de combler les disparités géographiques en matière de couverture ADSL. France Télécom l’a reconnu mardi,
en conférence de presse : il a beaucoup combattu ces dispositions. Dans les zones mal ou non desservies (notamment les zones rurales jusque-là jugées non rentables par
l’opérateur), les collectivités pourront prendre la main, mais en s’associant aussi bien avec France Télécom qu’avec l’un de ses concurrents.

La tarification à la seconde devient la norme

Dans le texte d’origine : L’obligation de tarification à la seconde ne figurait pas dans le texte d’origine du projet de loi. C’est le rapporteur Jean Dionis du Séjour (UDF) qui, convaincu par les arguments de
l’UFC-Que Choisir, notamment, a proposé d’ajouter un amendement avant la deuxième lecture à l’Assemblée.Il impose aux opérateurs de téléphonie fixe et mobile de mettre fin au crédit temps et aux paliers tarifaires, et de concevoir des offres facturées à la seconde dès la première seconde.Après la deuxième lecture par les députés : L’amendement a été adopté à l’unanimité.Qui cela intéresse : Grande victoire pour l’UFC-Que Choisir, à l’origine de cet amendement. L’association de défense des consommateurs dénonçait l’impossibilité pour les abonnés de comparer les prix en téléphonie,
ainsi que les publicités quasi mensongères des opérateurs. Le vote de cet amendement est un revers cinglant pour ces derniers.L’obligation de tarification à la seconde pourrait créer un petit séisme dans le monde des tarifs télécoms. Seul Télé 2 s’est déclaré favorable à cette évolution. France Télécom, SFR et Bouygues Telecom n’ont pas réussi,
malgré leur lobbying, à infléchir la décision des députés. Le gouvernement lui-même s’est déclaré défavorable à un tel amendement, estimant qu’il s’ingérait trop dans la politique commerciale des opérateurs.(MISE A JOUR)

L’e-mail ne relève plus de la vie privée

Dans le texte d’origine : Seule la ‘ communication publique en ligne ‘, c’est-à-dire Internet, était définie, pas les courriers électroniques. C’est le Sénat qui a comblé
cette lacune, dans le chapitre consacré au spam, en reprenant la définition de la directive européenne de 2002 sur les données personnelles.Après la deuxième lecture par les députés : Les députés déplacent la définition en tête de la loi. Un amendement adopté en Commission prévoyait de qualifier les e-mails de ‘ correspondance
privée ‘
. Cette mention a été supprimée lors du vote. Désormais, ‘ on entend par courrier électronique tout message sous forme de texte, de voix, de son ou d’image envoyé par un réseau public de
communication stocké sur un serveur du réseau ou dans l’équipement terminal du destinataire jusqu’à ce que ce dernier le récupère. ‘
Qui cela intéresse : C’est un sous-amendement de dernière minute de Patrick Ollier, député UMP et président de la Commission des affaires économiques, qui évacue la notion de correspondance privée. La raison en a été
donnée sans fard en séance : on fait sauter un verrou au bénéfice de l’industrie musicale et cinématographique qui pourront traquer les fichiers piratés jusque dans les e-mails des particuliers, au nom du respect des droits d’auteur. Malgré
tout, cette définition respecte à la lettre la directive européenne de 2002. Elle sert aussi à éviter de donner un statut de correspondance privé au spam et autres e-mails commerciaux et marketing. Il reste que la mesure est assez brutale et répond
à une demande pressante, d’autant moins justifiée qu’elle empiète sur le débat parlementaire à venir consacré justement à la copie privée et aux droits d’auteur.

Les élections professionnelles par voie électronique

Dans le texte d’origine : Le vote électronique n’avait pas du tout été évoqué jusqu’à la deuxième lecture par les députés.Après la deuxième lecture par les députés : Dans un flot d’articles disparates ajoutés à la queue leu leu en fin de texte, le vote électronique entre dans la loi. Il concerne les élections professionnelles
mais laisse aux partenaires sociaux le soin d’en définir entre eux les modalités : vote en ligne à distance ou installation d’un kiosque à voter.Qui cela intéresse : Une proposition de loi des sénateurs, votée par les deux assemblées, sur le
vote des Français de l’étranger avait préparé le terrain. Le ministre de l’Intérieur s’était ensuite prononcé pour une
expérimentation du vote électronique, au moment où le Forum des droits de l’Internet rendait publique une recommandation pour le vote électronique dans les élections professionnelles.
Celle-ci a été reprise à la lettre dans la loi.

Pirater nuit à la santé des droits d’auteur

Dans le texte d’origine : Le piratage, même s’il inspirait en filigrane certains articles, n’était pas explicitement cité.Après la deuxième lecture par les députés : Un nouvel article, proposé par Pierre-Christophe Baguet (UDF), apparaît : ‘ Quel que soit le support, toute publicité et toute promotion de
téléchargement de fichiers des fournisseurs d’accès à Internet doivent obligatoirement comporter une mention légale facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique ‘
.Qui cela intéresse : Il s’agit clairement de satisfaire les industries du disque et du cinéma, les plus touchées par le piratage sur Internet et excédées de voir les FAI faire du chiffre d’affaires en vantant les joies
du téléchargement avec le haut débit. Argumentation reprise point par point par Pierre-Christophe Baguet en séance. ‘ Les internautes n’étant pas toujours conscients des effets de leur conduite, cette mesure de prévention et
de pédagogie me semble s’imposer ‘
, a-t-il ajouté. Cette mesure, qui fait penser aux mentions légales imposées sur les paquets de cigarettes, complète celles sur la responsabilisation des prestataires, en attendant les débats
sur les droits d’auteur.

Le contrôle tarifaire de France Télécom au régime allégé

Dans le texte d’origine : Ce n’est pas la LEN mais le projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom qui devait aborder la question du contrôle tarifaire de France
Télécom. Deux amendements avaient été déposés en ce sens par les députés, mais le ministre de l’Economie et des Finances, Francis Mer, a proposé de les intégrer à la LEN, ce qui a été finalement décidé.Après la deuxième lecture par les députés : La Commission des affaires économiques de l’Assemblée a déposé deux amendements qui allègent le processus d’homologation des tarifs et limitent désormais le pouvoir de l’ART.
Le président de la Commission, Patrick Ollier, ne s’est pas retenu d’égratigner le régulateur : ‘ Le régulateur doit consacrer son énergie à la part non concurrentielle du marché, sans perturber la concurrence là où elle
peut s’exercer fructueusement. Or, aujourd’hui, le régulateur compromet le bon fonctionnement des entreprises ‘
.Les députés ont adopté les deux amendements, sans qu’il y ait de réel débat sur un sujet pourtant sulfureux. Un des amendements modifie le code des postes et télécommunications : ‘ Un décret en Conseil d’Etat précise
les cas dans lesquels les tarifs du service universel peuvent faire l’objet d’une opposition ou d’un avis préalable de l’Autorité de régulation des télécommunications ‘
. L’ART ne contrôlera donc plus tous les tarifs relevant
du service universel, mais seulement une partie. L’autre amendement concerne les tarifs hors service universel et impose deux limites au pouvoir du régulateur. Ce dernier ne pourra s’opposer à la mise en ?”uvre d’un tarif que par une décision
économiquement motivée. Et les services innovants, qui seront définis par un décret en Conseil d’Etat, ne pourront plus être encadrés.Qui cela intéresse : Grande victoire pour France Télécom, l’allègement du contrôle des tarifs étant l’un de ses plus vieux chevaux de bataille. Jusqu’à présent, l’opérateur devait soumettre ses tarifs à l’ART, dès lors
qu’ils relevaient du service universel ou d’un marché qui n’était pas suffisamment en concurrence. L’avis de l’ART exposé, les tarifs étaient homologués par le gouvernement, qui pouvait décider de suivre ou non l’avis du régulateur. La régulation
des tarifs se fera désormais a posteriori, sauf modification du texte par le Sénat, et non plus a priori.Nicole Fontaine a soutenu ces amendements, estimant que ‘ cela favorisera une diffusion rapide de l’innovation ‘ et que ‘ beaucoup de décisions tarifaires ne posent
pas de difficultés particulières et il n’y a pas de raison de retarder leur application
. Les opérateurs alternatifs, eux, ne vont pas manquer de fulminer puisque France Télécom disposera d’une plus
grande liberté.Les inquiétudes étaient vives avant l’examen du texte, les réactions le seront autant. Des rebondissements dans ce dossier ne sont pas totalement à exclure, néanmoins. Tout d’abord parce qu’il faut attendre la parution des décrets pour
connaître la liste et la définition des tarifs concernés. Par ailleurs, il reste une part de flou dans ce dossier, puisque le gouvernement devra transposer dans le droit français les directives télécoms européennes, qui imposent de redéfinir le
pouvoir du régulateur.Autre consécration pour France Télécom : l’amendement lui imposant une séparation comptable des activités de services et de réseau (comme à la SNCF) a été retiré.

Les numéros d’appel gratuits aussi pour les mobiles

Dans le texte d’origine : Aucune disposition ne portait sur le cas des numéros gratuits ou à tarification spéciale (numéros Azur, par exemple) appelés depuis un mobile.Après la deuxième lecture des députés : Un amendement adopté par les députés stipule que ‘ les tarifications particulières des appels émis depuis le réseau fixe vers les numéros ou services
spéciaux sous la forme
‘0800’ dits ‘non géographiques’ et tels que définis et référencés par l’ART, s’appliquent également aux appels émis depuis un terminal mobile ‘.Qui cela intéresse : Après l’adoption de la tarification obligatoire à la seconde, le vote de cet amendement est une autre excellente nouvelle pour les utilisateurs de téléphone mobile, qui subissaient une forme de
discrimination, puisqu’un numéro gratuit leur était quand même facturé (décompte de la carte ou facturation de la communication en dehors du forfait). Le député Yves Simon (UMP) a voulu y mettre fin en déposant cet amendement :
‘ Beaucoup de services publics sont désormais accessibles par appel gratuit ?” les numéros
Verts ?” ou à tarif réduit ?” les numéros Azur.
Il conviendrait
d’étendre ces tarifs spéciaux aux appels émis depuis un terminal mobile. Il n’est pas rare qu’un usager à ressources modestes appelant un service public épuise le crédit de sa carte prépayée avant d’avoir pu obtenir le renseignement
demandé ‘.
Les opérateurs de téléphonie mobile vont évidemment tiquer : ils seront contraints denlever une astérisque en bas de leurs fiches tarifaires (celle des fameux appels vers les ‘ numéros
spéciaux ‘).

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Arnaud Devillard et Guillaume Deleurence