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Maryvonne Cronier (CNAMTS)

‘ Il ne suffit pas de choisir la bonne technologie, il faut disposer d’informaticiens possédant une vue transversale ‘

Elle vient de plier l’informatique de l’assurance maladie aux impératifs de la nouvelle réforme. Mais si sa grande connaissance de la technologie est un atout, Maryvonne Cronier parle avant tout d’outils à mettre au
service des usagers.01 DSI : Nous rencontrons peu de femmes DSI. Y a-t-il une raison connue à cela ?


Maryvonne Cronier : Ce n’est pas spécificique aux DSI. En fait, la proportion est la même que dans les autres postes à responsabilités en France. Cela s’explique sans doute par une certaine
‘ discrimination ‘ de la population masculine dirigeante française.


Il faut dire aussi que c’est un métier très difficile, où l’on prend des coups tout le temps. A une époque, certains disaient d’ailleurs que DSI voulait dire ‘ Direction systématiquement
incriminée ‘. Je ne pense pas que l’on puisse faire de l’informatique sans être passionné. L’avantage du métier de DSI est qu’il touche à la fois à la technique et à tous les métiers de l’entreprise.
Il faut posséder une culture très large, sans être expert, et s’intéresser à tous les métiers pour comprendre les interactions et les flux. C’est passionnant.Passer d’un groupe informatique à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), est-ce un grand changement ?


DSI chez Bull ou à la CNAMTS, c’est à la fois pareil et très différent. Chez Bull, il existait beaucoup de filiales. Pour préparer le passage à l’an 2000, il a fallu passer d’une quarantaine de systèmes de
facturation à un seul. A la CNAMTS, le système est assez monolithique. Il y a 1800 programmes spécifiques, développés en interne. Les mêmes programmes fonctionnent dans les 9 centres d’exploitation. Mais la CNAMTS regroupe près de
200 organismes, dont 128 caisses primaires d’assurance maladie et des entités comme les unions régionales des caisses d’assurance maladie, les caisses générales de sécurité sociale, ou l’union de gestion des
établissements de l’assurance maladie. Dans le périmètre qui me concerne, cela fait près de 88 000 utilisateurs pour 1500 informaticiens, DSI et production.Quelle était votre mission lorsque vous avez pris vos fonctions ?


J’ai remplacé une personne qui avait une double fonction financière et informatique. Je suis arrivée pour prendre en charge l’informatique alors que l’assurance maladie venait de démarrer son schéma directeur pour
2000-2004. A l’origine, il y a eu 32 centres d’exploitation régionaux, puis 16, et il fallait les réduire à 9. Ceci avait conduit à une réorganisation pour reconvertir les autres en centres de qualification, en centres de support,
en centres de gestion de réseaux.


Sur la partie technique, il y avait une mission claire : tout passer sous Unix. La CNAMTS utilisait des mainframes Bull et IBM, aux architectures vieillissantes, et des bases de données n’exploitant pas les dernières
techniques. J’avais notamment pour mission de trouver une solution pour passer des mainframes à Unix.Comment avez-vous procédé ?


Il m’a semblé évident qu’il fallait procéder par étapes, un Big Bang n’étant pas une solution pour la CNAMTS. Nous avons défini un chemin de migration vers Unix et défini des paliers successifs. Nous avons commencé par
déconnecter les bases de données des applications, en mettant en place une base relationnelle sous Unix tout en laissant la majorité des applicatifs batch sur les mainframes. L’accès aux données s’est fait à travers un lien
mainframe-Unix.


L’avantage de cette architecture, c’est qu’il a été possible de mettre en place en parallèle de nouvelles applications en technologie ‘ n-Tiers ‘. A côté du serveur de données, on a des
serveurs d’applications, des serveurs de présentation, ce qui a permis de développer toutes les nouvelles applications en mode client léger Web, sans casser les chaînes existantes. L’évolution se fait petit à petit.Quel système de gestion de base de données avez-vous choisi ?


Nous avions des grands systèmes IBM DB2, d’autres Bull IDS2, et Oracle était la seule base de données fonctionnant dans les deux environnements. Il n’était pas question de partir sur deux bases différentes.A quoi ressemble votre parc aujourd’hui ?


La migration sous Unix a entraîné le passage sur de nouvelles machines. Nous exploitons des grands systèmes PowerPC, répartis entre IBM et Bull. Il s’agit des mêmes machines sous Unix, afin de profiter du même socle technique. Pour
d’autres types d’activités, comme l’informationnel, nous employons des machines Sun. Notre stratégie est de développer en Java pour pouvoir porter les programmes sur tout type de plate-forme Unix. Voilà pour les serveurs de
données.Les applications n-tiers Web sont-elles sous Unix ?


Elles sont bâties sous Unix ou Linux, ce dernier présentant l’avantage de tourner sur des plates-formes standards Intel, moins coûteuses. Je n’ai pas une stratégie de logiciel libre à tout crin, je reste pragmatique.
D’ailleurs, dans une partition de machine IBM ou Bull, vous faites fonctionner sans problème du Linux. De même avec des machines Sun. Au-delà, c’est le rapport qualité-coût et facilité d’exploitation qu’il faut analyser.
On peut obtenir de très bons résultats en installant des collections de serveurs lames en frontal, que l’on pourra faire évoluer en fonction de la puissance requise. Mais là, en exploitation, vous avez trente à quarante machines à
administrer, alors qu’avec une grosse machine, vous avez un seul serveur, mais multipartitions à l’intérieur. C’est plus facile à exploiter, mais plus cher. Le choix entre les deux technologies se résume à une question de limite
économique.Y a-t-il de réels avantages avec Linux ?


Il y a deux choses de bien avec Linux. Je ne parlerai pas de la ‘ phobie ‘ libertaire ?” ce n’est pas mon truc. Tout d’abord, vous n’êtes plus lié à la volonté d’un seul
fournisseur, vous n’êtes plus dans une relation monopolistique. Ensuite, pour un organisme public, cela simplifie les choses. Comme c’est libre, vous n’êtes pas obligé de passer par de longs appels d’offres pour obtenir
une nouvelle fonctionnalité. Vous êtes donc beaucoup plus réactif.


Un exemple, pour imprimer à partir d’un poste de travail sans avoir à gérer tous les types d’imprimantes, le format le plus simple est le PDF. Pour le faire, il faut pouvoir mixer feuille de style et données en XML. En
libre il existe un module, FOP, qui le fait très facilement. S’il avait fallu un appel d’offres, vous imaginez le temps que cela m’aurait pris.


Le libre est très intéressant dans toute la partie infrastructure, je suis moins convaincue en ce qui concerne le poste de travail, le ROI reste encore à démontrer. Aujourd’hui, les utilisateurs connaissent les outils
bureautiques ?” les macros d’Excel fleurissent un peu partout… ?” et les reformer à une nouvelle plate-forme implique des coûts et des délais. Alors que sur les couches d’infrastructure, le ROI est évident.
Enfin, la fiabilité de Linux en exploitation est remarquable. Sur le poste de travail, avez-vous installé un client léger ou un client riche ?


Pour les postes de travail, on est resté sous Windows et avec un client Web. Client léger non, client riche non plus, je préfère le client smart. Le client riche s’exécute sur le poste de travail, ce qui me convient, mais il
faudrait qu’il s’auto-installe et gère lui-même les changements de version. Le client smart répond à ces deux exigences. De plus, il permet de bénéficier de la puissance de traitement du poste. Pour moi, le poste client idéal,
c’est un poste sans installation par un administrateur et qui permet de travailler à travers un navigateur. Le libre offre avec Mozilla une solution séduisante pour le navigateur et le client de messagerie, que nous sommes en train
d’adopter.La migration se termine en 2005, avez-vous déjà un bilan ?Jusqu’à présent, la migration s’est déroulée sans aucun arrêt d’exploitation ni problème de données… Vous savez, nous avons des contrats de service avec les caisses pour garantir les remboursements aux
assurés et tenir les engagements de la CNAMTS. Il est hors de question que l’informatique soit le goulet d’étranglement dans la chaîne. Les résultats sont au rendez-vous. Nous avons gagné trois heures de traitement par nuit et
disposons maintenant de systèmes offrant l’accès aux bases de données temps réel en permanence.Quel est l’impact de la dernière réforme sur le système d’exploitation ? Une réforme a toujours des effets importants. Nous avons reçu les cahiers des charges de la réforme le 15 novembre 2004. Il fallait être opérationnel en un mois et demi, pour la première vague du
1er janvier 2005. Chaque mois, un nouveau palier est mis en ?”uvre. Sans le socle technique mis en place, nous n’aurions pas absorbé cette réforme. Nous avons pu développer les nouveaux modules batch
directement sous Unix. Et les applications transactionnelles : saisie du médecin traitant, du suivi du médecin traitant, etc., ont été écrites sous Unix en client Web.Quel rôle jouez-vous dans le cadre de ce genre de projet ?


C’est simple, les dirigeants n’ont pas à se préoccuper de l’infrastructure technique. Une fois les décisions politiques prises, à nous de nous débrouiller pour la mise en ?”uvre. On nous dit : ‘ Il
n’est pas question que la technique soit un frein aux décisions stratégiques. ‘ En fait, l’informatique des organismes publics est toujours complexe. Il y a parfois des changements ou des remises en cause très compliquées
à prendre en compte. Les textes réglementaires s’accumulant au fil des années sans être supprimés, certains contredisant d’anciens textes. Il est indispensable de disposer de systèmes d’information réactifs et très souples.Comment prévoir ce type d’évolution ?


A mon niveau, je mets en place les briques de base qui me permettront de répondre aux demandes des donneurs d’ordre (Etat, institutions, etc.) dans les deux ans à venir. Parce que le jour où elles arriveront, nous aurons très peu de
temps pour les satisfaire. Par exemple, on voit bien que les évolutions d’ordre réglementaire s’accélèrent. Il n’est plus possible de programmer en algorithmique, et il est impératif de mettre en place un moteur de règles et un
bus applicatif… C’est ce type de décisions qui permettront de réagir rapidement.


Je sais déjà que, d’ici à deux ans, nous allons devoir ajouter des fonctions qu’il ne sera pas possible d’assurer sans ces technologies. Autre exemple, le choix du SGBD relationnel et du socle Unix a été effectué à
mon arrivée parce qu’en voyant venir la vague Internet, je me suis dit, on va me demander de plus en plus de téléservices via Internet. Même si, il y a trois ans je ne savais pas exactement quels types de services je devrais fournir, je
savais que l’environnement sociétal nous y obligerait.Vos travaux, et leurs rythmes, sont dictés par la loi et par les réformes ?


C’est une spécificité du service public que d’être obligé de développer et de mettre en place des applications avec la contrainte d’une date donnée. Dans les entreprises, vous négociez un plan annuel, quelquefois
pluriannuel. Si vous devez geler des évolutions, vous le négociez avec votre PDG ou le conseil d’administration. Pour nous, la méthode de travail est très différente. Notre rôle consiste à trouver comment mettre en place les nouvelles règles
et les nouveaux services à la date voulue, même si cela nous oblige à reprendre des traitements après. Dans ce type d’environnement, il faut trouver des solutions de contournement pour y parvenir. On essaie de négocier des paliers. Par
exemple, pour la participation forfaitaire, nous avons été opérationnels au 1er janvier. En revanche, nous avons obtenu que certains traitements complémentaires démarrent à partir de juin. Il nous faut trouver des solutions
pour redonner du temps au temps.Alors, comment fait-on pour être prêt en six à huit semaines ?


Au niveau direction générale, une cellule de programme a été mise en place, assez comparable à celles qui avaient été constituées dans les entreprises pour préparer le passage à l’an 2000. Elle réunit toutes les entités
concernées. Et le socle technique bâti depuis mi-2002 nous a permis de répondre aux demandes avec des technologies d’actualité (gestion du médecin traitant en mode Web, gestion de la carte européenne d’assurance maladie, les
impressions en format PDF).Est-ce de l’innovation ?


Nous ne sommes pas dans l’innovation technologique au sens produit du terme, mais nous sommes bien dans l’innovation au sens de l’usage des technologies au service du public.Un DSI doit-il se préoccuper de la technique ?


La clé du métier, c’est de se servir de la technologie pour répondre aux besoins des utilisateurs. Pour choisir la bonne technologie, il faut être en avance, ce n’est pas le jour où un service aura besoin de l’outil
qu’il faudra l’installer, il faudra déjà se l’être approprié. Mais il ne faut pas être trop avant-gardiste, puisqu’il faut que ça tourne et que ce soit pérenne. Je fais d’ailleurs beaucoup de veille, le Web est
formidable pour cela.Quelle est votre plus grande difficulté en termes de technologie ?


La difficulté n’est pas de connaître les technologies, mais de disposer de personnes possédant une vue transversale. Pour avoir un bon système d’information, il ne suffit pas de choisir la bonne technologie de client léger,
de Web, un réseau capable d’absorber les montées en puissance… il faut aussi des informaticiens capables d’en tirer le maximum. Des personnes qui voient les tenants et aboutissants fonctionnels et techniques de l’ensemble
du système d’information pour l’utilisateur final. Il faut qu’ils puissent imaginer comment ce système pourra continuer à fonctionner, même en cas de défaillance d’un chaînon, parce que 88 000 personnes ne
doivent pas être mises au chômage technique à cause d’un problème d’informatique.Quels sont les profils ‘ transversaux ‘ ?


Ce sont des architectes, des personnes qui ne s’arrêtent pas à la technique. J’ai du mal à trouver des informaticiens qui ne sont pas que des techniciens. Les architectes doivent avoir des notions de métier ?” moi,
je préfère dire compétences transversales ?” c’est-à-dire qu’ils doivent comprendre les enjeux de l’entreprise ou de l’organisation. Je recherche des profils très pointus techniquement, mais aussi des individus
curieux. Les architectes doivent être technico-applicatifs. Ce sont les plus difficiles à trouver et à former, mais ils font l’informatique de demain. Plus l’informatique et les couches basses s’industrialiseront, plus les
couches hautes applicatives de pilotage prendront la main sur le reste. Il faut donc des personnes possédant une bonne capacité d’abstraction, pour bien maîtriser les interactions entre tous les éléments du puzzle. Est-ce que vous recrutez ?


Oui, dans des domaines très pointus, par exemple des architectes SAN ou des architectes applicatifs, avec une solide expérience. C’est très ponctuel. Comme tous les organismes publics, nous devrons à terme réduire nos effectifs. La
difficulté, c’est la période de transition, avant de tirer tout le bénéfice des nouveaux outils et que notre charge diminue. En ce qui concerne la traçabilité, le bus applicatif va nous décharger. Le moteur de règles va alléger
l’écriture des procédures et les phases de test. Toute la chaîne va être plus productive. Mais nous avons encore une pointe de charge pour les deux ans à venir. Pour l’absorber, nous avons mis en tierce maintenance les
‘ vieilles ‘ chaînes Cobol et prenons un peu d’assistance technique.Votre position quant à l’outsourcing ?


Il n’entre pas dans notre stratégie de confier à l’extérieur des domaines qui sont de la compétence de l’assurance maladie. Nous devons garder notre savoir-faire en interne.La conduite du changement est-elle importante ?


Je n’en parle pas génériquement, mais je la décline en pratique. Je préfère dire qu’il faut se former à telle ou telle pratique plutôt que de parler de conduite du changement. La grande problématique des technologies,
c’est que les gens en ont peur. Je préfère ne pas accentuer cette inquiétude par des formules déstabilisantes, et mettre en place des formations.Quelles seront les prochains services que vous pourriez offrir aux assurés ?


Il existe beaucoup de possibilités avec les services Web et les téléservices. Nous envisageons de permettre aux assurés d’imprimer leurs relevés chez eux. Cela permettra de ne plus les envoyer par la poste. Les économies seront
importantes. Voilà le genre de services étudiés. Nous sommes prêts. Il reste quelques contraintes, notamment du côté des autorisations administratives, mais nous y arriverons.Quelles sont les technologies qui vous ont le plus marquée ?


Internet est, pour moi, le phénomène le plus révolutionnaire. Mais les cartes à puce et le RFID sont aussi des innovations importantes. Le RFID, je n’en ai pas encore trouvé l’utilisation à la CNAMTS, mais pourquoi ne pas
l’employer un jour pour gérer de l’archivage ou des inventaires ? Les progrès des supports de stockage sont également fabuleux. Et je trouve les applications du GPS innovantes et passionnantes. Mais, comme je l’ai dit, il
faut séparer l’apport d’une technologie en termes de produit et son apport en termes d’usage. On ne prend pas encore assez en compte cette deuxième dimension de l’innovation, notamment dans les services.

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Pascal Minguet et Jean-François Ruiz