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Les informaticiens dans la rue

Malgré une légère reprise, constructeurs et SSII poursuivent leurs plans de restructuration. Frustrés, leurs salariés contestent. Ceux d’IBM protestent mondialement contre les licenciements. Et dans les SSII, ils font grève
contre la précarisation de leur emploi.

Un air de mai 68 flotte sur le secteur informatique : interruption de travail, manifestations, minute de silence, grèves du lundi de Pentecôte, appel à l’inspection du travail, journée d’action mondiale… Les mouvements sociaux secouent le secteur informatique.

Du côté des fournisseurs, cette fois. Du jamais-vu depuis une dizaine d’années. Comme les informaticiens de Schneider Electric l’hiver dernier, les salariés des fournisseurs se mobilisent. Car ils jugent leur emploi menacé. L’appel à une journée d’action le 16 mai, lancé par le Bétor-Pub, le syndicat CFDT des prestataires de services, donne le ton : ‘ Débattons, marchons pour l’emploi, les salaires, les conditions de travail.’

Les cadres menacés

Mais c’est vers le premier constructeur informatique que tous les regards se sont tournés en début de semaine. Après l’annonce, le 4 mai, d’un plan de restructuration, une journée d’action internationale a été organisée. Une première dans le secteur. Cette fois, les cadres sont menacés.

Les profils les plus touchés chez IBM sont les postes administratifs, ceux de support et de maintenance, mais aussi les consultants. ‘ Sérieusement inquiets, les salariés d’IBM n’ont pas hésité à manifester lundi 23 mai contre les 13 000 suppressions d’emploi prévues dans le monde entier, précise Jean-Michel Daire, délégué syndical CFDT d’IBM France. Ils ont franchi un cap. Une peur est tombée. ‘ Aux Etats-Unis, les salariés se sont vêtus de bleu et de noir pour exprimer leur mécontentement.

Dans les SSII ça bouge aussi. Les salariés de Capgemini, la première SSII française, se sont mobilisés deux demi-journées, les 12 et 26 mai, contre la politique salariale du groupe, les conditions de travail et le manque de formation. ‘ Après un premier débrayage le 1er avril, la grève du 12 mai a été suivie par 15 % du personnel ‘, note Ali Ould Yerou, délégué syndical CGT chez Cap Gemini.

Les mécontentements se manifestent aussi chez Steria contre l’absence de participation aux bénéfices de la SSII, et chez LogicaCMG contre l’application illégale du règlement interne d’aménagement et d’organisation du temps de travail. De l’inédit au royaume des cadres informaticiens, plutôt connus pour leur penchant individualiste ! Contactés, ni le Syntec ni les dirigeants, plongés dans les procédures de consultation, n’ont voulu communiquer.

Des salariés moins isolés

Mais les mentalités évoluent. Les informaticiens des SSII font maintenant valoir leurs doléances. ‘ Auparavant, ils étaient isolés en assistance technique chez un client. Avec la généralisation du forfait et la création des centres de services, ils se côtoient davantage dans les locaux de la SSII ‘, constate Jean-Christophe Berthod, responsable du pôle SSII-éditeurs du groupe de conseil et d’audit Alpha. Fait nouveau, ces échanges ont conduit les informaticiens à plus de cohésion sociale.

Autre déclencheur de ces mouvements : l’arrivée en Europe de plans de licenciements massifs, qui a favorisé la prise de conscience des menaces sur la profession. Fini les départs négociés ou les licenciements abusifs exercés en catimini.

Désormais, les suppressions d’emploi dans le secteur apparaissent au grand jour. La multiplication des contrats d’infogérance avec transfert de personnel a aussi eu son influence. L’arrivée d’informaticiens des secteurs industriels à culture syndicale forte a fait tache d’huile.

Les syndicats des SSII se sentent désormais davantage soutenus. Ils ont même pénétré les fiefs protégés des consultants, comme Accenture, où sont dorénavant représentées la CGC, la CFDT et la CGT. ‘ Mieux organisés, les syndicats ont franchi un certain seuil. Ils sont plus rassembleurs. Les grèves du lundi de Pentecôte chez Business Objects et Atos Origin sont symptomatiques d’un réel malaise ‘, explique Ivan Béraud, secrétaire général du Bétor-Pub.

L’informaticien aurait-il adopté une nouvelle posture, imprégnée de conscience collective ? ‘ Parler de solidarité est encore prématuré. Il s’agit avant tout de réactions de défense collective de salariés attaqués ‘, nuance Régis Granarolo, président du Munci (Mouvement pour une union nationale des consultants en informatique).

Le métier se précarise

Autre facteur déclenchant : les informaticiens sont soumis à une pression de plus en plus forte. En début d’année, la médecine du travail de Big Blue révélait que près de la moitié des salariés franciliens sont stressés, voire épuisés.

‘ La justice reconnaît l’existence de la souffrance au travail chez Sogeti-Transiciel ‘, relate également un communiqué du syndicat CFDT UES Capgemini, daté du 10 mai. La nécessité de réduire les coûts fixes dans un marché morose a provoqué une dégradation des conditions de travail.

Les griefs des informaticiens se cristallisent sur les salaires. Ces trois dernières années, ils ont vu leur pouvoir d’achat baisser. Dans le même temps, leurs prérogatives ont été remises en cause. Le métier n’échappe plus aux menaces de délocalisation et à l’impératif des gains de productivité. Les postes où les tâches sont standardisables étant les plus menacés.

Du coup, ‘ le sentiment d’appartenir à une catégorie inférieure de cadres se répand ‘, relève Regis Granarolo. La crise pousse les informaticiens à rester plus longtemps au sein de l’entreprise et à négocier leur évolution. D’autant que leurs traditionnels va-et-vient entre SSII et entreprises utilisatrices sont de moins en moins possibles.

Enfin, si l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) table pour 2005 sur une hausse des recrutements de 22 à 38 %, la suppression d’emplois s’est durcie. ‘ Le taux de chômage chez les informaticiens reste deux fois plus fort que celui de la moyenne des cadres ‘, assène Jean-Christophe Berthod. Soit 9,1 % en mars 2005, selon le Munci. Cela en dépit d’une baisse de 10 % du nombre de chômeurs sur l’ensemble de l’année 2004.

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Clarisse Burger et Olivier Discazeaux