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Les Etats-Unis font un pas de plus vers la fin de l’App Store tel qu’on le connaît

Un nouveau projet de loi américain vient d’être validé par une commission sénatoriale pour entrer dans la boucle du processus législatif. Appelé Open App Markets Act, il mettrait un terme à l’App Store comme seule porte d’entrée dans les iPhone et iPad.

Si l’App Store est une citadelle férocement gardée, le siège est officiellement établi, et les béliers sont à ses portes ! Il y a quelques jours, en amont d’un vote important de la commission judiciaire du Sénat américain, Tim Powderly, responsable des affaires gouvernementales pour l’Amérique au sein d’Apple, envoyait une lettre aux élus américains. Elle n’a visiblement pas eu l’effet escompté.
Il les enjoignait à ne pas donner leur aval à l’Open App Markets Act, un projet de loi bipartisan en cours d’examen. Il faut dire que ce texte de loi a le potentiel d’ébranler fortement le modèle économique de l’App Store, tel qu’Apple le conçoit et le défend jusqu’à présent : un univers clos et contrôlé, seule porte d’entrée vers ses iPhone et iPad.

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Un pas de plus vers la fin de l’hégémonie

Or, la commission du Sénat a officiellement validé, hier, jeudi 3 février, ce projet par 21 voix pour et une, seulement, contre. Une majorité écrasante donc, en faveur de la poursuite du processus législatif. Certains sénateurs ont cependant noté qu’ils votaient en faveur de ce texte même si sa rédaction actuelle portait encore des détails à corriger et amender.

En l’état actuel de la rédaction du projet, les magasins de téléchargement d’applications de plus de 50 millions d’utilisateurs aux États-Unis ne pourraient plus obliger les développeurs à utiliser le système de paiement de leur plate-forme.
Un premier accroc aux fondations de l’App Store, qui a déjà dû s’adapter sur ce point dans plusieurs pays, notamment en Corée du Sud. Mais le plus grand problème pour Apple résiderait bien dans une autre partie du texte, la proposition S. 2710.

Elle indique explicitement que les magasins applicatifs n’auraient plus le droit d’imposer leur plate-forme comme moyen unique de distribution des applications. Ils ne pourraient d’ailleurs pas plus contrôler les prix ou s’interposer dans la communication entre les développeurs et leurs utilisateurs.

« Google et Apple possèdent les rails de l’économie des applications, tout comme les compagnies de chemin de fer au début du siècle dernier », a expliqué Richard Blumenthal, élu démocrate et un des huit sénateurs à défendre ce texte.
En d’autres termes, et comme le disait Marsha Blackburn, sénatrice républicaine qui porte aussi l’Open App Markets Act, ce projet de loi « laisserait les gens télécharger des applications directement plutôt que de les forcer à passer par les stores officiels ».

Un chemin encore long…

Maintenant qu’il a été approuvé par la commission sénatoriale, l’Open App Markets Act va devoir s’inscrire dans le calendrier législatif, afin d’être débattu, amendé et voté par le Sénat américain.

Un processus qui sera certainement long et verra le texte évoluer fortement au cours de différents passages devant les élus de la haute cour américaine. Néanmoins, ce premier pas vers un vote et son adoption sont une victoire pour ceux qui défendent ce texte, et veulent voir le modèle économique de l’App Store mis à mal. C’est notamment le cas de Microsoft, qui soutient le projet.
Le géant de Redmond est devenu un grand défenseur de la libre concurrence dans le monde des kiosques applicatifs depuis qu’il a manqué son entrée sur ce marché, en même temps qu’il a raté la révolution des smartphones.

Ainsi, Brad Smith, président de Microsoft, s’est fendu d’un tweet à l’annonce de la décision de la commission du Sénat. Il y explique que les « App Store sont les portes d’entrées dans les plates-formes numériques les plus populaires. »
Après des félicitations d’usage à destination des deux principaux sénateurs qui portent ce projet de loi, il rappelle que l’Open App Markets Act « promouvrait la concurrence et assurerait équité et innovation dans l’économie applicative ».

Un argumentaire déjà entendu

Une position qui n’est pas sans fondement, c’est évident, mais qui est bien entendu aux antipodes de celles défendues par Google et par Apple.

Google a ainsi indiqué, par la voix de Mark Isakowitz, son chargé des affaires gouvernementales – autrement dit, ses efforts de lobbying – que ce projet de loi « revient à voir le Congrès essayer de choisir artificiellement les gagnants et les perdants dans un marché hautement compétitif ».

Faisant écho à des positions déjà martelées par des responsables d’Apple, notamment par Craig Federighi, à l’occasion du Web Summit 2021, le patron du loobying d’Apple Tim Powderly écrivait quant à lui dans une lettre envoyée à la commission judiciaire :

« le sideloading (la possibilité de télécharger des applis hors de l’App Store, ndlr) permettrait à des acteurs malintentionnés d’échapper aux protections mises en place par Apple pour la vie privée et la sécurité, en distribuant des applications sans vérifications essentielles dans ces deux domaines ».
Avant de continuer en précisant que « ces dispositions ouvriraient la porte à une prolifération des malwares, scams et autres exploitations de données ».

Enfin, le représentant d’Apple ajoutait que sa société était « très inquiète » que la loi dans sa forme actuelle « faciliterait l’évitement des pratiques favorables aux consommateurs par la tâche des grosses plates-formes des médias sociaux. »

Car, dans ce dossier complexe de monopole et de défense des consommateurs, le contrôle d’Apple sur l’App Store lui permet aussi de défendre la vie privée des utilisateurs – quelles que puissent être ses motivations premières. En l’espèce, le géant de Cupertino fait ici référence à sa plate-forme baptisée App Tracking Transparency (ATT), qui impose aux développeurs d’applis de son App Store de laisser le choix aux utilisateurs d’être traqués ou non durant leurs activités.

Mis en place en début d’année dernière, avec un retard dû à la nécessité de préparer le terrain, ce cadre contraignant a fait grincer des dents. C’était notamment le cas de Facebook, qui s’est érigé en défenseur des petits business, qui auraient trop à souffrir de ces nouvelles entraves au tracking publicitaire. À en croire Mark Zuckerberg, l’ATT pourrait lui faire perdre dix milliards de dollars au cours de son prochain exercice fiscal…

« The times They are a-changing »

Mais l’Open App Markets n’est pas le seul projet de loi à avoir été validé par la commission sénatoriale et qui pourrait bouleverser l’App économique américaine, et donc mondiale.

Il y a deux semaines, un autre texte, l’American Choice and Innovation Online Act, suivait le même chemin. Sa première appellation en disait long sur ses intentions : Ending Platform Monopolies Act, ou Loi pour mettre un terme aux monopoles des plates-formes.

Face à cette vague puissante, Google et Apple vont certainement continuer leur travail de lobbying pour infléchir ces différents textes. Sachant qu’une proposition très proche dans l’esprit, le Digital Markets Act, pourrait avoir le même effet en Europe.

L’année 2022 pourrait bien voir se clore l’ère des App Store rois. La question est de savoir si la multiplication des offres s’accompagnera de l’apocalypse annoncée par Apple, ou si elle offrira juste plus de choix, et imposera aux différents acteurs d’être encore plus séduisants pour retenir les utilisateurs.

Source : Bloomberg

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Pierre FONTAINE