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L’entreprise dématérialisée existe… sur le papier

Les technologies sont prêtes et se multiplient. Mais les entreprises ont du mal à se passer du support écrit pour leurs échanges externes.

Hier on parlait de zéro papier. Aujourd’hui l’idée s’est transformée en concept de dématérialisation. Le principe est le même : se passer du support physique en utilisant l’image virtuelle des documents. Les produits et les techniques existent, les fournisseurs et éditeurs sont prêts. Et à les entendre, une véritable révolution attend les entreprises. Mais cette révolution ne vient toujours pas. “L’idée est formidable, renchérit David Flint, directeur de recherche au Gartner Group, mais elle rencontre des freins d’ordre essentiellement culturel “. Pour étayer ses propos, ce très sérieux quinquagénaire anglais se lance dans une comparaison pour le moins originale. “Le bureau sans papier c’est comme les WC sans papier. Les occidentaux utilisent le support, alors que les orientaux s’en passent très bien. Aux yeux des scientifiques c’est même plus hygiénique et surtout plus économique. Tout est une question d’attitude.” Difficile, en effet, pour l’occidental, qui a une forte culture liée au papier, d’accepter de ne plus toucher une facture et de comptabiliser des bons de commande sur écran, de signer un contrat virtuel ou de rechercher une archive numérique sur bande.

Les flux financiers déjà dématérialisés

Et pourtant, dématérialiser certaines fonctions de l’entreprise, c’est déjà chose faite avec le télex, le fax ou la commande téléphonique. “On est ici dans des processus linéaires où l’entreprise cherche à accélérer et simplifier ses échanges avec ses fournisseurs et ses clients, compare Thierry Autret, directeur chez Ernst & Young Audit. Ici c’est avant tout une relation de confiance, internet apportant une évolution sophistiquée à ces relations.” Chez TotalFinaElf, par exemple, un contrat cadre définit les médias utilisables par le client pour réaliser ses commandes. La messagerie électronique en fait partie. Ce processus linéaire explique aussi pourquoi toutes les applications de télétransmission de TVA, cotisations sociales (DUCS) ou TDFC (Transfert de données fiscales et comptables), flux monétaires ou financiers, sont rapidement entrés dans les m?”urs. Des partenaires, qu’ils soient uniques ou connus ?” Etat, experts comptables, banques, organismes sociaux ?” ont créé des portails et des services internet d’échanges utilisant leurs propres normes. En fait, les choses se compliquent dès que les échanges concernent une multitude de partenaires indépendants, où aucun n’a la force d’imposer une norme, d’organiser un réseau où l’émetteur est aussi un receveur.L’essor, toujours attendu, de la facture numérique en témoigne. Une demi-douzaine de prestataires se disputent ce créneau, chacun estimant proposer le meilleur service. “A la source, il y a une ambiguïté de vocabulaire car il y a deux procédures, deux technologies, en fait complémentaires”, simplifie Philippe Lijour, directeur général d’Itesoft. D’un côté les systèmes permettant de dématérialiser l’échange entre deux entreprises sont les plus anciens. Ils supposent qu’un accord entre les parties sur le système utilisé soit signé. De l’autre, ils se heurtent à l’hétérogénéité des solutions. En effet, l’interprétation de la norme EDI (Echange de données informatisées) varie ?” comme entre PSA et Renault ?” ce qui implique au fournisseur de mettre en place un paramétrage différent pour chaque client. Les systèmes utilisant l’EFI* (Echange de formulaire informatisé) sur internet ne sont pas mieux lotis puisque le formulaire varie selon l’intermédiaire choisi. Résultat : les clients ne se bousculent pas, et c’est ce qui vient d’inciter La Poste à mettre en veille Post@cces.

Prudence sur les échanges externes

“Le problème réside dans le fait que ces systèmes supposent une transformation de l’organisation des échanges entre partenaires”, résume Daniel Vaniche, directeur du marketing de SWT. Lancé en mai dernier, son système est récent, comme ceux de ses concurrents Readsoft ou Itesoft, commercialisés début 2002. Ces produits se contentent de dématérialiser à l’intérieur de l’entreprise : c’est un systèmes expert de “reconnaissance intelligente de caractère” (ICR) qui scanne toutes les factures arrivées sous forme papier. Celles-ci sont classées et seule leur image sera traitée dans le circuit comptable (par un PGI par exemple) sous forme de flux. Résultat : le traitement est trois à cinq fois plus rapide et moins coûteux. Contrairement à la dématérialisation de l’échange, cette pratique entre dans les m?”urs : Picard surgelés, Mondial Assistance ou Tupperware l’ont adoptée. Seules quelques entreprises comme Les 3 Suisses utilisent les deux systèmes : l’échange inter-entreprise est réservé aux gros fournisseurs, le scannage intra-entreprise pour les autres. Si, par ce biais de la gestion interne, la dématérialisation entre dans les m?”urs, dans l’entreprise, il n’en est pas de même dans ses échanges avec le monde extérieur.Et si aux yeux de Thierry Autret, “les directions générales hésitent à essuyer les plâtres”, c’est “parce qu’il existe une grande différence entre ce qu’elles attendent, ce que et les éditeurs leur racontent et la réalité “. Une chose, pourtant, est certaine : c’est sur l’identité associée à une clé cryptographique que repose toute transaction dans le monde électronique. “Ce certificat garantit l’identité électronique de son émetteur/propriétaire. En fait, elle est aujourd’hui sécurisée et, selon les cas, dédiée à l’usage que l’on veut en avoir. Toute la responsabilité porte principalement sur l’autorité d’enregistrement et l’opérateur de service.” Paralysées par l’obligation de choisir, les entreprises restent très prudentes dans le passage à l’acte. En 1999 tout le monde attendait les textes. Ils ont été publiés. Alors on a attendu les arrêtés…“Aujourd’hui tout est fait légalement, l’arsenal juridique existe”, affirme Thierry Autret. Mais, il faut encore trouver d’autres raisons d’attendre, comme une décision de norme. “Brandir la menace et le risque est le meilleur moyen de ne pas se lancer. Et pour paralyser toute décision en entreprise il suffit de poser la question du choix entre un certificat logiciel ou matériel.”Il y a bien d’autres craintes liées à l’abandon du papier. La contestation d’un document ou d’un contrat en font partie. “Des litiges, il y en a bien sûr ! Il concernent les commandes, leur authentification et leur livraison ou leur paiement, réagit Sylvie Jonas, avocate chez HSD Ernst & Young. Mais il n’y en a pas vraiment plus que dans les échanges traditionnels. Le système parfait n’existe pas.”Quoi qu’il en soit, la dématérialisation reste un sujet tabou. Surtout quand certains abordent les conséquences qu’elle peut avoir en matière de personnel. “Il est vrai qu’une facturation dématérialisée en interne nécessite trois fois moins de personne qu’un système manuel”, confie secrètement un éditeur. Et si c’était là, la vraie réticence des dirigeants.

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Hubert d'Erceville