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L’autorégulation a-t-elle vécu ?

Le Global Business Dialog on E-commerce a tenu sa troisième conférence annuelle à Tokyo. L’occasion de faire sortir de l’ombre ce forum d’entreprises privées qui ambitionne de réguler l’internet à l’échelle planétaire. Et de dresser un premier bilan de son action.

Les 13 et 14 septembre derniers, l’industrie mondiale des télécoms et des médias avait rendez-vous à Tokyo pour la conférence annuelle du Global Business Dialog on E-commerce (GBDE). Avec plus de 70 entreprises membres, de Fujitsu à MCI en passant par AOL-Time Warner et Alcatel, le GBDE se veut le forum planétaire de l’économie numérique. Mais plus question de se prendre pour les maîtres de la planète : l’édition japonaise du GBDE a remis la corégulation au centre des discussions. Ce concept de corégulation sera d’ailleurs l’une des questions auxquelles devra s’attacher le patron de Vivendi Universal, Jean-Marie Messier, qui assumera, aux côtés de l’Espagnol Fernando Abril-Martorell, PDG de Telefonica, la coprésidence du GBDE pour l’année 2002. L’arrogance n’est, semble-t-il, plus à l’ordre du jour…

Une gloire en voie d’extinction

En 1999, cette phalange de multinationales avait lancé un pavé dans la mare en proclamant, à l’occasion de sa première conférence annuelle, au Carrousel du Louvre à Paris, “l’inefficacité des États dans la régulation d’internet”. Son style “imperator numérique” n’avait cependant pas empêché le ministre de l’Économie et des Finances d’alors, Dominique Strauss- Khan, de prononcer un discours enthousiaste ?” en anglais ?” à son égard. Le GBDE était alors piloté par Thomas Middelhoff, le patron de Bertelsmann qui, grâce notamment à son investissement dans AOL, était consacré par la presse comme “le meilleur ami des Américains”. La dimension globale du forum supposait, en effet, de rallier à sa cause l’industrie high-tech outre-Atlantique, qui ne souhaitait pas que l’Europe prenne l’ascendant sur internet, considéré comme un “domaine réservé”. Déjà, l’attention des sociétés internet en plein essor se portait sur la législation sur les données personnelles, qui risquait de compromettre l’essor du commerce en ligne. Et face aux tractations des États membres, le GBDE s’était alors engouffré dans la brèche de l’“autorégulation”. Avec pour credo : les réglementations nationales sont inadaptées au monde du net, et seuls les groupes privés ont les moyens de s’entendre pour mettre en ?”uvre, via leur filiale, une régulation globale de l’e-commerce fondée sur les codes de bonne conduite.“Il y a eu un retour de bâton après la conférence de Paris”, reconnaît aujourd’hui Bertrand Cousin, conseiller spécial de Jean-Marie Messier. “Très vite s’est instauré un débat conceptuel sur la “policy cooperation” qui opposait la ligne ultralibérale américaine aux positions européennes en faveur de la corégulation”, explique-t-il. L’année dernière, la conférence qui s’est déroulée à Miami a marqué un tournant. Le GBDE s’est engagé dans une coopération plus étroite avec les États et les organismes internationaux comme l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) ou le G8 (les huit principaux pays industrialisés).“Notre fonction est d’interpeller le législateur, en faisant état de ce que nous jugeons convenable pour faciliter le développement des services en ligne”, précise Alain-Louis Mie, directeur des questions internationales et réglementaires chez France Telecom. Le GBDE n’est donc plus “cette Église qui veut limiter au maximum l’intervention des États au nom du pragmatisme économique”. Ses membres le définissent comme un creuset utilisé par tous les acteurs de la chaîne de valeur internet pour faire émerger des positions communes : “La diplomatie d’entreprise du GBDE a conduit en deux ans à des consensus que dix ans de diplomatie d’État multilatérale n’auraient pas suffi à établir”, conclut-t-on chez Vivendi Universal.

Retour en force de la diplomatie d’État

Reste que, cette année, la “global policy” du GBDE en matière de données personnelles était attendue au tournant par les gouvernements. D’une part, la bonne volonté du secteur privé s’est vu quelque peu épinglée : pas plus de la moitié des membres du GBDE avait, en juin 2001, mis en ?”uvre sur leur site une charte de bonne conduite. Par ailleurs, l’accord du “Safe Harbour”, censé encadrer le commerce de fichiers nominatifs, ratifié à l’été 2000 entre l’Union européenne et les États-Unis, a montré que la diplomatie d’État n’avait pas à rougir face aux discours du GBDE. Surtout quand le consensus des professionnels se situe bien en deçà des règles désormais en vigueur des deux côtés de l’Atlantique.

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Sébastien Fumaroli