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La location d’applications: faut-il continuer à acheter ?

Le marché mondial de la fourniture d’applications hébergées pèsera plusieurs milliards de dollars d’ici à quatre ans. Mais en France, le mode locatif peine à émerger.

La location d’applications est-elle un modèle émergent ou un concept en voie de stagnation ? Si l’on en croit la dernière étude mondiale réalisée par IDC, le marché mondial de la fourniture d’applications hébergées (FAH) a plutôt un bel avenir devant lui. Les dépenses en services associés au modèle locatif devraient sensiblement augmenter, évaluées à plus de 13 milliards de dollars par an dès 2005. En dépit de la mauvaise presse du mode locatif qui sévit dans certains pays, dont la France, et des retours d’expérience pour le moins contradictoires, ce secteur de services spécifiques progresse. Selon IDC, l’année 2000 n’a pas été si mauvaise pour le segment de marché des FAH (ASP en anglais), et les dépenses ont dépassé les prévisions de la plupart des analystes. Hormis les efforts de promotion entrepris par les associations, les consortiums et les fournisseurs, les entreprises tendent vraiment à sous-traiter tout ce qui ne concerne pas leur c?”ur de métier. Si les Etats-Unis représentent, pour l’instant, le marché le plus important pour les FAH, soit 79 % des parts en 2000, ils devraient ralentir leur croissance en 2005 pour ne représenter qu’une faible moitié du marché (48 %). Le flambeau sera repris par l’Europe de l’Ouest, qui deviendrait un secteur en croissance, passant de 74 millions de dollars en 2000 à 5,1 milliards de dollars en 2005. Quant au marché français, il devrait connaître une croissance très importante d’ici à quatre ans, passant de 64 millions de francs en 2000 à 1,4 milliard de francs en 2005. Des estimations corroborées par la dernière étude Cesmo/Cap Gemini Ernst & Young, estimant cette année le chiffre d’affaires des FAH à 129 millions de francs pour un véritable décollage en 2002 et à 1,12 milliard de francs en 2004.

Un modèle bien adapté à certaines professions

Vu du terrain, les avis et les expériences divergent. Peu de modèles en France sont démontrés, et l’on recense le plus souvent des études de cas anglo-saxons. Chez ASP-One, filiale de l’éditeur français Prologue Software, on reconnaît que certaines professions se prêtent plus que d’autres au modèle locatif. Ainsi la communauté des experts-comptables, qui échange depuis peu ses données au travers de portails internet, ou le domaine de la santé, qui permet aujourd’hui à quelque cinq mille médecins de transmettre en ligne des feuilles de soins. Suivront doucement mais sûrement, toujours selon ASP-One, les secteurs du bâtiment et de l’automobile, qui regardent de plus près le modèle de la location d’applications. Sinon, les éditeurs FAH parlent plutôt de bêtatesteurs et de clients potentiels.Bref, les références en production se comptent sur les doigts de la main en France. Pour Peoplesoft, environ cent soixante comptes utilisent ses centres de données américains, contre quelques dizaines en Europe. Selon Frédéric Garnier, président du directoire de Business@Work, “la location d’applications est une solution pour les PME qui veulent se doter d’un système d’information en un temps record et à un moindre coût”. Ses premiers utilisateurs (solutions Peoplesoft) ont des besoins en gestion de ressources humaines, en gestion commerciale et financière. Pour Oracle, on cite des clients américains ou canadiens, mais pas de français. Quant à Microsoft, qui a compris l’intérêt du concept de location d’applications, ses partenaires FAH se montent à plus de cinq cents dans le monde. En France, le distributeur JVC France et le Crédit Lyonnais font figure de pionniers. “La FAH, c’est l’opportunité pour les services autres qu’informatiques de faire de l’informatique ! se plaît à dire Eric Caulier, responsable de la relation client chez JVC France. Sans une telle solution, nous n’aurions pas pu répondre à nos demandes de service vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. De plus, nous n’aurions pas la liberté de pouvoir changer de système, le cas échéant.” Aujourd’hui, JVC France expérimente la gestion de la relation client en ligne en mode locatif (solution Sevina ASP, l’un des partenaires de Microsoft). Et il parle même de retour sur investissement : “Nous sommes passés d’une solution de départ de 900 000 francs à 50 000 francs.” Chez Servitours, utilisateur de la solution de Mi8 Corporation France, on expérimente depuis février dernier MS Exchange en location. “Il y a encore douze mois, je ne savais pas ce que signifiait le terme ASP “, explique Patrick Dupin, responsable administratif et financier chez Servitours. “Les critères financiers n’étaient pas déterminants. Pour nous, les points les plus importants étaient la facilité de mise en ?”uvre de la solution MS Exchange et la sous-traitance de la complexité de la gestion du système. En interne, l’obstacle psychologique était de taille à cause du problème de la confidentialité et de la sécurité des données “, précise-t-il.

Une virtualité qui chiffonne le Français, cartésien

Si la location d’applications a tout pour séduire sur le papier, force est d’admettre que le mode locatif peine à émerger en France. Le premier blocage serait d’origine psychologique, les Latins étant traditionnellement moins portés sur la location que les Anglo-Saxons ou les Scandinaves. Un phénomène déjà observé en infogérance. “Quand un dirigeant fait une acquisition, il la veut physiquement sur son bureau, avance François Villemin, PDG de Linux@Business. En mode FAH, il ne s’agit plus d’acheter un CD-ROM ou une licence, mais la disponibilité d’un outil.” Une virtualité qui chiffonne nos esprits cartésiens. Un avis partagé par Jean-François Bensahel, nouveau président du consortium Aspic : “En France, il s’agit vraiment d’un problème de mentalité. Ne serait-ce que ce rapport particulier à la propriété et à la sécurité des systèmes d’informations. Alors que tout peut se résoudre aujourd’hui en termes de technologies !”. Dans le même registre, la dépendance d’un fournisseur à la pérennité incertaine et la perte de la maîtrise des données sont deux autres freins couramment avancés. Les premiers utilisateurs semblent dépasser ces appréhensions. Communication & IT Manager pour la filiale Maghreb des Laboratoires Roche et utilisateur de Frontsales d’eFront, Ghassen Bouatlaoui a évalué le seuil critique des informations à diffuser. “Est-ce que cela affecterait notre activité si ces données tombaient dans les mains de la concurrence ? Nous ne transmettons que des données basiques ?” du reporting, mais pas de chiffres de vente.”L’intégrité des données passe aussi par leur sécurisation. Représentant en France d’Eco Consulting et utilisateur d’Outlook en mode locatif, Sven Awege estime que son prestataire lui offre, au contraire, un surcroît de sécurité. “Notre cabinet de huit consultants ne pourrait jamais disposer de tout l’attirail sécuritaire de Netstore : antivirus toujours à jour, cryptage des données, pare-feu, back up, mirroring, etc.” Si certains FAH se contentent d’une authentification simple (identifiant et mot de passe), d’autres n’hésitent pas à communiquer sur leur dispositif. Clés de cryptage à 128 bits, coupe-feu, alimentation redondante, disques durs Raid 5… François Villemin se prévaut de garantir la disponibilité de service. “En cas de problème, le système connaît une légère dégradation, mais pas d’arrêt.” De son côté, Philippe Pantive, directeur commercial de Proginov, société éditrice de PGI, accuse les responsables informatiques d’agiter sans fondement le drapeau rouge de la sécurité. “Trop de DI craignent qu’on leur prenne leur bébé. Au contraire, en les libérant de certaines contraintes, ils peuvent, grâce à nous, se concentrer sur leur métier.” François Villemin abonde dans son sens. “Les DI ne doivent pas se sentir en concurrence. Nous pouvons leur venir en aide. Par exemple, en auditant leur bande passante.” Il manque malgré tout un cadre législatif réglementant l’externalisation des données. Si les contrats formalisent le droit à la propriété des données, des ambiguïtés persistent en ce qui concerne leur récupération post-contractuelle ou les pénalités applicables en cas de déficit ou de déni de service.Le faux départ de la location d’applications serait également dû aux faiblesses de l’infrastructure télécoms hexagonale. Le manque de réseaux à haut débit pénalise le développement d’applications gourmandes en ressources, de type GRC, voix sur IP ou décisionnel. La qualité de la connexion est aussi sur la sellette : tous les utilisateurs interrogés ont eu à déplorer ?” du moins, dans les premiers temps ?” des lenteurs dans la vitesse d’affichage, voire une inaccessibilité temporaire à l’application.Depuis un an toutefois, la France comble son retard avec l’essor des offres ADSL et la baisse des tarifs des liaisons louées. Un véritable appel d’air pour les fournisseurs d’applications hébergées, qui se voient déjà diffuser de la vidéo temps réel pour la formation à distance ou la visioconférence. L’éditeur nantais Proginov regrette néanmoins le monopole de fait de France Télécom (offre Global Intranet). “Il faut attendre trois mois l’ouverture d’une ligne “, déplore Philippe Pantive.Dernier obstacle, et non des moindres : le manque de visibilité du marché. Selon le principe du “premier arrivé premier servi”, l’offre a précédé la demande. Une pléthore d’acteurs se sont engouffrés dans des niches qui n’avaient pas encore de fondement économique. A l’instar des Etats-Unis, on devrait assister, avec dix-huit mois de décalage, à une phase de concentration-restructuration. Afin de couvrir toute la chaîne, des partenariats se sont déjà noués entre les différents intervenants : hébergeurs, éditeurs de logiciels, SSII, opérateurs télécoms et fournisseurs d’infrastructures.L’accord quadripartite Steria/J.D. Edwards/Cegetel/HP en est un exemple. La synergie entre les acteurs est toutefois sujette à caution. “Nous avons été sollicités par des sociétés spécialisées comme ASPServe ou ASP-One, mais nous préférons assurer nous-mêmes l’hébergement. Comment un hébergeur tiers peut-il comprendre les interactions entre notre produit et son hébergement ?” s’interroge Philippe Pantive, qui s’appuie, pour cela, sur la plate-forme Progress.Au-delà de la répartition des rôles, les FAH ont abordé le marché dans le mauvais sens en axant leur argumentaire sur les économies réalisées. Mauvais calcul. “Les PME sont beaucoup plus sensibles à la prédictibilité des coûts, à la simplicité d’emploi ou à la rapidité de déploiement “, estime François-Xavier Pons, consultant chez Cesmo. Enfin, la location d’applications souffre d’un réel déficit d’image. Si les sociétés pionnières étaient toutes acquises à la cause, les suivantes seront plus difficiles à persuader. Les FAH se doivent de mener un vrai travail d’évangélisation. Donnant l’exemple, l’Aspic France et l’ASP Forum, organisations représentatives en France, se sont engagés à fusionner. Témoin de ce marché émergent, le futur salon ASP 2001, qui se tiendra fin novembre à Paris. Les fournisseurs ont tout intérêt à taire leurs différents s’ils veulent convaincre les Français des bienfaits de la location.

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Clarisse Burger et Xavier Biseul