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La cybercigale et l’éconofourmi

Maintenant, il va falloir payer. C’est en substance ce qu’on ne cesse de nous seriner depuis quelques mois. Le temps de l’appât est terminé, le consommateur est ferré aux technologies de l’information.

La cybercigale ayant chanté tout l’été
Se trouva fort dépourvue
Lorsque la crise fut venue
Elle alla crier famine
Chez l’éconofourmi sa voisine



“Vous chantiez les vertus de la gratuité ?
Eh bien, faites payer, maintenant qu’ils sont ferrés”
La dernière fois que j’ai essayé de me connecter à mon fournisseur d’accès gratuit, une voix synthétique m’a fait savoir que le numéro d’accès que j’utilisais depuis dix-huit mois n’était plus en service. La même semaine, j’ai reçu deux offres de connexion haut débit à des prix défiant toute concurrence. Des prix d’appel, valables seulement quelques mois.Dans les mentions format Lilliput de la proposition commerciale d’un des opérateurs, il était cependant précisé que mon volume d’émission était limité à 250 Mo par mois, et qu’au-delà il me faudrait verser quelque monnaie. Le haut débit, c’est comme la voiture, faut acheter le véhicule, l’essence, la vignette, et si on veut vraiment aller vite, mieux vaut prendre l’autoroute, payante.Quand à ce mensuel que je lisais en ligne, un message en page d’accueil m’informait aimablement que je ne pourrais plus accéder qu’au sommaire. Pour le contenu, il me faudrait désormais acheter la version papier. Les archives sont pour leur part toujours consultables sur le site, mais contre le numéro de ma Carte Bleue.En ce qui concerne un certain service d’échange de fichiers musicaux, qui a fonctionné durant pas mal de mois gratuitement, c’est fini. Il existera peut-être des services approchant à l’avenir, mais il faudra passer à la caisse. Bien entendu, plus question d’accéder à tout et n’importe quoi. Chaque éditeur aura son service, correspondant à son catalogue. Et plus question que je mette à disposition des autres abonnés ma discothèque.Bon, les tenants du réalisme (ils se multiplient en ce moment) me diront que c’est bien normal et que tout le monde doit gagner sa vie, alors le gratuit généralisé, hein, on sait ce que ça vaut, littéralement rien du tout, et il faut bien vivre, mon brave monsieur.Ces quelques aventures m’ont rappelé la pièce de Brecht La Résistible Ascension d’Arturo Ui, dont je suis allé repêcher ce passage :” … C’était comme au bistrot ces petits trucs salés, posés dans la corbeille, que l’on sert au client gratis, pour qu’apaisant à bon compte sa faim, il prenne la pépie. “
Oui, la cigale Net-économie s’est enrouée, pas à dire. Je trouve que les choses se déroulent drôlement tout de même. Les populations ont bénéficié deux à trois ans durant d’une masse de services gratuits. Les gens ont essayé, se sont équipés en matériel pour accéder à ces services, s’y sont habitués. Bien sûr, un PC c’est pas donné, “mais, après, tu te rends compte, tu peux lire les journaux, consulter les horaires des cinémas, trouver plein d’informations, gagner du temps et de l’argent “.Et une fois que le besoin a été créé, “Holà ! Mesdames, Messieurs, si vous voulez que ça continue, ce sera tant et tant par mois.” Comme à la pêche, on appâte généreusement, et lorsque le poisson s’est habitué, on lui balance un beau ver de terre au bout d’un hameçon… difficile de résister. Mon portefeuille se laissera-t-il pousser des branchies ?Le procédé n’est pas nouveau. Dans les années 70, l’aide alimentaire en Afrique reposait essentiellement sur des envois de blé. Conséquence : une fois les sécheresses passées, les populations ne voulaient plus retourner aux cultures traditionnelles, mil et sorgho, et les pays africains ont commencé à s’endetter massivement pour importer du blé. C’était autrement plus grave.Comme quoi les recettes ne changent guère.Prochaine chronique jeudi 11 septembre

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Renaud Bonnet