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Jean-Louis Previdi (Meta Group): ” Pour réussir, la technologie ne suffit pas, il faut savoir faire rêver “

Cisco qui rit et Lucent qui pleure : deux situations diamétralement opposées, qui traduisent avant tout des différences culturelles.

Mauvaise année 2000, mauvais premier trimestre 2001. Lucent va mal. Comment expliquer cette dégringolade du premier constructeur télécoms ? Lucent n’a pas adopté la bonne stratégie. Il a cherché avant tout à protéger les acquis de ses clients équipés de technologies traditionnelles. Il n’a donc pas pris radicalement le virage IP, et le principal de son catalogue est composé d’équipements vieillissants. Ainsi, il n’a pas fait d’annonces technologiques majeures depuis deux ou trois ans. Pourtant, ce n’est pas faute de disposer de bonnes capacités de recherche et développement, grâce aux laboratoires Bell. Mais Lucent n’a pas su passer du stade du laboratoire à celui de l’industrialisation. C’est typiquement l’exemple de l’optique, où il s’est laissé dépasser par Nortel et rattraper par Alcatel. Il n’a pas de culture marketing, à l’image de Netscape ou de Sybase, qui avaient d’excellents produits, mais n’ont pas su les vendre. En outre, Lucent a très mal géré ses acquisitions et n’a pas n’a pas su garder ses ingénieurs.A l’inverse, Cisco se porte comme un charme. Mais cela va-t-il durer ? C’est exactement le contre-exemple de Lucent. Cisco n’est pas une société de technologie pure, mais une formidable machine marketing. Il préfère acheter la technologie dont il a besoin plutôt que de la développer en interne, comme Lucent. En outre, il sait admirablement gérer ses acquisitions et retenir la matière grise chez lui. Par ailleurs, Cisco est en pleine mutation : c’est de moins en moins un constructeur matériel et de plus en plus un éditeur, qui se focalise sur les services réseaux comme la sécurité, la qualité de service, la gestion par règles, etc. De plus, il est à la fois sur le secteur des opérateurs et sur celui des entreprises. Ce qui lui permet de compenser les aléas dans un domaine par les succès dans un autre. Cisco aura encore une belle marge de progression pendant cinq ou six ans. Après quoi, il lui faudra se restructurer en unités plus petites.Cisco est de plus en plus concurrencé sur son métier de base, le routage, aujourd’hui par des Juniper, demain par des Avici… Pour Cisco, la bataille se situe de moins en moins sur la performance matérielle pure, et plus sur les solutions englobant les services réseaux. Or, les utilisateurs veulent moins des équipements intrinsèquement très performants que des systèmes globaux, allant de la couche 7 à la couche 1 : c’est précisément la stratégie de Cisco.Alors, quel est le véritable rival de Cisco ? C’est Nortel, qui, comme lui, est présent à la fois côté opérateur et côté entreprise. Il a su prendre très tôt le virage IP et bénéficie même d’une meilleure technologie IP que Cisco grâce au rachat de Bay Networks. Aussi pourrait-on voir Nortel s’imposer dans les infrastructures, et Cisco mener le jeu au niveau des services réseaux. En outre, Nortel fait également des acquisitions intelligentes. Enfin, n’ayant pas le poids bureaucratique d’un Lucent, il peut répondre vite aux changements du marché.Les Européens ne paraissent-ils pas dépassés ? Alcatel me semble le mieux placé. C’était une société de technologie, et le reste encore trop, malgré le changement de culture mené par son PDG. Mais son évolution va dans le bon sens. Alcatel dispose de toute la palette des technologies nouvelles – IP ou MPLS, par exemple – et sait retenir les ingénieurs. Le rachat de Newbridge va énormément l’aider à mener sa stratégie de convergence voix-données, encore un peu floue. Ericsson va, lui, de plus en plus se spécialiser dans les infrastructures pour réseaux de mobiles. Même si, aujourd’hui, des produits comme les commutateurs publics de réseaux fixes ou les commutateurs d’entreprise sont encore sa vache à lait. Sur le long terme, je mise plus sur Ericsson que sur Nokia, qui bâtit sa fortune sur les terminaux. Lorsque ceux de troisième génération arriveront, il lui faudra affronter la redoutable concurrence des manufacturiers japonais. Et la partie est loin d’être gagnée. Quant à Siemens, je cherche encore quelle est sa stratégie dans les télécoms. Et il est confronté au même problème de base installée que Lucent.Alors, quelle est la clé du succès ? Impossible de donner une recette. Mais il est indéniable que la culture d’une entreprise pèse considérablement. Il faut une bonne technologie, mais pas forcément la meilleure. En revanche, il est indispensable de disposer d’une puissante machine marketing. Je terminerai sur un exemple frappant, celui de Novell. Où y avait-il plus de technologie que chez cet éditeur ? Et pourtant, Novell est à l’agonie parce qu’il n’a pas su vendre ses idées ni faire rêver les gens.

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ropos recueillis par Jean-Pierre Soulès