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Internet, notre mai 68 à nous

La web-révolution, ce fut Woodstock et mai 68 à la fois, avec Orianne Garcia dans le rôle de Joan Baez et Berrebi dans celui de Cohn-Bendit.

On n’avait pas besoin du drame des tours jumelles pour se convaincre des vertus du web. Mais, depuis le 11 septembre, il n’a jamais été autant utilisé. Pas seulement pour suivre les événements sur les sites d’infos. À New York, le jour des attentats, quand le téléphone ne marchait plus, l’e-mail a permis de rester en contact.Depuis, comme les Américains n’osent plus sortir de chez eux, l’e-commerce a fait un bond de 25 % en un mois. Et, pour remplacer les voyages, la visioconférence via une webcam fait fureur.Bref, l’outil internet poursuit sa progression. Mais la révolution internet ?” en tant que phénomène sociologique ?” appartient, elle, au passé.Avoir vécu mai 1968 sur les bancs de la maternelle, ça vous laisse des regrets éternels. Un sentiment de rendez-vous manqué avec l’Histoire. Bien sûr, ça ne nous a pas empêchés, quinze ans plus tard, de défiler avec des banderoles, mais réclamer des profs et des équipements était nettement moins drôle que de les déboulonner. C’est pourquoi la révolution du web a été une aubaine, une deuxième chance.Les jeunes qui, au tournant de ce siècle, ont pris à bras-le-corps les barricades du Net voulaient aussi changer le monde. Certains se rendaient tout juste compte qu’un train passait, et qu’il ne fallait pas le rater.Mais la web-révolution, ce fut Woodstock et mai 68 à la fois. Avec Jérémie Berrebi dans le rôle de Cohn-Bendit et Orianne Garcia, la passionaria des start-up, dans celui de Joan Baez.Il régnait, il y a deux ans, dans les grands-messes de l’internet, aux First Tuesday ou à Capital IT, la même jubilation que rue d’Assas cernée par les CRS ou aux concerts champêtres de Dylan. On y achetait son billet pour le Graal.Dans les start-up, la fin des hiérarchies remplaçait la liberté sexuelle, et les ” Stock-options pour tous ” le ” Peace and love ” des hippies. L’internet abolissait les distances ?” on parlait ou on vendait à l’autre bout du monde ?” autant que les privilèges, puisqu’il offrait à tous le même niveau d’information.Comme en mai 1968, les jeunes ont donné des sueurs froides aux vieux. Ils ont failli prendre le pouvoir. Ils leur ont fait croire que des entreprises qui ne gagnaient pas d’argent valaient plus cher que celles qui en gagnaient.Ils ont obligé Chirac à aller à Canossa (ah ! le pèlerinage de Republic Alley !) et à manier le mulot. Ils ont même convaincu un écrivain, Éric Orsenna, de se faire enrôler dans une start-up qui voulait tuer les livres.Il n’y a pas eu d’accords de Grenelle pour faire rentrer tout le monde dans le rang : un bon krach a suffi. Et la crise économique a balayé ce rêve de croissance éternelle qu’on appelait nouvelle économie.Comme toutes les révolutions, celle-là a donc été suivie de sa contre-révolution. On a fermé les sites non rentables, et vendu aux enchères les reliques de start-up ?” Baby-foot, casquettes et tapis de souris.Et les héros de la révolte, que sont-ils devenus après leur expérience en start-up ? À défaut de retourner, comme les soixante-huitards, sur les bancs fumants de leurs facs, les ex-révolutionnaires se sont bien recasés.Le Net a joué le rôle d’accélérateur de carrière ou, au moins, d’accélérateur de vieillissement. “Je suis resté neuf mois dans une start-up ; j’y ai fait un stage de maturité “, raconte Alexandre, 22 ans, un engagé de la première heure. Il en parle comme d’autres de ce service militaire auquel il a échappé : “Au début, nous avions tous une grande gueule !”Ses successeurs sont plus amers : on leur avait promis qu’ils seraient, à peine sortis de l’école, importants et influents, mais la pression des financiers a vite redonné le premier rôle aux cheveux gris.En France, pour transformer en profondeur les mentalités, habituer les capital-risqueurs à financer les jeunes sociétés ou rénover les modes de management, la révolution aurait dû durer trois ou quatre ans de plus, comme aux États-Unis.Il n’empêche : le monde a changé. Même les dirigeants qui n’ont pas voulu apprendre la dactylo pour répondre à leurs e-mails savent désormais allumer un PC et aller sur un site. Chez nous, il fallait bien une révolution pour ça.

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Christine Kerdellant