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Il faut sauver le musée de l’Informatique

Le musée de l’Informatique et celui du Jeu vidéo sont menacés de se faire expulser de leurs locaux de la Grande Arche. Selon nous, ils méritent d’être défendus.

Les musées de l’Informatique et du Jeu vidéo, perchés depuis leur création en 2008 et en 2010 au dernier étage de la Grande Arche de la Défense, vont-ils être expulsés, voire disparaître ? La question se pose plus que jamais aujourd’hui. Dans une chronique publiée le week-end dernier par nos confrères de Rue89, Philippe Nieuwbourg, directeur (bénévole) du musée de l’Informatique, a retracé les tenants et aboutissants de cet attristant dossier, dans lequel 50 emplois à la Grande Arche sont menacés (1).

Après une panne d’ascenseur en avril, qui a contraint les deux musées et un restaurant à fermer, le ministère de l’Ecologie et du Développement durable a fait savoir dans une lettre qu’il comptait récupérer les vastes locaux du toit de l’Arche – gérés depuis 2004 par un concessionnaire privé – « pour ses besoins propres ».

Aujourd’hui, le toit du bâtiment demeure inaccessible au public, et Philippe Nieuwbourg se trouve sans nouvelles des ministres concernés par l’affaire, que ce soit Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie, Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, ou Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’Etat à l’Economie numérique. Ces deux derniers ont pourtant été chargés de ce dossier le 2 septembre par François Fillon. Ils n’ont pas répondu aux courriers envoyés par Philippe Nieuwbourg le 13 août dernier. Idem pour d’autres ministres, comme Valérie Pécresse (Enseignement supérieur), qui a pourtant parrainé le musée, ou Luc Chatel (Education nationale), qui lui a délivré un label.

Nous n’avons pas pu parler à Nathalie Kosciusko-Morizet, mais hier, au micro de RMC, elle a expliqué qu’elle souhaitait que le musée « trouve un lieu d’accueil qui soit non seulement à la hauteur de ce qu’il y a dedans mais aussi de ce qu’il peut devenir ». Pour elle, le problème n’est « clairement pas réglé ».

Le passé informatique de la France

Pour 01net., il est urgent que le gouvernement réagisse sur ce dossier et lui trouve une issue favorable, au risque de voir les musées de l’Informatique et du Jeu vidéo fermer ou se délocaliser. Philippe Nieuwbourg ne cache pas avoir des contacts à Bruxelles et au Canada, pour y transférer éventuellement les collections. Mais il reconnaît préférer « que ça reste en France ».

Pourquoi soutenir le musée de l’Informatique ? D’abord parce que, s’il existe des initiatives locales de préservation du patrimoine informatique, c’est la seule structure nationale et l’une des rares qui existent en Europe sur le sujet. Le musée des Arts et Métiers, à Paris, ne consacre que quelques vitrines à l’informatique. De plus, il existe une noria de musées en France, consacrés à des domaines plus ou moins pointus (citons par exemple le musée de la Carte à jouer), et il paraît impensable qu’il n’y ait pas de place pour un lieu consacré à la mémoire et à l’histoire de nos chers ordinateurs.

D’autant que la France possède un riche passé informatique. Est-il besoin de citer encore le Micral, considéré comme le premier micro-ordinateur au monde, créé par François Gernelle et André Truong en 1973 (voir photo ci-contre) ? Le patrimoine français peut aussi s’enorgueillir de la Société d’électronique et d’automatisme (SEA), qui a conçu le Fizeaugraphe, un calculateur numérique programmable pour l’étude des trajectoires de missile. Ou encore Bull, fondée en 1931, qui fut une des pionnières de l’informatique professionnelle. Sans oublier Goupil, fondée dans les années 1980 et disparue au début des années 1990, Thomson, le Minitel ou le Sicob, grand salon de l’informatique, dont le nom résonne encore aux oreilles de bon nombre d’entre nous…

A l’heure où la France entend compter parmi les nations « numériques » (haut-débit, e-administration, e-commerce…) et se dote même d’un secrétariat d’Etat consacré à la question, il paraît aberrant qu’un lieu de mémoire consacré à l’histoire récente mais riche de l’informatique puisse disparaître ou être contraint à l’exil.

« L’informatique a une place évidente dans la société. Or, aucune institution publique n’a été chargée de préserver et de transmettre ce patrimoine technologique », explique Philippe Nieuwbourg. Le musée, qui compte 2 000 machines en stock et qui en expose environ 200, permet d’admirer des pièces rares, comme le Cray X-MP, un supercalculateur (aussi puissant… qu’un simple PC d’aujourd’hui) acheté 14 millions de dollars en 1984 par le CEA pour réaliser des calculs de simulation d’explosion nucléaire.

Ou encore un des deux Next Cube sur lesquels travailla Tim Berners-Lee, pour donner naissance au Web. Autant d’appareils qu’ont pu voir des écoliers (200 groupes visitaient le musée chaque année) et sans lesquels ils ne pourraient pas aujourd’hui connaître Facebook ni Internet… « L’un d’entre eux m’a un jour dit que c’était Bill Gates qui avait inventé le premier ordinateur », relate, dans un sourire, Philippe Nieuwbourg.

Expositions itinérantes

Le musée organise aussi des débats et archive des journaux (il a récupéré les premiers exemplaires, menacés, de feu Le Monde informatique) ainsi que des livres (la liste des ouvrages rassemblés se trouve sur Bookeo.fr). Il organise par ailleurs des expositions temporaires et itinérantes, tels « Les 25 Ans du Mac » (à la Fnac de Lille ces jours-ci) ou « L’Histoire d’Internet » (à Montréal). Son périmètre ne se limite donc pas à la capitale.

Autre raison, s’il en fallait, de défendre le musée de l’Informatique : géré par une association à but non lucratif, il fonctionne de manière autonome et sans aides publiques (seul le musée du Jeu vidéo a récemment décroché une subvention de 20 000 euros du ministère de la Culture). Les comptes étaient dans le vert, et le musée produisait même des recettes pour l’Etat (400 000 euros de TVA collectés par an sur la billetterie notamment). Philippe Nieuwbourg estime à 2 millions d’euros le gaspillage des deniers publics entraînés par la fermeture de la Grande Arche au public (perte de ladite TVA, des charges sociales, versement du chômage technique…)

Les lecteurs et lectrices de 01net. qui désirent soutenir le musée de l’Informatique et celui du Jeu vidéo peuvent signer la pétition en ligne, disponible sur cette page. Ils peuvent aussi, pourquoi pas, solliciter directement  Nathalie Kosciusko-Morizet pour lui demander d’agir, en passant par le formulaire de contact de son blog. Ils lui glisseront, si besoin, cette phrase d’Ernest Renan : « Les vrais hommes de progrès sont ceux qui ont pour point de départ un respect profond du passé. »

(1) Du fait de l’arrêt des activités exercées (billetterie, restaurant, une boutique de souvenirs, gardiennage…).

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Guillaume Deleurence