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Fiabilité, qualité et chasse aux coûts sont les trois combats du DSI de Renault

Pour Jean-Pierre Corniou, le fonctionnement à plein régime des systèmes informatiques du constructeur automobile, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, exige la révision des méthodes de travail.

Aux commandes de l’informatique de Renault depuis un an, Jean-Pierre Corniou livre à 01 informatique ses premières initiatives au sein du groupe automobile. Un de ses leitmotiv ? Industrialiser au maximum l’informatique pour en faire un centre de profit. Cet énarque a déjà une longue expérience des systèmes d’information dans les entreprises industrielles, comme directeur des systèmes d’information de Sollac puis d’Usinor Sacilor. Chez Renault, il dépend directement du PDG, Louis Schweitzer. Il a également été élu président du Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref) en mars 2000.Quelles sont vos priorités en tant que DSI de Renault ? Mon problème numéro un, c’est la fiabilité et la qualité. Nous ne sommes pas contents de nos fournisseurs. Trente ans après les débuts de l’informatique, nous devons encore subir des problèmes de fiabilité et de qualité tout à fait insupportables et qui mobilisent beaucoup notre énergie. Cela concerne aussi bien les logiciels que le matériel ou les télécommunications. Et ces dernières nous posent d’ailleurs des problèmes sérieux. Nous n’avons pas de partenaire fiable en ce domaine. Pour donner un exemple, j’ai mis trois mois pour obtenir une liaison réseau avec la Corée. Or, nous sommes dans une industrie d’assemblage où une chaîne ne vaut que ce que vaut le plus faible de ses éléments. Aussi, quand il y a une défaillance quelque part, le produit fini que nous livrons au client final – c’est-à-dire de l’énergie applicative – est dégradé, voire inexistant.Votre rôle consiste-t-il à accroître la valeur ajoutée de l’informatique, ou à réduire les coûts de cette dernière ? Je suis garant des ressources que l’entreprise alloue à la fonction systèmes d’information. En tant que patron de plein exercice, je ne peux pas accepter d’être un centre de coûts non crédible dans l’analyse de mes dépenses. Les dépenses informatiques ne sont pas une fatalité. Elles ne sont pas une donnée exogène. Et ceux qui le disent sont irresponsables. Je considère que mon travail est de baisser le coût de l’informatique. Je ne lance des investissements que lorsqu’on est en mesure de me montrer que la création de valeur est au rendez-vous. C’est le contrat que j’ai passé avec Louis Schweitzer, ni plus ni moins. En informatique, nous devons, comme dans n’importe quelle industrie, être capables d’annoncer les gains des investissements que nous consentons. Je veux qu’on me les chiffre. J’ai été obligé, par exemple, de renoncer à une montée de version du progiciel de gestion intégré SAP, parce que personne n’a été capable de m’expliquer pourquoi il fallait que je dépense 60 MF pour réaliser cette opération.Justement, comment mesurez-vous les gains des investissements réalisés sur les applications chez les utilisateurs ? J’ai créé la direction de la transformation des processus et des usages. Elle comporte une équipe spécialisée dans les métriques de création de valeur et d’identification des besoins réels. En particulier, elle est chargée de construire un indicateur qui n’est pas facile à faire, mais qui est passionnant. Il mesure l’écart entre le coût des fonctions développées – on entre dans une analyse assez précise de ces fonctions – et leur usage réel. J’ai composé la nouvelle organisation de l’informatique autour d’idées simples. Tout d’abord, le problème n’est plus de développer des transformations majeures, mais de faire tourner 100 % de nos systèmes. Il faut les faire fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept avec une fiabilité totale et un support sans faille. Il nous faut assurer l’excellence opérationnelle. Nous ne pouvons accepter aucune défaillance. Il nous faut donc remettre à plat notre système de mesure dans cette logique. L’ensemble des équipes informatiques de Renault est maintenant jugé à 40 % sur des batteries de critères portant sur la qualité de service mesurée par une enquête externe.Pouvez-vous nous préciser les caractéristiques de votre enquête sur la qualité de service ? Nous en avons réalisé une première en novembre 2000, nous en ferons une deuxième à l’automne 2001, et nous allons comparer les indicateurs. Nous interrogeons 2 400 personnes – des utilisateurs et des informaticiens. Nous avons d’ailleurs constaté à ce propos une plus grande tolérance de la part de l’utilisateur final que du manager. Le patron de la direction du service et des opérations – une entité que j’ai créée dans la nouvelle structure – travaille sur des indicateurs qui sont ceux utilisés par IBM dans le cadre de ses prestations d’externalisation auprès de Nissan. On ne progresse pas sans mesures, donc tout doit se mesurer. Mais celle de la qualité à partir de la sortie de nos chaînes et celle de la qualité perçue par le client final sont deux choses très différentes. Mon objectif est de fonctionner comme une direction métier de Renault, avec les mêmes contraintes, objectifs de qualité et exigences d’excellence opérationnelle. Nous sommes dans une logique d’industrialisation massive de l’informatique.Alors que l’on ne peut plus prendre le temps de réaliser de grands projets, que préconisez-vous en matière de développement ? L’évolution fondamentale de l’informatique pour les prochaines années consiste à ne plus s’épuiser à faire des projets, mais à entrer dans une logique de progrès continu. Dans l’entreprise, un projet n’intéresse que ceux qui le fabriquent et jamais les utilisateurs. Un grand projet, pour les utilisateurs, c’est une contrainte, une perturbation et une perte d’efficacité et d’énergie. Ma démarche repose sur trois concepts. Le premier est le service au quotidien. Le deuxième est celui de l’invention de nouveaux processus d’affaires soutenus par de nouveaux systèmes d’information. Son intérêt est d’être dans une logique de rupture par rapport aux processus d’affaires conventionnels, et d’aller chercher, à l’aide des technologies, de nouvelles zones de performances. Le troisième est le ” mieux que construit “. Sa définition est très simple : on s’appuie sur le patrimoine applicatif existant et l’on fait en sorte, en dénotant la valeur d’usage, d’en retirer une bien plus grande efficacité. Il existe deux méthodes : faire appel aux technologies de support et de formation en ligne, d’une part, et s’appuyer sur les outils génériques ainsi que sur les normes et les standards de la maison, d’autre part. Sur ce point, autour d’outils comme les intranets ou les workflows, il est effectivement possible d’améliorer la qualité sans engager des dépenses considérables, tout en ayant des taux de retour sur investissement extrêmement rapides. Mais il faut rester extrêmement rigoureux sur la qualité du développement applicatif. Le vite et mal fait a toujours pour conséquence la retombée de quantité d’ennuis très amplifiés.Comment prenez-vous en compte les projets e-business ? Une direction e-business a été créée. Elle est là pour faire avancer les choses et pour féconder. Mais les troupes, les ressources, les budgets et les compétences appartiennent à la direction informatique, qui reste le premier acteur de la transformation e-business de Renault. Parmi les structures que j’ai créées, figure l’office des projets. Il a pour mission de mettre sous qualité totale les processus de projets et regroupe tous ceux qui sont significatifs. En effet, aujourd’hui, nous n’avons pas tiré vraiment parti de notre expérience et de nos désillusions à ce sujet. D’ailleurs, autant je considère qu’un projet est quelque chose d’ambitieux, de difficile et de complexe – qu’il faut en faire moins, mieux et moins chers -, autant je considère que ceux qui s’en occupent doivent être l’élite de l’élite des informaticiens. Jusqu’à présent, ces derniers ont été les maçons de l’informatique sans en avoir la vision d’ensemble. Maintenant, ils doivent devenir de vrais architectes. J’ai donc créé une direction de l’urbanisme et de l’architecture fonctionnelle. Elle a une vision globale et assure la cohésion des composants du système. Nous sommes dans une tectonique des plaques : l’informatique se complexifie parce qu’on ajoute sans cesse des couches successives. On n’en enlève jamais. Il nous faut épurer notre architecture technologique.Quels outils informatiques constituent des éléments concurrentiels ? Le seul outil qui soit concurrentiel, c’est la personne qui utilise l’informatique. Ce qui est important, c’est la manière dont les individus s’approprient les logiciels qui leur sont confiés. A partir du moment où on leur dit “SAP va faire la comptabilité “, le ver est dans le fruit. Ce n’est pas SAP qui va faire la comptabilité, mais les comptables. Or, ce sont des comptables intelligents qui savent utiliser des outils bien faits. Et quand ces derniers ne sont pas bien faits, l’intelligence des gens surcompense les difficultés des outils qu’ils emploient.Au-delà de la numérisation du cycle de vie des voitures, vous intéressez-vous aussi à leurs acheteurs ?Nous avons deux catégories d’objet à traiter avec amour, ce sont les montures et les cavaliers. Nous fabriquons des montures et la logique est de numériser le cycle de vie du produit, de la première esquisse jusqu’à la casse du véhicule. Et les cavaliers ? Et bien, ils nous intéressent tous. Autant ceux qui achètent des voitures Renault neuves que ceux qui les achètent d’occasion. Il faut savoir que le marché de la voiture d’occasion représente, en France, le double de celui de la voiture neuve.Dans votre optique de recherche de qualité, quelles relations entretenez-vous avec vos prestataires ? Mon objectif est de limiter le nombre de fournisseurs : on est passé en un an d’une centaine à une dizaine. Renault a deux mille deux cents informaticiens et nous avons l’équivalent à temps plein de mille huit cents sous-traitants. En fait, il n’y a pas moins de personnels extérieurs, mais des interlocuteurs identifiés avec lesquels j’ai un engagement qualifié. Je préfère être très sélectif et mesurer très précisément le travail que nous faisons avec nos fournisseurs. De même, nous allons réduire le nombre de fournisseurs de solutions technologiques en revenant progressivement vers les standards du marché, comme ceux de Microsoft, IBM ou SAP.En tant que président du Cigref, quels rôles attribuez-vous aux SSII, aux éditeurs et aux consultants dans l’informatisation des entreprises ? J’admets bien le rôle des services marketing des constructeurs et des éditeurs qui cherchent à vendre au mieux leurs produits, et le rêve avec. En revanche, j’en veux clairement aux consultants : ils ont fait de la survente auprès des directions générales, en leur expliquant qu’il ne fallait surtout pas faire confiance aux informaticiens pour faire évoluer leurs systèmes d’information, et qu’ils étaient bien meilleurs. Or, si on regarde attentivement le chiffre d’affaires des grands cabinets de conseil, on remarque qu’ils se sont tous centrés sur l’informatique. Ne nous leurrons pas : ils sont devenus des prestataires de service qui font du clé en main, en créant des boîtes noires dans lesquelles ils font à la fois l’assistance avec la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’?”uvre. C’est scandaleux sur le plan déontologique car ils sont prescripteurs et fournisseurs. On est entré dans des systèmes complètement pervers. En revanche, avec les sociétés de services, même s’il existe aussi des boîtes noires et qu’elles vendent de la main-d’?”uvre, nous devrions arriver à un vrai terrain d’entente. Nous avons le projet d’établir des chartes de qualité et d’engagement en précisant nos responsabilités mutuelles.Avec le projet de créer un Cigref européen, comptez-vous européaniser cette démarche ? Absolument. C’est d’ailleurs le type d’initiative soutenue par l’Union européenne. J’ai eu un contact à Bruxelles sur le sujet. Il manque en effet d’interlocuteurs représentant les utilisateurs au niveau de l’Europe. Jusqu’à présent, les seuls qui parlent d’informatique sont les fournisseurs, les fabricants ou les éditeurs. Il est temps que les acteurs parlent eux-mêmes de leurs difficultés.

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ropos recueillis par Boris Perzinsky et Anne-Françoise Marès