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Exclusif : le PS précise sa vision du numérique

Hadopi, très haut débit, neutralité du net, e-santé, open data? Fleur Pellerin, conseillère au numérique de François Hollande, passe en revue pour 01net tous les grands enjeux du moment.

Fleur Pellerin,
Fleur Pellerin, – Fleur Pellerin,

Les alternatives à Hadopi en termes de protection des droits d’auteur et de financement de la création

François Hollande a clairement affirmé sa volonté de protéger le droit d’auteur et la création. Il n’y aura donc pas de légalisation des échanges hors marché ni de contribution créative. Mais il a aussi dénoncé l’approche purement répressive de la loi Hadopi, à la fois injuste, coûteuse et inefficace. C’est pourquoi il faudra repenser la loi Hadopi en profondeur, après un large travail de dialogue et de concertation.

Pour bien souligner toute l’importance de l’enjeu, François Hollande a parlé d’un « acte II de l’exception culturelle », et il a dégagé les principes directeurs qui le gouverneront : gestion collective, soutien financier et juridique au développement de services en ligne légaux, adaptation des financements conduisant notamment à faire participer les acteurs internationaux qui bénéficient de la circulation des œuvres de l’esprit, mise en place d’un cadre juridique adapté à la lutte contre les services ou intermédiaires illégaux.

Les mesures proposées pour garantir la neutralité du net : lois, procédures, organismes de contrôle…

L’architecture d’internet est précieuse. La neutralité de l’acheminement des données garantit la liberté d’expression ; la liberté d’usage de tout ce à quoi on accède légalement ; et la liberté d’innover. Ces libertés sont essentielles dans une société démocratique, ouverte et tournée vers l’avenir. Ces libertés sont fragiles aussi. L’affaire des fadettes nous rappelle tristement la tentation de certains d’utiliser les systèmes de communication à des fins de surveillance.

Selon moi, la neutralité doit être la règle. Certains à droite se revendiquent de la neutralité d’internet. Question de vocabulaire sans doute, car je suis en désaccord profond avec les mécanismes de surveillance et d’intrusion mis en place par les lois Loppsi et Hadopi votées par cette majorité. Il faut lutter fermement contre la cybercriminalité et le piratage, mais pas au travers de procédures dérogatoires et attentatoires aux droits des internautes.

Les fournisseurs d’accès à internet jouent un rôle important en tant que dernier maillon de la chaîne. Je souhaite que leurs pratiques soient plus transparentes. Le régulateur, l’Arcep, doit pouvoir se porter garant de la neutralité des échanges.

Le rôle des collectivités locales et de l’Etat dans le déploiement du très haut débit

L’ambition de François Hollande est forte : organiser avec les collectivités locales et les industriels la couverture intégrale en dix ans du pays en très haut débit.

La première mission de l’Etat sera de décliner cette ambition de manière à la fois réaliste et en phase avec les attentes des Français. La fibre optique ne se déploiera pas en un jour, et l’urgence, dans bon nombre de zones périurbaines et rurales, c’est d’avoir une connexion à internet haut débit digne de ce nom, de 2 ou 5 Mb/s. La droite a joué la politique de l’autruche, en renvoyant à 2025 le raccordement de ces zones à la fibre optique. Il nous faudra donc procéder par étapes, en commençant par apporter un vrai haut débit pour tous, et ce bien avant le rendez-vous à dix ans. L’horizon du quinquennat paraît une échéance réaliste pour cela.

Le rôle de l’Etat n’est pas d’installer le réseau, mais d’orchestrer son déploiement et de veiller au respect des échéances. Je constate que la droite a attisé une guerre de tranchées stérile et stupide entre les collectivités locales et les opérateurs télécoms. Il faudra au contraire chercher les synergies et les complémentarités entre ces acteurs, qui sont les forces vives de ces déploiements, et apporter à chacun de la sécurité dans l’investissement. Rendez-vous compte qu’aujourd’hui un élu local investissant dans un réseau public local n’a aucune garantie que les grands opérateurs nationaux s’appuieront sur ce réseau pour fournir leurs services aux consommateurs ! Les élus de gauche ont fait un gros travail sur ces questions, à la fois au Parlement et sur le terrain.

Enfin, il appartiendra à l’Etat de mettre en œuvre une forme de péréquation pour garantir la solidarité entre les territoires, en apportant son soutien, à la fois technique et financier, aux projets des collectivités locales.

Protection des données personnelles, champ d’action de la Cnil, coordination avec les lois européennes…

La question des données personnelles est une préoccupation majeure des Français. Beaucoup d’entre eux doutent de la protection dont ils bénéficient dans la constitution des fichiers ou sur Internet. Cette source d’inquiétude est aussi une barrière à la pénétration du numérique dans notre société.

Sur cette question, le bilan de la droite est déplorable. Les fichiers et les pratiques intrusives sont en constante augmentation. Les lois Sarkozy votées depuis 2002 au nom de la lutte contre la délinquance, contre l’immigration sauvage ou contre le terrorisme ont fortement déséquilibré notre système de protection des données personnelles. La dernière reforme de la Cnil, en 2004, a affaibli les pouvoirs de cette autorité indépendante pour les fichiers intéressant la sécurité publique, la défense et la sûreté de l’Etat.

C’est parce que l’attente des Français est forte que François Hollande a annoncé un Habeas Corpus numérique, qui garantira les droits et les libertés de chacun face à l’entrée dans nos vies des nouvelles technologies. La création, comme la destruction, la définition des finalités et des modalités des fichiers de police doivent devenir une compétence du Parlement. J’estime également souhaitable que soit institué un droit d’accès des citoyens à la fiche qui les concerne.

Le projet de règlement européen apporte des avancées complémentaires. Il reconnaît aux citoyens de nouveaux droits, comme le droit à l’oubli ou celui à la portabilité de leurs données. Il simplifie les formalités pour les entreprises tout en les soumettant à des obligations accrues. Nous sommes en revanche défavorables à l’idée que la Cnil puise être dépossédée de sa compétence à l’égard des entreprises qui auraient fait le choix d’élire domicile dans un autre pays européen !

Il faut maintenir une proximité avec les usagers sur ces questions sensibles, et veiller à ne pas affaiblir le régulateur alors que ses missions prennent une nouvelle dimension : déploiement d’une nouvelle vague de technologies numériques, comme la biométrie ou la radio-identification (RFID), dimension internationale de la collecte, marchandisation croissante des données personnelles…

Enfin, à titre de comparaison, l’autorité allemande de protection des données emploie 400 personnes, tandis que la Cnil française fonctionne avec seulement 150 personnes !

Développement d’un écosystème d’entrepreneurs autour de l’open data, généralisation de cette pratique parmi les collectivités, garantie de qualité et de disponibilité de cess données ouvertes.…

François Hollande a annoncé que le premier devoir du prochain président de la République sera de rendre régulièrement des comptes au pays sur le sens de l’action publique. C’est pourquoi une réelle impulsion devra être donnée à ce qu’on appelle l’open data, c’est-à-dire la manière de rendre les données publiques accessible aux citoyens, à la société civile et aux entreprises. Il en va de la démocratie et de la transparence, mais aussi de la vitalité du tissu d’entreprises innovantes de notre pays, qui sauront exploiter ces données pour apporter de nouveaux services aux Français.

La gauche a très tôt perçu ces enjeux. Le gouvernement Jospin, en 1997, avait fait franchir au pays un seuil décisif en prescrivant la mise en ligne gratuite des « données publiques essentielles » : il donnait un premier coup d’arrêt à la commercialisation des données publiques. Depuis 1997, les Administrations diffusent des volumes considérables de textes, de données statistiques et de rapports, réalisant au passage de considérables économies sur les budgets de publication imprimée. Les collectivités territoriales présidées par les socialistes ont ensuite pris le relais : les municipalités de Rennes, Paris, Nantes, Brest, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, ou encore le conseil général de la Saône-et-Loire ont ainsi pris l’initiative de libérer des centaines de jeux de données.

La droite, quant à elle, a été aux abonnés absents, faisant perdre un temps précieux à notre pays : plus de huit ans ont séparé l’adoption de la directive communautaire de 2003 rendant obligatoire l’ouverture des données publiques et la mise en place de la mission Etalab. Et l’on ne peut que regretter le manque d’ambition de cette mission : les données présentes sur le portail étaient déjà disponibles pour l’essentiel au sein des administrations concernées et le gouvernement n’a pas su ou voulu convaincre les grands services publics de mettre leurs données à disposition.

Il faudra donc donner un réel élan à ce projet, en élargissant de manière volontaire le champ des données concernées.

Le crédit d’impôt recherche (la « plus grande niche fiscale française » selon l’Inspection générale des finances), les sources de financement à créer ou à modifier, la répartition des investissements d’avenir…

L’extension du crédit d’impôt recherche aux grandes entreprises (CIR), décidée par le candidat sortant en 2008, a coûté très cher à l’Etat et a rapporté bien peu à la France : 4,2 milliards d’euros en 2009, contre 1,7 milliard en 2007 (+ 250 %) alors que dans le même temps l’effort national de R&D rapporté au PIB n’a augmenté que de 4 % ! François Hollande a indiqué sa volonté de réformer le CIR, de manière à ce que l’aide de l’Etat profite d’abord aux entreprises qui en ont réellement besoin, c’est-à-dire les PME et les entreprises innovantes.

Le Fonds national pour la société numérique (FSN) est parti d’un bon constat – la nécessité d’investir dans l’avenir – mais sa mise en œuvre s’est traduite par une grande déperdition d’énergie. En visant des projets technologiques faiblement disruptifs, intervenant à des échelles de temps trop proches des solutions du marché, le FSN favorise assez peu l’innovation. L’Etat a externalisé l’expertise et a souvent choisi, par facilité, de faire appel aux grands groupes. Il faudra donc repenser ce dispositif pour qu’il joue un réel rôle d’impulsion technologique.

Les mesures pour favoriser l’innovation et inciter à la création de start up,  pour proposer des formations adéquates, pour générer des emplois dans le numérique…

Nous sommes frappés d’entendre tous les chefs d’entreprise regretter la pénurie de développeurs (web, mobile) et de jeunes formés aux nouveaux métiers du numérique. Cette situation est insupportable lorsque l’on sait le taux de chômage des jeunes dans notre pays et le potentiel de développement de ces activités. L’absence totale de réponse apportée par la droite à ce sujet est sidérante.

Afin de faire face aux besoins exponentiels du secteur numérique et des entreprises utilisatrices françaises, il faudra continuer à former des ingénieurs, des profils bac +5 mais également des niveaux de qualification intermédiaires. L’essor du secteur numérique offre l’opportunité de développer des grandes filières de formation dans les secteurs de la programmation et de l’administration de réseau, des métiers de la numérisation et de l’archivage, ou encore autour du métier de Community Manager.

L’implication de l’Etat dans le développement de l’e-commerce, et les mesures fiscales en ce domaine…

Il n’est pas normal que les géants d’internet, pour la plupart nord-américains, ne paient qu’une faible partie de leurs impôts en France alors qu’ils y exercent une activité économique florissante. La valse hésitation de la droite, et finalement son impuissance sur ce dossier sont criantes.

Les conventions internationales rendent aujourd’hui difficile l’imposition de ces acteurs situés à l’étranger. Mais qu’a fait le candidat sortant pour y remédier ? Il ne suffit pas d’appeler de manière incantatoire à civiliser internet, il s’agit de travailler concrètement à la renégociation de ces conventions, afin que les règles du jeu soient les mêmes pour tous. La France ne sera pas isolée dans ce combat. Elle n’est pas la seule à souffrir de cette évasion fiscale et l’Europe, à travers le digital agenda, prend conscience de l’importance du numérique dans la stratégie de croissance.

Concernant la taxe Google – bien mal nommée puisque ce moteur de recherche n’en paierait pas un centime –, comment ne pas être étonné d’entendre le candidat sortant la remette sur la table après l’avoir enterrée voilà un an. Où est la cohérence entre la parole et les actes ?

Le renforcement des compétences des forces de l’ordre en matière d’investigations numériques, le déploiement d’une stratégie offensive de cybersécurité, le développement de partenariats public-privé dans ce domaine…

La sécurité des réseaux et des systèmes informatiques du pays et la lutte contre la cybercriminalité font partie intégrante des missions de défense nationale et de police judiciaire. Ces questions touchent l’ensemble de l’appareil d’Etat et requièrent une forte coopération entre acteurs publics et privés. Chacun doit se montrer responsable, car il en va à la fois de notre sécurité nationale, de celles de nos concitoyens et de la croissance du secteur de l’économie numérique.

Il faudra ainsi renforcer les services spécialisés, judiciaires ou de renseignement et accroître la sensibilisation des administrations publiques et des entreprises. Le sommet de l’Etat devra aussi mieux coordonner la stratégie de la nation en matière de cybersécurité, en confortant l’autorité de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’informations. Enfin, les industriels devront doter la France des outils nécessaires à une politique de cybersécurité à la fois défensive et offensive.

Le rôle de l’Etat (intervenir ou laisser-faire), les partenariats public-privé autour de l’e-santé, la cohérence entre les différentes initiatives (industriels, assurance maladie, Etat)…

S’il est un domaine qui va bénéficier des technologies numériques, c’est bien celui de la santé. Pour les soins à domicile, face au vieillissement des populations, pour l’égalité d’accès (quand on pense aux déserts médicaux !), pour l’information et prévention  des citoyens, pour améliorer l’efficience du système de santé. Nous sommes peut-être à l’aube d’une nouvelle mutation de la médecine. Nos concitoyens ont acquis des capacités nouvelles à s’informer par eux-mêmes, à échanger sur les forums, à dialoguer au sein de communautés de personnes atteintes ou concernées par une même maladie.

Sans oublier cette nouvelle génération d’appareils médicaux miniaturisés, mobiles et connectés, grâce auxquels on pourra suivre les paramètres de santé des patients. L’ouverture des données publiques dans le domaine de la santé va permettre d’éclairer les choix des citoyens. Toutes ces avancées convergent et ouvrent la voie à une médecine qui prend en compte la totalité de la personne, ses caractéristiques et ses risques individuels, son environnement.

Ces mutations sont immenses et c’est un véritable plan d’action qu’il faudra mettre en place, en associant toutes les parties prenantes.

La présence d’un Monsieur TIC dans chaque établissement, le partage de compétences entre les collectivités locales et l’Etat, le risque de fracture numérique entre établissements, la création d’un organisme national dédié à la progression du numérique dans les écoles, les leçons à tirer des expériences réussies à l’étranger…

François Hollande a dit toute l’importance qu’il attachait à cette question, en annonçant un grand plan pour le numérique dans la formation.

Le numérique est d’abord un instrument pédagogique, car il permet de multiplier les contacts entre les élèves et les enseignants, de développer la réciprocité et la collaboration entre les élèves ; il permet d’encourager un apprentissage actif. Il donne accès à des outils de collaboration et de communication formels comme les environnements numériques de travails, les plates-formes d’apprentissage ou à des outils plus informels (messagerie, forums, wikis). Nos partenaires européens, l’Inde, la Corée du Sud et bien d’autres pays investissent fortement pour offrir aux élèves et aux enseignants une offre de logiciels et de terminaux informatiques de qualité. Nous devons nous inspirer de ces pays afin de privilégier les investissements qui permettront de développer des pratiques pédagogiques numériques efficaces.

Les outils du numérique sont également fondamentaux dans une société qui se doit de se tourner vers l’innovation afin de défendre sa place dans la compétition mondiale. Les découvertes scientifiques ne se font plus sans l’assistance de l’ordinateur depuis de nombreuses années, les élèves le savent. L’école doit leur montrer comment le savoir se crée grâce à l’informatique, comment les chercheurs s’appuient sur lces technologies pour faire avancer la science et cela quelle que soit leur discipline. Les Etats-Unis ont clairement mis l’accent sur la recherche pour développer l’éducation numérique. L’innovation par la recherche est présentée par le président Obama comme la seule voie de progrès pour le système éducatif américain. Cette piste doit être explorée en France également.

Enfin, le numérique peut générer de l’exclusion pour ceux qui en sont écartés. L’âge du primaire est un des moments où se creuse cette fracture numérique. Les technologies éducatives ne peuvent pas rester à la porte des écoles maternelles et des écoles primaires. Pour le 1er degré, on compte 8 ordinateurs pour 100 élèves au primaire contre 16 pour 100 élèves dans le secondaire (dont 24 pour 100 élèves au lycée). Il faut inverser cette tendance.

Les enseignants ont un rôle capital à tenir dans cette ambition. L’éducation numérique n’est pas la minoration du rôle du professeur, bien au contraire : elle n’a pas pour fonction de remplacer la relation avec l’enseignant ou avec le groupe, mais de la nourrir, de la densifier de la poursuivre au-delà du temps de la classe. C’est le professeur qui a vocation à être le maître d’œuvre de ces outils et à en utiliser les potentialités. Aussi la maîtrise de ces technologies sera intégrée à la formation professionnelle initiale et continue des enseignants.

François Hollande a dit qu’il demanderait aux collectivités locales de conforter cette diffusion des nouvelles technologies, d’accompagner les usages, car leur implication sera indispensable. La gouvernance régionale du numérique devra être repensée afin de privilégier une coopération plus efficace entre les collectivités et les académies.

L’Etat devra donner des directions claires et définir des priorités : l’enseignement primaire où se joue l’essentiel de la réussite scolaire ; les territoires les plus défavorisées, qui recevront en priorité les financements liés à ces opérations ; la production de ressources pédagogiques numériques ; la mise en place d’une e-école publique pour le soutien scolaire et l’accès à la culture. François Hollande a annoncé sa volonté d’accélérer la transition vers les manuels numériques. Ceux-ci devront fonctionner sur une grande palette de matériels et de plates-formes. Leur forme devra être interactive et répondre aux besoins des élèves, des enseignants sans oublier les parents d’élèves. Il faudra aussi impulser une politique industrielle qui puisse assurer une voix française dans l’offre numérique éducative mondiale : on ne doit pas se voir imposer des solutions qui ne correspondent pas à notre culture éducative et il faut profiter de la croissance de ce secteur pour dynamiser celle de l’économie de notre pays.

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Xavier Biseul