Passer au contenu

Et Internet inventa l’éternité

Selon une décision de justice, un écrit sur Internet resterait valable éternellement, faisant disparaître la notion de prescription pour les délits de presse. Ainsi l’auteur d’un texte publié sur le Web pourrait être poursuivi à tout moment.

Du site personnel aux archives, en passant par les forums de discussion, les sites marchands et les webzines : tous les écrits sur Internet dépendent de la loi sur la liberté de la presse. Selon celle-ci, une information publiée bénéficie d’une prescription au bout d’un certain temps, ce qui revient à une durée de validité. Au-délà, les personnes incriminées par un article ne peuvent plus porter plainte contre l’organe de presse.La radio et la télévision bénéficient ainsi de la prescription huit jours après son émission. La presse, elle, ne peut plus être attaquée trois mois après la première date de publication d’un article. Mais sur Internet, les présumés délits de presse ?” dont les plus courants sont la diffamation et l’injure ?” peuvent être attaqués des mois, voire des années après leur publication, tant qu’ils restent en ligne. Ceci, depuis la décision de la cour d’appel de Paris en 1999, de modifier le recours à la prescription sur le Réseau.Depuis cet arrêt du 15 décembre de la 11e chambre de Paris, dit ” arrêt Costes “, la prescription de trois mois reste applicable sur Internet, mais le délai débute après que les textes présumés délictueux ne soient plus en ligne. Dans la pratique, cela revient à supprimer la prescription pour des textes en ligne.L’affaire a ressurgit avec un procès dont l’issue se décidera le 6 décembre. Il oppose le Réseau Voltaire, association dont le site diffuse des informations consacrées à la lutte pour les libertés et la laïcité, à Carl Lang, délégué général du Front National.Lors du procès, le 8 novembre, le Réseau Voltaire fait appel à l’article 65 de la loi de la liberté de la presse sur la prescription des délits. Il argue que ” le texte a fait l’objet d’une publication papier le 24 juin 1999. La mise en ligne sur le site n’est qu’un archivage de ce texte “.
Et ce n’est donc pas, selon lui, une republication : les faits seraient prescrits car l’action en justice a débuté plus de trois mois après la publication.Mais l’avocat du Front National s’appuie sur l’arrêt Costes prononcé dans le cadre d’une affaire opposant l’UEJF (Union des étudiants juifs de France) à l’artiste Jean-Louis Costes. En première instance, en janvier 1998, le juge de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris avait débouté l’UEJF de sa plainte, considérant que les faits étaient prescrits.Fin 1999, la cour d’appel revient sur cette décision. Elle dit, pour la première fois, que la publication sur Internet est continue. La première date de publication a toujours été le point de départ du délai de prescription. Avec la notion de publication continue, le délai de prescription commence à courir quand les textes ne sont plus en ligne.

Publication continue, archivage, ou affichage public ?

Le juriste Alexandre Braun, ancien vice-président de l’UEJF, soutient cette décision. Car en poussant à l’extrême le raisonnement, il est possible d’imaginer le maintien en ligne dans le secret pendant trois mois d’une page contenant un délit présumé délictueux.
Puis, ” l’auteur pourrait, le délai de prescription passé, commencer à générer du trafic sur son site “, explique-t-il.Pour Sébastien Canevet, enseignant le droit sur Internet à la Sorbonne, ” cela existe déjà dans la publication classique où il est possible de faire une publication complètement “troglodyte”, de diffuser le livre à quelques dizaines d’exemplaires et d’attendre trois mois avant de le diffuser plus largement. Mais cette stratégie n’a jamais été beaucoup utilisée “.Selon l’universitaire, ” il n’y a pas de vide juridique sur Internet, au contraire. La loi existe et il n’y a pas de raison de ne pas l’appliquer comme sur les autres médias “. Il considère que même si le FN n’obtient pas gain de cause, la liberté d’expression sur Internet restera menacée car ” nous aurons une jurisprudence en ce qui concerne l’archivage qui, lui, bénéficiera de la prescription. Cela permettrait de revenir en partie sur l’arrêt Costes. Mais tout ce qui n’est pas archivage sera probablement encore considéré comme de la publication continue. Ainsi, seule une publication au préalable sur papier permettra de garantir l’applicabilité de la prescription pour un écrit en ligne. “La décision du juge de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris pour l’affaire Voltaire-Carl Lang, le 6 décembre, permettra de savoir si la justice tend à maintenir l’idée de publication continue sur Internet ou si elle fait un cas particulier de l’archivage. Si la seconde hypothèse est acceptée, l’idée de publication continue sera ébranlée.Pour cela, la justice aura peut-être recours à la notion d’affichage public : une page dont les messages ne changent pas et accessible sans interruption pourrait avoir une date de publication instantanée comme l’acte d’afficher, en loccurrence de mise en ligne.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Mona Moalic