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Eric Barbry (avocat à la cour d’appel de Paris) : ‘ La LEN protégera plus le consommateur que le commerçant ‘

La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LEN) suscite de nombreux débats. Cette loi se veut fondatrice d’un droit de l’Internet : lutte contre le spam, réglementation du commerce électronique, lutte contre la
cybercriminalité… Eric Brabry discute de ce que nous réserve la loi Fontaine.

Bonjour à toutes et à tous, nous avons le plaisir d’accueillir Eric Barbry ! Bonsoir.Cador : Mon entreprise a-t-elle le droit de lire mes mails ? La loi Fontaine va-t-elle changer cela ? Oui et non… Non. Pour essayer de répondre simplement a une question complexe il faut se référer à une jurisprudence dite Nikon qui traite de cette question et qui semble avoir posé le principe qu’il existe une vie privée résiduelle
même dans l’entreprise. Il est donc important pour toutes les entreprises d’organiser la manière dont les salariés peuvent utiliser les outils informatiques et de télécom à des fins privées. Si tout cela est fait dans les règles alors la réponse
devrait être ‘ oui ‘, sinon elle risque bien d’être ‘ non ‘. Je mets des bémols, car vous savez que la jurisprudence a l’avantage d’être évolutive.legislator : Concernant les mails non désirés (spam), quels seront les recours possibles ? On peut considérer ce problème sous deux angles, voire trois : un angle contractuel entre un FAI et un abonné par exemple qui pourra voir son contrat résilié. On peut aussi voir cela sous un angle pénal, à savoir que le spam a
pu être considéré comme une infraction pénale au sens du droit pénal de l’infraction informatique. Avec la LCEN, on devrait avoir un cadre plus clair encore, qui restreint l’usage de ces techniques. J’allais oublier la Cnil, car spam rime souvent
avec violation des données personnelles.Franck-Sinatra : Quel est l’élément déclencheur de la création de la LEN ? A titre principal, la directive dite commerce électronique du 8 juin 2000, mais d’autres textes sous-tendent aussi la LCEN…NEMROD34 : On parle d’une taxe sur l’upload. Quel cadre juridique peut définir ce qui est de l’upload
‘ taxable ‘ et l’upload
professionnel ? Comment différencier l’un et l’autre sans identifier ce qui est uploadé et donc enfreindre certaines lois qui défendent les intérêts privés et d’entreprise ?
(…) Je ne suis pas certain d’avoir saisi exactement votre question d’où mon long silenc,e mais la réponse ne pourrait à mon sens que passer par une définition légale de l’upload. Pourriez-vous affiner s’il vous
plait…NEMROD34 : Je suis fournisseur de sites Web, donc j’uploade beaucoup, serais-je taxé ? La taxe sur l’upload vise le piratage, mais l’upload est le quotidien d’un tas de prestataires
Internet ! Comment différencier les deux, sans identifier la nature et le contenu des fichiers uploadés, ce qui serait une atteinte à plus d’une loi, il me semble.
Je crois que je commence à deviner, mais je ne vois que deux issues. Soit la taxe dont vous parlez est assise sur le contenu et donc il faudra nécessairement que la loi le prévoit pour éviter les incriminations que vous
craignez ; soit la taxe sera indifférente à la qualité des parties en présence et au contenu et sera, alors, généralisée pour tous. C’est d’ailleurs me semble-t-il la règle généralement appliquée.Fill : Si les sites jugés ‘ illégaux ‘ ne peuvent plus être hébergés en France, ne pourront-ils pas être hébergés à l’étranger ? Oui bien sûr et cela ne change pas avec la nouvelle loi. Le risque de toute manière est celui qui caractériserait une fraude à la loi, c’est-à-dire qu’il est possible de considérer fautive l’entreprise qui aura volontairement
‘ délocalisé ‘ ses activités électroniques pour échapper à une loi qui lui est ‘ normalement ‘ applicable…SirC : Quand la LEN va-t-elle être votée ? Si je le savais je pourrais même le facturer à mes clients :-). Non sérieusement, le projet doit passer en seconde lecture au Sénat début avril et là tout dépend de la manière dont le texte sera ou non adopté ?” ou non
amendé.steed : Et le p2p que va t’il devenir ? rage : Quelle est la position de la LEN sur le p2p ? Muette. J’espère ne pas vous frustrer d’une réponse aussi frustre.Big_jo : Est-il vrai qu’en cas de fraude on sera présumé coupable et que l’on devra prouver notre innocence ? Qui, comment, où ? En matière de contrefaçon, la mauvaise foi est toujours présumée. Que nous soyons ou non sur Internet ne change rien, si telle est votre question.perfect-eagle : Pensez-vous que des mouvements contre la LEN en interpellant députés, sénateurs, peuvent faire ‘ annuler ‘ cette loi ? Non cela ne risque pas, car nous devons transposer la directive du 8 juin en tout état de cause et cela depuis plusieurs mois (années). La France est d’ailleurs sous le coup d’une procédure de manquement si mes sources sont
bonnes.Fill : Le fait d’interdire certains sites n’est-il pas contraire à la liberté d’expression ? Il faut sur ce point lire attentivement l’un des premiers articles du projet qui est très intéressant, pour ne pas dire amusant, et qui pose le principe de la liberté en matière de communication électronique. Le côté amusant est que
le texte dans sa version actuelle prévoit que l’exercice de cette liberté, je cite, peut ‘ être limité dans la mesure requise par.. ‘ et l’on trouve ensuite une liste extrêmement longue et détaillée de
tout ce qui pourrait limiter ladite liberté.hop : Comment les hébergeurs sont sensés différencier des fichiers personnels du contenu illicite ? Qu’est-ce qui est défini précisément comme étant un contenu illicite ? Vaste programme et je pense que cette notion fonde en grande partie le courroux des hébergeurs qui n’en ont sans doute pas la moindre idée. Disons pour faire simple et compliqué à la fois que est illicite tout ce qui est interdit 🙂
et qui viole le droit d’un tiers…NEMROD34 : La LEN vise le piratage, la pédophilie, le terrorisme, le racisme. Or depuis deux ans, en France aucune condamnation en dehors du piratage n’a été prononcée pour le terrorisme, la pédophilie, le racisme, et ce même
quand un ministre affirme que les sites pédophiles ont augmenté de 70 % ! Comment se fait-il qu’il soient recensés mais pas poursuivis ? Alors que chaque mois des ados sont condamnés pour piratage ?
Je ne suis qu’un modeste avocat et je ne suis pas à la place des personnes, quelles qu’elles soient, qui peuvent prendre de telles décisions. Je crois cependant que vous vous trompez, car la ‘ contrefaçon ‘
n’est heureusement pas la seule source de contentieux. Je pense à la lutte réelle contre les réseaux pédophiles qui est très efficace et aussi celle contre le terrorisme, mais vous devez vous douter qu’en ces matières le silence est souvent de mise.juju : Quelles sont les modifications importantes qui ont été apportées dernièrement à la loi ? Sans pouvoir forcément entrer dans le détail disons que les points de discussion entre l’Assemblée nationale et le Sénat tournent autour de (évidemment) la responsabilité des acteurs de l’Internet, l’organisation
Internet/communication audiovisuelle (TV/radio), l’étendue de la responsabilité des commerçants en ligne.bougrahh : Est-ce que la LEN permet techniquement de tracer des ‘ mots-clés ‘ dans les mails de personne à personne ou sur les sites perso et, dans ce cas, qui les définit ?Je ne vois pas dans la LCEN d’autorisation de cette nature.sam : Comprenez-vous la réaction des webmasters et des hébergeurs ? Oui.NEMROD34 : En tant que fournisseur de sites Web, je fais en sorte que mes clients puissent modifier le contenu de leur site sans passer par moi. Admettons que le contenu modifié par mon client soit illégal, que
m’arrive-t-il ?
Si vous vous qualifiez de ‘ fournisseur ‘ de site Web, vous prenez à mon sens le mauvais chemin, car alors on pourrait considérer que vous êtes éditeur, coéditeur… alors qu’il est sans doute possible, même
si je ne connais pas votre situation exacte, de considérer qu’en réalité vous êtes un hébergeur.Big_jo : Quelle est la puissance de chiffrement autorisée en France ? Eh bien, cela va dépendre de la qualité que vous avez et des fonctions ‘ offertes ‘ par le moyen ou le service de chiffrement utilisé, mais encore pour faire simple et donner une réponse pour les
utilisateurs, le projet LCEN s’oriente vers une utilisation libre.Big_jo : Pourquoi en sommes nous arrivés là ? Est-ce à cause des 2 % de pédophiles ou des 0,1 % de terroristes ? A cause des autres.Tek : Pourquoi est-ce le ministère de l’Economie qui est chargé de décider comment ‘ espionner ‘ les échanges privés ?Parce que la loi vise le ‘ commerce électronique ‘ et qu’il semble bien que ce soit le ministère le plus adapté. Quant à votre affirmation sur l’espionnage, vous ne m’en voudrez pas de ne pas la partager. Je
ne crois que ce soit ni l’esprit, ni la lettre, ni rien d’autre de ce texte. Si ‘ espionnage ‘ il doit y avoir, je vous assure bien qu’il ne sera pas dans la loi !jjcchwsk : Je voudrais savoir si un FAI a l’obligation d’informer la justice si l’internaute va sur des sites de piratage et qu’il télécharge pour son compte personnel ? Pas à ma connaissance, étant rappelé que ni les FAI ni les hébergeurs ne sont tenus à une obligation générale de surveillance. Mais je ne soutiendrais pas non plus que si un FAI avait connaissance d’une telle situation il ne puisse
rester étranger sans risque. C’est une grosse partie du débat actuel, surtout que le texte sur les FAI et/ou les transporteurs n’est pas non plus si aisé à manipuler.mimil : J’ai entendu dire que les fournisseurs d’accès seront tenus de fournir l’identité des utilisateurs de logiciels de peer to peer téléchargeant des fichiers pirates ( MP3, divX…). Qu’en est-il
vraiment ?
La seule chose qui est dans le texte actuel, et qui était déjà dans le texte précédent (loi du 1er août 2000), c’est que les FAI et les hébergeurs doivent conserver les éléments d’identification de leurs
clients. Mais il y a ici deux problèmes : en premier lieu, la loi ancienne prévoyait qu’un décret préciserait le type d’information et la durée de conservation. Or ce décret n’a jamais vu le jour. Il faut donc espérer que celui prévu par la
LCEN voit, lui, le jour.Thym : Selon vous, la loi est-elle concrètement applicable ? Je pense notamment à la responsabilité des hébergeurs. De ce point de vue, est-ce réaliste ? Je crains effectivement qu’elle soit difficile à mettre en ?”uvre ou qu’à tout le moins, ce sont les juges qui viendront préciser la manière même de l’appliquer. Il y aura donc à mon sens une
‘ renaissance ‘ du contentieux des hébergeurs qui s’était estompé fortement depuis l’adoption de la loi du 1er août 2000.Valou : De votre point de vue de technicien, quelles sont les forces et les faiblesses de cette loi ? hop : Vous, en tant qu’avocat, quels sont les points de cette loi qui vous semblent être à l’encontre des libertés et
des droits établis et donc qui pourraient être déboutés ?
De mon point de vue ce qui facilite le commerce électronique va nécessairement dans le bon sens. Je pense par exemple à la notion de ‘ contrat sous forme électronique ‘ et particulièrement à la
reconnaissance formelle des contrats conclus sous forme d’échanges de courriers électroniques. J’avoue que je ne suis pas non plus insensible à la ‘ libéralisation ‘ de la crypto.Franck-Sinatra : N’est-il pas bizarre que le pays des droits de l’homme vote une loi de censure ? Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire de censure, mais je pense que l’on peut dire que la loi n’est pas équilibrée entre les intérêts des internautes, des consommateurs et des commerçants en ligne.Big_jo : Est-ce qu’un gouvernement futur pourrait retirer des articles de cette loi ou il devrait attendre un certain temps (je pense à la majorité qui voulait assouplir la loi des 35 heures) ? Un gouvernement fait toujours par principe ce qu’il veut. N’oubliez pas que le texte peut même être modifié avant d’être promulgué s’il est en tout ou partie censuré par le Conseil constitutionnel, ce qui avait déjà été le cas de la
précédente loi du 1er août 2000.Lutin ! : Concrètement, en temps que webmaster, qu’est-ce qui changera d’aujourd’hui ? Aurai-je à subir des contrôles ou des censures ? Non mais il faudra modifier votre site pour tenir compte des nouvelles obligations : d’identification d’une part, de forme des contrats électronique d’autre part, de publicité et de prospection commerciale enfin. N’oublions pas
d’organiser la responsabilité entre les différents intervenants.Merci beaucoup Eric Barbry. Le mot de la fin ? AYEZ CONFIANCE dans l’économe numérique ;-). Merci à tous.

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La rédaction