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Enron, le mauvais compte d’Andersen

La banqueroute du géant américain de l’énergie met en lumière le danger, pour un cabinet, d’être à la fois conseil et comptable.

Le géant américain de l’énergie Enron entraîne dans sa chute la réputation de son auditeur, Andersen, le comptable qui n’a pas vu venir la catastrophe. Enron, il y a encore peu, en juin dernier, était porté au pinacle par le prestigieux magazine The Economist. La transformation de ce traditionnel marchand de gaz texan en plateforme de vente virtuelle de matières premières en tout genre y était qualifiée “d’aventure internet la plus réussie par rapport à toutes les autres compagnies, dans n’importe quel secteur d’activité, n’importe où”. Mais quelques mois plus tard, la légende s’effondrait.

Une faillite cachée

A l’automne, Enron devait soudainement effacer 600 millions de dollars (695 millions d’euros) de ses déclarations de bénéfices sur plusieurs années. La maison se réfugiait sous le chapitre 11 de la faillite à la fin 2001 et perdait dans la foulée 60 milliards de dollars en valeur boursière. On croyait qu’Enron volait de succès en succès, lorsque, en fait, la société cachait des millions de dollars de dettes dans un réseau complexe de 4 000 filiales et de partenariats offshore. Celui-ci permettait de lever de nouveaux fonds sans que la maison mère ne ressente le poids de ses dettes. Et le comptable Andersen n’a jamais rien dit. Et la direction de la société de conseil doit aujourd’hui répondre de sa négligence ou de sa complicité.A Washington, le ministère de la Justice a lancé une enquête criminelle. Les fins limiers de la SEC (Security and Exchange Commission) sont sur le sentier de la guerre. Une bonne dizaine de commissions du Congrès multiplient les auditions depuis le début du mois de janvier. Et réclament le témoignage des plus hautes instances d’Andersen. Le PDG Joseph Berardino a été convoqué. Tragédie supplémentaire, le 25 janvier, J. Clifford Baxter, ancien vice-président d’Enron, met fin à ses jours. Il avait dénoncé en mai des manipulations comptables, avant de démissionner de son poste. Le processus judiciaire prendra des mois, ne serait-ce que pour déterminer qui seront les principaux accusateurs. Et les procureurs généraux des États fourbissent leurs armes. Au Texas, le procureur général a lancé une enquête pour voir s’il y avait eu violation des standards comptables de l’État. Et si la réponse est positive, Andersen pourrait perdre son droit à exercer son métier au Texas. De plus, on a appris en plein milieu de la tourmente que les petites mains d’Andersen s’étaient adonnées à la fin octobre à deux bonnes semaines de destruction systématique des documents et courriers électroniques concernant Enron. Presque un aveu de culpabilité.Le pdg d’Andersen, Joseph Berardino, a dû alors appliquer au plus vite le b.a.ba de la gestion de crise. David Duncan, l’associé texan responsable du compte Enron, a été licencié. Sans autre forme de procès. Et la firme s’est fendue d’une lettre ouverte dans trois journaux nationaux pour exprimer ses regrets et promettre qu’on ne l’y reprendrait plus…Et tous les experts en comptabilité de pointer la faiblesse des auditeurs. Comment ces derniers peuvent-ils gendarmer les bilans des entreprises, lorsqu’au même moment ils réalisent de juteux contrats de consultants pour ces clients. Enron a payé, en 2000, 25 millions de dollars d’audits à Andersen auxquels se sont ajoutés 27 autres millions de dollars en conseils financier, technologique, juridique…Aujourd’hui, c’est toute la profession comptable qui doit répondre des lacunes ainsi révélées. Les politiciens du Congrès remettent au goût du jour un projet de réforme présenté deux ans plus tôt par le patron de la SEC. Ce dernier voulait interdire aux sociétés d’audit de réaliser dans la même entreprise un travail de consultant. Histoire d’éliminer “les conflits d’intérêts” potentiels. Burton Malkiel, un professeur de l’université de Princeton, suggère de changer régulièrement son équipe d’auditeurs… afin d’éviter de devenir trop ami avec les financiers.En attendant la reforme, Andersen trinque. Sa réputation ternie va sans doute rendre plus difficile les efforts de recrutement. Et certains partenaires de poids quitteront le navire.

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Caroline Talbot à New York