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Emmanuel Macron peut-il vraiment déployer la fibre à marche forcée ?

Le candidat à la présidentielle veut donner 18 mois aux opérateurs pour déployer le FttH ou le très haut débit mobile sur tout le territoire. On vous explique pourquoi c’est impossible.

Après sa visite agitée de l’usine Whirpool, Emmanuel Macron a tenu un meeting à Arras ce 26 avril où il est revenu de façon express sur l’une des propositions numériques de son programme : lutter contre les inégalités d’accès au numérique.

A cette occasion, il a déclaré :

« 18 mois seront laissés aux opérateurs de téléphonie pour déployer partout la fibre ou la 3G et la 4G. Ensuite, l’Etat prendra ses responsabilités et déploiera lui-même par le plan d’investissements que nous avons décidé »

Des propos que l’on peut retrouver dans la vidéo ci-dessous (52’33) :

Ces deux phrases posent question car elles comportent des imprécisions et des erreurs factuelles.

  • La fibre et la 4G ne sont pas équivalentes

Emmanuel Macron semble mettre sur le même pied la fibre, la 3G et la 4G. Pourtant, ces technologies ne sont pas équivalentes. La fibre, qui désigne en France le FttH, permet d’accéder à l’internet fixe avec une promesse de débit descendant jusqu’à 1 Gbit/s. La 4G est le standard de téléphonie le plus évolué actuellement et permet d’accéder au très haut débit mobile, à savoir jusqu’à 337 Mbit/s dans une poignée de villes dans notre pays.

La fibre touche un nombre infime de Français. Une étude de l’Idate du mois de février dernier montrait qu’elle affichait un taux de pénétration de seulement 2% en France au mois de septembre 2016. Au mois de décembre dernier, l’Arcep a comptabilisé 2 millions d’abonnements et 7,7 millions de logements éligibles.

L’état de déploiement est beaucoup plus avancé pour la 4G. Orange, qui affiche la meilleure couverture dans notre pays, touche potentiellement 88% de la population au 1er janvier 2017, suivi par Bouygues Telecom (85%), SFR (81%) et Free Mobile (73% d’après des chiffres de septembre 2016 mais il affirme pouvoir monter à 85% d’ici la fin de l’année). Actuellement, le taux de pénétration serait proche des 50%.

  • “Partout” : une promesse absurde

Mais ce qui pose le plus question, c’est l’emploi du terme « partout ». Emmanuel Macron veut déployer de la fibre ou du très haut débit mobile sur tout le territoire français. Ce n’est pourtant jamais l’objectif de l’Etat ou des opérateurs qui parlent toujours en terme de population couverte. Logique puisqu’il le but d’un déploiement est de rendre accessible une technologie à la population. Est-ce utile alors de contraindre des opérateurs à couvrir des zones non habitées ?

Le cas des zones rurales très peu peuplées ou difficilement accessibles est complètement différent. 3800 communes, représentant 1% de la population française, ne bénéficiaient même pas de la 2G il y a encore quelques mois en France. Ces zones restaient à l’écart parce que peu rentables commercialement. Un problème auquel s’est justement attelé Emmanuel Macron lorsqu’il était à Bercy, en concluant un accord avec les opérateurs pour couvrir les zones blanches. L’Etat et les collectivités territoriales financent la construction des infrastructures publiques (pylônes, point haut) où les opérateurs installent des antennes de façon mutualisée. En cas de mauvaise volonté, l’Arcep peut sévir. Ces derniers ont ensuite l’obligation d’y proposer des offres commerciales. Le volet 2G du programme devrait être achevé d’ici la fin de l’année. La 3G fait également partie de ce dispositif. Mais que dit le contrat imposé par Macron ? Que seuls les centre-villes sont concernés et non la totalité des territoires des communes. Une sacrée contradiction avec les propos tenus cette semaine.

  • Déployer en 18 mois : impossible pour la fibre

Emmanuel Macron donne 18 mois aux opérateurs pour déployer partout la fibre ou la 4G. Cette échéance est-elle tenable ?

« Dans le mobile, si la phrase signifie terminer le déploiement dans les zones blanches-centre bourg (2G et 3G), c’est faisable en 18 mois. Après tout, on en est à 92% en 2G et 75% en 3G aujourd’hui. Mais encore faut-il que l’Etat débloque les crédits pour les pylônes …. », nous fait observer un acteur du marché.

Pour ce qui est de la fibre, en revanche, c’est totalement infaisable. Elle nécessite des travaux lourds, longs, complexes et dispendieux puisqu’il faut dérouler des câbles de fibre optique et intervenir jusqu’au domicile de l’abonné. Rien à voir avec les installations d’antennes en extérieur de la téléphonie mobile. « La vitesse de déploiement n’est pas une question de CAPEX mais de ressources humaines. Au milieu des années 70 et du plan de rattrapage téléphonique Delta LP, le futur France Télécom n’a jamais dépassé les 3 millions de prises déployées par an. Donc on en a pour des années », ajoute ce même observateur.

  • Quel plan d’investissements ?

Si les opérateurs ne parviennent pas à boucler la couverture du territoire en 18 mois, le candidat à la présidentielle affirme que l’Etat prendra le relai avec un plan de déploiement. Le problème, c’est que ce plan existe déjà. Il s’agit du Plan France Très Haut Débit, adopté le 28 février 2013. Emmanuel Macron le connaît bien puisqu’il l’a supervisé à partir du moment où il est devenu ministre de l’Economie en 2014. Le budget du PFTHD budget est de 20 milliards d’euros mais il devrait monter plus probablement à 35 milliards, selon la Cour des comptes.

Ce programme a pour objectif d’apporter une connexion de plus de 30 Mbit/s dans chaque foyer d’ici 2022 en s’appuyant à 80% sur du FttH. Aujourd’hui, il reste 7 millions de logements à couvrir en zone d’initiative publique et 14,2 en zone d’initiative privée. L’échéance de 2022 apparaît impossible à tenir pour la Cour des Comptes. Cette dernière souligne, en outre, qu’en 2022, une autre phase de déploiement devra débuter, reposant sur le Fonds National pour une Société Numérique (FSN). « Les projets locaux de déploiement présentés dans les schémas prévoient une couverture des territoires en très haut débit entre 2025 et 2030, voire 2035 » , peut-on lire dans le rapport. La Cour des comptes précise toutefois que le déploiement ne sera pas achevé à ces dates. D’autres plans devront suivre alors mais leur financement et les échéances n’ont pas encore été évoqués.

La fibre est donc, on le voit, une affaire à suivre sur le long terme. Et ne se résoudra pas en 18 mois, quoiqu’en dise Emmanuel Macron…

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Amélie Charnay