Citoyens, citoyennes, de quel pet en travers souffrez-vous ? En ces temps politiquement chauds, où doit-on vous enfoncer le thermomètre pour mesurer votre fièvre ? Eh bien non, pas là… Plutôt en haut à gauche, côté c?”ur. Votre âme conservatrice ou progressiste souffre, nous disent les sondages, de l’absence de repères moraux. En clair, l’homme est un loup pour l’homme, mais regrette que ce soit réciproque. La seule question est donc : pourquoi ces salauds me rendent-ils la gifle que je viens de leur donner ? Certains font noblement exception et préfèrent se demander : comment puis-je, moi, être moins salaud ? Question vertigineuse, et pour tout dire épuisante. Ce qui n’empêche pas Roland, le PDG de notre groupe, de lancer une vaste campagne d’autocritique au sein de la boîte, en se couvrant lui-même la tête des cendres de notre passé. “Moralement, nous devons être ce que nous n’avons pas toujours été : ir-ré-pro-cha-bles !” Réponse de Charlotte, notre directrice générale : “Là, moi je dis que tu es sévère, Roland. Car moi je pense que, comparés à la concurrence, nous sommes hyper-clean et…” Roland, en pleine élévation spirituelle : “Je t’arrête, Charlotte. N’essayons pas de nous convaincre que nous sommes ce que nous ne sommes pas.” Les membres du comité de direction se grattent furieusement la tête pour soutenir le métabolisme défaillant de leurs neurones. Quelle nouvelle lubie directoriale va ravager nos paisibles i-existences ? “Ce qu’il nous faut, chers amis, c’est un DÉONTOLOGUE !” Nous faisons tous semblant de savoir ce dont il parle, sauf notre brillante DG : “Déonto-quoi ?” Le patron, ravi de nous apprendre quelque chose qu’il ignorait l’avant-veille, avant de l’apprendre la veille dans un cocktail de décideurs néo-tendance : “Un dé-on-to-lo-gue ! Ou si vous préférez, un “responsibility manager”… Un “compliance officer”, quoi ! ça y est, c’est plus clair dans vos têtes ?” Silence gêné : notre brouillard intérieur s’épaissit. Roland nous briefe avec condescendance : “C’est quelqu’un qui, au sein du groupe, s’occupera d’accroître notre profit de respectabilité, en conceptualisant et architecturant un appareillage déontologique valorisateur d’image.” Charlotte, en pleine migraine : “Oui, bien sûr… c’est très clair, mais euh…” Roland, porté par les ailes de l’innovation : “Oui, formidable, non ? Plus de pots-de-vin, plus de pratique commerciale à la mords-moi la main, de tripatouillage à la graisse-moi l’offshore, de trocs véreux ni de comptes truqués ! Blancs comme neige ! C’est ça que veulent les gens, maintenant… Alors c’est ça qu’on veut nous aussi !” Il nous brandit un sondage récent, annonçant que les Français sont, dans leur grande majorité, prêts à sanctionner les entreprises qui “se comportent mal”. L’éthique devient donc une valeur marchande, et le déontologue son zélé VRP. D’ailleurs, triomphe saint-Roland, l’indice américain Domini, qui cote les entreprises selon les valeurs éthiques, montre que les plus vertueuses sont dorénavant les plus rentables. Et toc. “Notre déontologue sera en poste dès la semaine prochaine. Sa mission : programmes anticorruption, charte éthique, codes de conduite, etc.” Tétanisés, didierschullerisés, nous n’avons plus qu’une semaine pour choisir entre le suicide et lexil…
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