Passer au contenu

Communiquer, le nerf de la guerre

Sur le terrain des opérations militaires en Afghanistan, communiquer n’a jamais été aussi critique. Et complexe…

Quiconque connaît les difficultés que peut rencontrer une PME dans la gestion de ses systèmes d’information et de communication imagine sans peine les trésors d’énergie que doit déployer l’armée dans un pays aussi chaotique que l’Afghanistan. A 5 500 kilomètres de Paris, 3 750 soldats communiquent non seulement entre eux, mais aussi avec l’Otan, le commandement français, et même avec leurs familles et leurs amis. Dans un pays ravagé par des décennies de guerre, au relief difficile, aux infrastructures quasi inexistantes et dans lequel la menace d’attaque est permanente, communiquer de manière rapide et sécurisée relève de l’exploit.Pour répondre à ce besoin vital, l’armée dispose de corps d’armée spécifiques. Des femmes et des hommes de l’ombre, soldats avant tout, mais qui manient plus souvent des claviers, souris et câbles USB que des fusils d’assaut. En plus des dangers inhérents à la vie militaire, leurs ennemis sont les virus, les écoutes, le piratage de leurs ordinateurs, la poussière et la chaleur ; leurs armes, l’attention et la prévention, les serveurs et les systèmes de cryptage. Leur rôle est tout aussi vital que ceux des combattants. Car de la pérennité des systèmes informatiques, des liaisons radio et satellitaires dépendent la vie de centaines de soldats et l’issue d’une mission plus incertaine que jamais. Petite plongée dans un monde où une clé USB prend parfois l’apparence d’une arme de destruction massive.Remerciements à Christophe Loubaton, à la cellule Communication de l’armée à Kaboul, et aux lieutenants S. Guimené et F. Djeniah.

Les ondes radio toujours d’actualité

Peu de lignes téléphoniques terrestres, des réseaux de téléphonie mobile aussi clairsemés que non sécurisés : sur le terrain du conflit, l’armée apporte ses propres réseaux dont le Réseau intégré des transmissions automatiques de deuxième génération, appelé aussi RITA 2G. Il se compose d’antennes radio, réparties selon un maillage redondant, afin que la perte d’une ou de plusieurs d’entre elles ne mette pas en péril le fonctionnement de l’ensemble. “ Il faut à peine 45 minutes pour déployer et mettre en service les 21,5 mètres de l’antenne RITA [photo du bas] ”, selon le sergent Rabia [photo du haut à gauche], spécialisé dans l’emploi des réseaux de zone (ERZ). De telles antennes, on en retrouve sur toutes les bases françaises, de Kaboul à Tora [photo du centre]. D’un emploi facile, le réseau a les défauts de ses qualités : les faisceaux sont détectables et donc potentiellement audibles. Un chiffrement matériel vient donc s’ajouter à chaque antenne afin de garantir la confidentialité.

Un matériel mis à rude épreuve

“ Le climatiseur ? Non, ce n’est pas pour le confort des hommes mais pour celui des machines ! ”, sourit le militaire dans son container [photo du haut]. Un container à l’aspect anodin qui renferme pourtant l’équipement radio permettant à la base de Tora d’envoyer et de recevoir des informations. C’est à la suite de mauvaises expériences en Afrique, où la chaleur a mis HS le système en moins de deux, qu’on y a installé des climatiseurs. L’Afghanistan est un terrain qui met le matériel à rude épreuve : étés chauds et secs, hivers très rigoureux, un monde de montagnes, de déserts, de sables et de rocailles, aux routes éternellement nimbées de poussière. Le matériel est stressé continuellement. Les protège-prises [photo du bas], comme la radio à l’intérieur d’un véhicule blindé, ne sont pas là pour faire joli.

Là où (presque) tout se décide

Si la guerre d’Afghanistan est éminemment politique et se joue dans les coulisses des grandes capitales, les décisions opérationnelles se prennent ici, dans le saint des saints de la base de Bagram : le Joint Operation Center, c’est-à-dire le centre des opérations conjointes. Dans un bâtiment aux allures de forteresse, ce grand amphithéâtre rempli d’ordinateurs rassemble les commandements de toutes les nationalités qui opèrent en Afghanistan, sous l’égide de l’Otan. C’est ici que le patchwork de pays alliés coordonne les opérations, collecte les informations, lance les campagnes. Pour avoir l’autorisation de rentrer dans ce centre, il faut un contact qui négocie âprement. Deux minutes pour faire une photo en contre-plongée avec interdiction de prendre un écran de face. Ils sont d’ailleurs presque tous éteints pour l’occasion.

L’ennemi vient aussi de l’intérieur

Dans une armée où les ordinateurs sont des pièces maîtresses de la communication, il est un objet anodin qui fait peur : la clé USB. “ On commence à détecter des virus écrits en farsi [une langue parlée en Iran et en Afghanistan, Ndlr] ”, explique un militaire. Et entre les réseaux IntraDef, IntraTerre, SICF, et Otan, les cibles ne manquent pas. Du coup, la défense est double. D’une part, ces réseaux sont physiquement isolés les uns des autres, avec des postes informatiques propres à chacun. D’autre part, le transfert d’informations d’un réseau à l’autre, conditionné selon des règles strictes, se fait avec des clés USB qui passent par des “ stations blanches ”, des postes de nettoyage informatiques dotés de deux antivirus au moins.

Le Web pour tous

Trois heures trente séparent Paris de Kaboul. Un décalage peu important qui permet aux militaires de garder le lien avec leurs proches. Pour communiquer il y a le téléphone, bien sûr, mais aussi le Net… dans les chambres ! Car plutôt que de laisser ses ouailles se débrouiller pour se connecter, l’armée met à disposition un réseau Wi-Fi, installé par Thalès, autour des chambres. Un réseau sécurisé, conçu pour ne pas arroser les bâtiments de commandement où se situent les infrastructures stratégiques. Pas de connexion illimitée comme à la maison, mais une carte de communications mensuelle pour téléphoner ou se connecter pendant 300 minutes. Au-delà de ce crédit, les militaires achètent d’autres cartes avec leur solde, ou attendent le mois suivant. Cette politique assez ouverte, conçue pour maîtriser au mieux les communications (et peut-être aussi contrôler les fuites) a deux aspects. Pour le colonel Poulette, “ c’est permettre de ne pas rompre le lien avec les familles et de répondre aux besoins d’une société qui a grandi avec le Net. Mais cela a deux effets pervers : la cohésion est moins forte que du temps où le téléphone, rationné, était avec le courrier le seul lien possible. Et cela fragilise les jeunes militaires qui ressentent chaque jour sur Live Messenger, Facebook ou Skype, la souffrance de leur moitié restée au pays. ”.

La milibox

Le triple play, les militaires y sont presque. Avec son système Aribande (réseau satellitaire Aristote, tri-bande), l’armée française dispose d’une ligne directe avec la métropole afin d’acheminer les réseaux militaires, l’Internet et la téléphonie par IP. La télévision, en revanche, n’est pas encore à l’ordre du jour. Pas de prise RJ11 dans le mur comme à la maison, ici, le lien de 5 Mbit/s vers la métropole est assuré par trois antennes satellitaires [photo à droite en haut). En face desquelles il ne faut pas rester trop longtemps, au risque de se “ griller les neurones ”, dixit un des quatre techniciens militaires en charge de la “ source ”. Quatre mousquetaires quasiment cloîtrés six mois durant dans une partie sécurisée du camp. Ils veillent sur les antennes 24 h/24,7 j/7. Selon leur origine, les réseaux qui passent par ces tuyaux sont cryptés par des ordinateurs (chiffrement logiciel), ou “ classifiés ”. Dans ce cas, le chiffrement est matériel : les communications passent dans une moulinette fabriquée par Thalès [photo ci-contre). Le tout est acheminé vers les installations concernées par des routeurs gigabits câblés en fibre optique.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Adrian Branco