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Com-mu-ni-quons!

Plaaammm! Mon pied droit vient d’emboutir un morceau de tôle, dont l’allure n’a plus rien à envier aux effets graphiques de Photoshop. Un coup de frein répond à ma veine créatrice…

” Non, mais ça va pas ! Vous êtes complètement fou, mon vieux “, éructe le conducteur dont je viens de botter la portière. Je réponds, suave : ” Tiens donc, vous m’avez enfin vu ? ” Ma victime d’hier, une jeune femme, s’était arrêtée avec peine, son téléphone bloqué à l’oreille gauche. Après mon passage, elle avait redémarré sèchement, la mine contrariée, comme pour me signifier qu’elle n’aimait pas être dérangée quand elle discutait.Ce matin, le feu venait de passer au vert et le conducteur de cette grosse berline noire, le visage plongé vers sa boîte à gants, tournait à droite pour s’engager sur le pont de la Concorde sans même remarquer les piétons sur le passage protégé, dont moi.Coïncidence, au même moment, une moto de gendarmerie vient se placer illico devant le véhicule immobilisé. Le représentant de la loi salue le conducteur qui sort, très en colère : “Non, mais vous avez vu ce que vient de faire cet abruti !”Le gendarme, exquis : “Monsieur, avez-vous les papiers de votre véhicule ?”” Comment ? Mais c’est à ce type qu’il faut demander ses papiers “, répond-il en me menaçant de son portable, un concentré de technologie nordique.” Savez-vous, monsieur, qu’il est interdit de téléphoner en conduisant ? ?” 
Mais je ne téléphonais pas, je consultais les cours de la Bourse “, répond l’outragé.Jusqu’à présent, l’utilisateur d’un téléphone portable arrivait encore à percevoir les piétons dans son champ de vision. Mais c’est fini. Désormais équipé d’un portable à la sauce WAP, le même utilisateur ne les voit plus ! Vous n’y croyez pas ? Faites le test. Regardez l’heure sur votre montre puis regardez devant vous. Recommencez l’opération une vingtaine de fois. Ajoutez un peu de complexité en conduisant dans Paris avec une boîte non automatique et, surtout, en affichant non plus l’heure mais un flot de messages d’importance en provenance d’Internet :“Marcel chéri, pense à acheter du pain pour ce soir” ; “Monsieur Roland, je réponds à votre message de ce matin” ; “Solange, il y a des promotions chez BlouziStore, rue Saint-Honoré.”Pour sûr, avec cette technologie géniale, on a tous les ingrédients pour réussir un magnifique carnage de piétons et de cyclistes dans les mois à venir. Heureusement, les ingénieurs planchent sur des pare-brise qui afficheront en clair et en grand ces messages devant le conducteur. Ils travaillent aussi sur des lunettes qui présenteront à droite les cours du Nasdaq, à gauche les infos de l’AFP et, en surimpression, les indispensables bannières publicitaires qui font que tout est gratuit.Ils ont laissé de côté la console avec écran large, caméra embarquée à l’avant du véhicule et volant pour conduire et surfer tout à la fois ; quel dommage, on aurait pu, du coup, s’installer sur les sièges arrières (c’est top !) ou même dans le coffre pour préserver son incognito.On vit une époque vraiment formidable : on ne se parle plus (essayez dans le train sans essuyer, au pire, une gifle, au mieux, un sourcil désapprobateur), mais on communique toutes les secondes comme si notre vie en dépendait. Allez ! Une petite panne de quelques heures nous fera redécouvrir que derrière l’écran ou lécouteur, il y a la vie, le monde, la planète. Attention ! Quelques petites heures pour la panne, pas plus.Chronique parue le 22 avril 2000

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Jean-Christophe Courte