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Chine, le négoce et le bâton

Pékin favorise la net économie mais traque la “subversion” en ligne. Huit mille cybercafés ont été fermés, des peines prononcées. Les investisseurs jouent le jeu.

Wang Yue Sheng a beau être un jeune entrepreneur plutôt bien vu, membre de l’Assemblée populaire chinoise et auréolé d’une image moderne, il a eu droit à une descente de police très médiatisée dans son immense café internet pékinois en décembre. La brigade informatique a chassé tous les clients et examiné la mémoire de chaque ordinateur afin de savoir quels sites avaient été visités par les utilisateurs, principalement des étudiants. Bilan : 50 ordinateurs ont ” avoué ” avoir rendu visite à des sites pornos, ce qui a valu à Wang Yue Sheng une amende de 30 000 yuans (4 300 euros). De plus, il a été réprimandé pour avoir ” oublié ” de noter l’identité des utilisateurs, afin de pouvoir les retrouver en cas d’infraction. Cet incident est révélateur de la manière dont les autorités chinoises s’y prennent pour contrôler, autant que possible, l’usage du net : transformer les opérateurs de sites ou de cafés internet en auxiliaires de police, en leur faisant faire le sale boulot.

Hérétiques et dissidents

La Chine communiste, à l’inverse de la Corée du Nord, de l’Afghanistan ou de l’Iran, a choisi de jouer à fond la carte d’internet et des nouvelles technologies. Résultat : près de 26 millions d’internautes, souvent jeunes et urbains, une croissance rapide à laquelle il faut ajouter plus de 110 millions d’abonnés au téléphone portable, pouvant s’échanger des messages courts ou, pour certains, accéder à internet. Mais les autorités n’entendent pas renoncer à contrôler ce que lit, sait ou pense la population. Des objectifs à l’opposé d’une technologie qui élargit en principe le champs des libertés. Le gouvernement chinois tente de gérer cette contradiction entre ouverture technologique et fermeture politique. Une course de vitesse rendue de plus en plus difficile par la croissance exponentielle du secteur. Wu Jichuan, tout puissant ministre de l’Industrie de l’information, souvent décrit comme un conservateur passionné de technologie et de… cuisine, a multiplié l’an dernier, les lois, règlements et décrets. Début juillet, pourtant, le président Jiang Zemin, a estimé qu’il fallait renforcer ce dispositif afin de “ barrer la route aux informations néfastes “. Un tour de vis suscité par le constat que la secte interdite Falungong, par exemple, a proliféré et continue de survivre clandestinement, en partie grâce à internet.Ce maquis régulateur impose aux fournisseurs de services internet d’assurer une partie du contrôle. Ainsi, ils ne peuvent reprendre que des informations déjà publiées dans la presse officielle, donc passées au crible de la censure. Ils doivent surveiller le contenu des forums de discussion et en proscrire les opinions nuisant à la ” sécurité de l’État ” (c’est-à-dire favorables aux dissidents démocrates), à ” l’unité entre les groupes ethniques ” (Tibet ou Xinjiang), à ” l’unité nationale ” (Taiwan), ou répandant des ” idées hérétiques ” (Falungong), ainsi que la pornographie ou la violence. Une autocensure que les grands groupes internet chinois ou étrangers acceptent pour protéger leurs investissements, malgré les protestations des partisans des droits de l’homme à l’étranger.

Logiciels mouchards

De son côté, le pouvoir bloque l’accès à des centaines de sites internet étrangers, des pages consacrées au Dalaï Lama au web de CNN ou du New York Times. Et il fait la chasse à ceux qui utilisent internet à des fins politiques. Régulièrement, des internautes sont arrêtés, l’un pour avoir placé sur un site les documents secrets de Tien-anmen, un autre pour avoir dénoncé les abus en Chine… Symbole de cette répression : Huang Qi, un cyberdissident en prison depuis un an pour avoir diffusé des ” informations subversives ” sur le web, et toujours en attente de procès.Dernière cible de cette volonté de contrôle : les cafés internet qui ont proliféré ces derniers mois jusque dans les plus petites villes de Chine. En mars, le pouvoir a décidé de faire le ménage, mobilisant 40 000 policiers pour inspecter 68 000 cafés internet. Bilan, trois mois plus tard : 14 000 cybercafés sont sanctionnés, et des logiciels de surveillance installés à grande échelle… Reste à voir si ce pari de marier ouverture technologique et répression politique sera viable, lorsque les internautes seront 100 millions et les utilisateurs de mobiles 250 millions. Le Big Brother chinois risque fort d’être submergé.

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Pierre Haski à Pékin