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Cher rachat, très chère technologie

Alcatel a dépensé des milliards de dollars aux États-Unis. Pour racheter des parts de marché, mais surtout pour acquérir les technologies qui lui faisaient défaut.

Alcatel emploie environ 20 000 ingénieurs et consacre 10 à 12 % de son chiffre d’affaires annuel à la Recherche et au développement (R & D). Soit près de 3 milliards d’euros en 2001. Mais, malgré cet effort considérable, et constant sous la présidence de Serge Tchuruk, le portefeuille de technologies de l’équipementier français a dû être en permanence complété par des acquisitions de sociétés.Des milliards d’euros ont été dépensés, soit en cash, soit en échange d’actions. Rien qu’en 2000, Alcatel a acquis la société canadienne Newbridge (7,53 milliards d’euros, par échange d’actions), leader mondial des réseaux en technologie ATM, la société américaine Genesys, leader mondial des centres de contact, et Innovative Fibers (175 millions de dollars), leader mondial des filtres optiques en DWDM Dense Wavelength Division Multiplexing ). L’année précédente, elle avait acquis Xylan (1,1 milliard de dollars), Packet Engines (400 millions de dollars), Assured Access et Internet Device, toutes spécialistes des réseaux et solutions pour internet. Une avalanche d’achats qui confirme le regard de Laurent Balcon (Global Equities), pour qui “Alcatel reste une histoire de croissance externe.” Son tropisme pour les télécoms n’a-t-il pas pris corps en 1986, avec la reprise des activités de commutation d’ITT par Georges Pébereau, alors PDG de la Compagnie Générale d’Électricité (CGE), ancêtre d’Alcatel ?

Des doutes sur la créativité

Impossible de ne pas se poser la question : l’expansionnisme technologique de la firme française cache-t-il une éventuelle incapacité à innover depuis l’invention de l’ADSL au début des années 1990 ? En dépit du millier de brevets déposés chaque année, il faut constater dans certains cas la défaillance des ingénieurs maison. Au milieu des années 1990, Alcatel a en particulier échoué à mettre au point un commutateur classique travaillant sur le mode ATM. Il faudra l’achat de Newbridge pour combler cette lacune. L’entreprise a également manqué le virage des équipements et infrastructures mobiles, laissant Ericsson et Nokia construire des positions quasiment inexpugnables.Pour Bernard Malhamé, analyste à la Société Générale, “il n’est pas faux d’affirmer qu’Alcatel offrait d’excellents produits, mais trop tard. C’était en partie dû au fait que le groupe était plutôt absent des États-Unis, marché qui dicte les priorités dans les télécoms.” D’où les rachats intensifs aux États-Unis. Par ailleurs, l’absence d’Alcatel sur tel ou tel segment particulier des télécoms s’explique aussi par son positionnement stratégique de ” généraliste des télécoms “, qui empêche la société de dégager les moyens financiers et humains appropriés au développement de toutes les technologies liées à ses différentes spécialités. Il lui serait par exemple impossible d’investir autant d’argent que Nokia sur les infrastructures mobiles. Une réalité qu’Alcatel ne nie pas, admettant même que sa recherche est ” optimisée ” sur certains produits, au risque d’affaiblir le groupe sur certains appels d’offres, exigeant une large palette de services et de produits. Pour contourner l’obstacle, les ingénieurs d’Alcatel s’efforcent de ruser, comme l’illustre l’association avec Fujitsu au sein d’une coentreprise baptisée Evolium. Une façon intelligente de partager l’expérience de l’entreprise japonaise dans les solutions UMTS sans prendre de retard…“Il s’agit là d’un vrai partage de R & D, souligne Christian Grégoire, directeur de la recherche et de l’innovation du groupe, même si nous contrôlons deux tiers du capital d’Evolium. Nous profitons clairement de la rupture technologique que représente la 3G pour reprendre une position de leader dans le segment de la téléphonie mobile.” Las ! Comme le résume d’un trait André Chassagnol de Paresco Equities, l’entreprise française dispose effectivement d’une certaine avance technologique par rapport à ses concurrents en matière d’infrastructures et d’équipements UMTS. “Mais, dit-il, pas de chance, il n’y a plus d’opérateur télécoms disposé à investir dans l’UMTS.” L’UMTS, si elle survit Après avoir dépensé des sommes colossales pour acquérir des licences UMTS souvent hors de prix, les Vodafone, Telefonica et autre Deutsche Telekom annulent ou repoussent leurs plans d’investissement dans la téléphonie de troisième génération. Le mouvement a pris une telle ampleur que certains se demandent même si cette technologie n’est pas tout simplement mort-née. Christian Grégoire balaie rapidement ces craintes. Pour lui, “les opérateurs ont tout intérêt à investir dans la 3G au regard du prix déjà acquitté pour les licences. Nous signerons les premiers contrats dans l’année qui vient. Alcatel est présent au bon moment sur le marché de la 3G, avec une offre UMTS très performante.” À suivre…

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Michel Gassée