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Bercy s’extirpe des années Cobol

Pour affronter le défi des nouvelles technologies, le Trésor public a enclenché une formidable rénovation, opérée en douceur. Il mise sur la formation, passage obligé pour gommer des années d’immobilisme.

Imaginez une informatique figée dans les années soixante, qui aurait échappé à toutes les grandes révolutions technologiques, bases de données, client-serveur, et même web. Si cette organisation n’était investie de missions critiques,
elle mériterait d’être maintenue en l’état comme objet d’étude. Sauf que le système d’information de la Direction générale de la comptabilité publique (DGCP) ­ puisque c’est d’elle qu’il s’agit ­ gère la comptabilité de l’Etat et celle des
collectivités locales, assure le recouvrement des impôts, et règle la paie des fonctionnaires et des pensionnés de l’Etat. Ce n’est pas rien !La prise de conscience de la fragilité de ce système d’information est récente. Sidney Studnia, adjoint au DSI du Trésor public (l’enseigne ‘ commerciale ‘ de la DGCP), la fait remonter à 1996. Les
quelque cent soixante applications Cobol ­ 160 millions de lignes de code ­ sont menacées d’obsolescence, et le coût de leur maintenance ne cesse de s’accroître.Au fil des ans, les trente-trois centres informatiques disséminés sur le territoire ont pris des libertés avec les procédures de maintenance. Les informaticiens corrigent eux-mêmes les bogues plutôt que de remonter les
dysfonctionnements. Si, en théorie, les départements informatiques exploitent les mêmes applications, les spécificités ne cessent de se multiplier. Pour ne rien arranger, deux systèmes cohabitent. Un tiers des sites est équipé de grands systèmes
Bull, et les deux autres tiers le sont de mainframes IBM. En outre, les services de maintenance des constructeurs se dégradent et l’expertise au sein du Trésor public se raréfie. ‘ Le système atteignait ses
limites ‘,
juge sobrement Sidney Studnia.

Refonte en profondeur

Ce constat alarmant débouche sur l’élaboration, en 1998, d’un schéma directeur informatique. Trois grands axes sont définis : la rénovation de l’architecture technique, celle des applications fonctionnelles, et la mise en place d’une
nouvelle organisation. ‘ Une fois la politique définie, tout restait à faire ‘, note Sidney Studnia. Il y avait bien eu, dans le passé, quelques tentatives de réforme du ministère. Mais elles s’étaient
systématiquement heurtées à l’inertie d’une administration conservatrice. Pour avoir voulu passer en force, un ministre y avait même laissé sa place.En s’appuyant sur l’informatique, une nouvelle méthode pragmatique a été définie : elle privilégie la concertation avec les équipes locales et l’appropriation des nouvelles technologies par la mise en place de petits projets, qui
produisent des résultats tangibles. ‘ Il faut donner de la visibilité aux utilisateurs, le temps de régler les problèmes de fonds ‘, argumente le DSI adjoint.Préalable à la mise en place de nouvelles applications Web, la redéfinition de l’architecture réseau. La première étape de cet immense chantier vise à remplacer l’ancienne technologie X25 par TPC/IP. Au-dessus de cette nouvelle couche
réseau, la DGCP a commencé par déployer un intranet. Chacun des soixante mille agents s’est vu doter d’un PC et d’une boîte aux lettres pour dialoguer par courrier électronique. L’arrivée de la micro a constitué une première révolution : la
partie immergée de la DGCP entrait dans l’ère moderne de l’informatique ! Restait à rénover le back office.Une nouvelle architecture de développement a été retenue. Aux grands systèmes et au langage Pacbase Cobol ont succédé le système d’exploitation Unix, la base de données Oracle et le L4G Forté. Ce dernier a été préféré à Visual Age. Au
moment du choix, en 1998, Java n’avait pas encore fait ses preuves. Ce saut technologique vers le monde objet allait s’accompagner d’une réorganisation des compétences informatiques dans les régions.Historiquement, les trente-trois centres informatiques remplissaient les mêmes fonctions : d’un côté, exploitation et maintenance des applications ; de l’autre, une partie programmation, souvent réduite à sa portion congrue.
L’essentiel des développements était, en effet, piloté et réalisé par la direction centrale à Paris. Le schéma directeur remet en cause cette répartition des tâches. Il prévoit désormais de centraliser l’exploitation des applications sur la moitié
des centres. Les autres sont affectés à de véritables tâches de développement, qui dépassent le simple stade de l’intégration.

Vivre et travailler au pays

Le défi technique est gigantesque. Pour le corser un peu plus, la DGCP s’est imposé une double contrainte : aucun département informatique ne doit fermer, et aucun des quinze cents informaticiens répartis dans les centres ne doit être
déplacé contre son gré vers un autre centre. ‘ Chaque agent se voit proposer une évolution sur site dans la sphère informatique ‘, résume Sidney Studnia.Dès lors, il ne reste plus qu’une solution : la formation. C’est la solution la plus élégante, la plus respectueuse des attentes des informaticiens, sans doute la plus performante à long terme, mais aussi la plus ardue à mener.
Il s’agit ni plus ni moins que de reconvertir une population d’informaticiens cobolistes aux nouvelles technologies. L’ampleur du programme impressionne : il concerne, en effet, directement la moitié des centres, soit huit cents agents.C’est l’Est de la France qui est sélectionné comme région pilote pour expérimenter cette mutation. Les premières migrations de mainframes et les premiers plans de formation ont débuté dès 1999. Les engagements du ministère ne
suffisent pas à rassurer une population très attachée à son lieu de travail. Les équipes informatiques craignaient que, une fois dépossédées de leur outil de travail, le mainframe, elles soient tenues de s’exiler dans des villes voisines. Mais,
cette appréhension chassée, le programme de reconversion pouvait débuter.

Mise en place de plans de formation individuels

Chaque informaticien rencontre sa hiérarchie et lui fait part de ses préférences en termes de reconversion. A l’issue de cet entretien, est élaboré un plan de formation individualisé. Il s’appuie sur des stages auprès de prestataires
externes ­ principalement des éditeurs et des constructeurs. Il est ensuite complété par des formations en interne.La mise en pratique de cette méthode s’avère toutefois complexe. D’abord, tous les profils d’informaticiens ne cadrent pas forcément avec les nouveaux besoins du Trésor public. Selon les centres, tous les agents ne se verront pas
proposer systématiquement une évolution. Il faut ensuite composer avec les contraintes ordinaires d’exploitation des applications en place. Les programmes hébergés sur les grands systèmes ne sont retirés que progressivement. Si bien que tous les
agents ne peuvent être détachés simultanément. ‘ Mes collègues ont commencé leur formation avant moi, car on m’a confié d’autres fonctions, témoigne Anita Lefin, du centre d’Amiens. J’ai attaqué la GED sans avoir suivi les formations sur
les langages Java et SQL. L’idéal aurait été de suivre le cursus normal de formation. ‘

Des difficultés à mener toutes les opérations de front

A la direction générale du service informatique, Sidney Studnia confirme la difficulté de mener de front la formation d’une partie des équipes, la migration informatique et l’exploitation courante. ‘ C’est très
compliqué,
assure-t-il. Notamment en raison du nombre d’évolutions à gérer. ‘ Sur place, Gilles Tourpin, directeur informatique du centre d’Amiens, confirme : ‘ Parfois, il a fallu gérer des
risques. ‘
Bon an mal an, le chantier avance. Avant la restructuration, les effectifs se répartissaient comme suit : 10 % dans le développement, 3 % dans la qualité, et 15 % dans la maintenance. Les deux
autres tiers sont affectés à l’exploitation et l’intégration. ‘ Nous multiplions par deux et demi le nombre de développeurs à effectif global constant ‘, se réjouit Sidney Studnia.A Besançon, le pôle développement Forté est aujourd’hui constitué et opérationnel. Il compte désormais seize personnes. Pour Rodolph Sauvonnet, le directeur informatique local, cette réussite tient d’abord à la forte motivation des
agents. Le complément de formation apportée localement et le recrutement d’un contractuel avec un fort bagage technique pour encadrer l’équipe ont donné le coup de pouce supplémentaire indispensable.

Des contractuels pour encadrer les développeurs

Les quatre à cinq semaines de formation magistrale dispensée aux analystes et programmeurs Cobol ne suffisent bien évidemment pas à les transformer en développeurs Forté ou en spécialistes Java. ‘ C’est en
commençant à travailler que nous avons pris conscience de nos lacunes ‘,
analyse Bernard Duquesnoy, nouveau développeur GED au centre d’Amiens. Des formations internes, et aussi de l’autoformation ont dû être ajoutées. L’un
des grands mérites de la DGCP est d’avoir laissé à ses informaticiens le temps de digérer leur apprentissage théorique avant de le mettre en pratique.A Besançon comme à Amiens, des contractuels à fortes compétences techniques ont été recrutés pour encadrer les équipes de développeurs. Leur venue est saluée par les équipes. ‘ Nous avons eu la chance de
travailler avec Didier Colin,
se félicite Jacky Prince. Son expertise sur Forté nous a permis de surmonter toutes les difficultés que nous rencontrions. ‘ A Amiens, c’est un spécialiste de la GED, Jean
Laval, qui est venu épauler l’équipe de développement. Le rôle de ces contractuels ne se limite pas à consolider le savoir acquis en stage par leurs équipes. Ils assurent également la fonction de chef de projet.

Entre six mois et un an pour rendre un agent opérationnel

La méthode porte ses fruits. La combinaison de stages externes complétés par des formations internes encadrées par un chef de projet contractuel débouche sur des premières réalisations. Un inconvénient, toutefois : une frange
importante d’informaticiens a été isolée pendant de longs mois. Cela n’a pas eu d’effets négatifs grâce aux gains d’efficacité réalisés par le reste des équipes informatiques. Il faut, en effet, compter entre six mois et un an pour rendre un agent
opérationnel dans ses nouvelles fonctions. La direction a prévu large. Elle table sur une durée de douze à vingt-quatre mois pour assurer la montée en compétences des cobolistes.Au centre d’Amiens, l’intégrateur a aussi été mis à contribution pour renforcer le volet formation. Unisys, la société qui a gagné l’appel d’offres, s’est vu confier une triple mission : déployer un socle technologique autour des
logiciels Tower Technology et Staffware, sur lequel viendront s’appuyer les applications de gestion documentaire ; assurer le transfert des compétences technologiques et méthodologiques vers les équipes de la DGCP ; et mettre en place des
applications pilotes pour faire monter en puissance les compétences internes.‘ Le transfert des compétences de l’intégrateur vers nos équipes était un point aussi important pour le choix que la pertinence de la solution technique ‘, précise Patrick David, chef de
projet dématérialisation à la DGCP.En trois ans, bien du chemin a été parcouru. Et c’est un sentiment de satisfaction qui anime la direction informatique de la DGCP. La consolidation des applications a donné quelques sueurs froides à la direction informatique, mais le
processus semble aujourd’hui bien rodé.

Une recette gagnante pour poursuivre la réforme

Mais il n’est pas question pour autant de marquer une pause dans le vaste chantier de la modernisation de l’informatique du ministère des Finances. De nouvelles échéances très importantes se dessinent à relativement court terme. Trois
grands projets ­ Helios, Copernic et Accord (lire encadré ci-dessous) ­ sont initiés. Leur prochain déploiement nécessite d’ores et déjà de renforcer les services d’assistance.Une fois encore, le Trésor public applique la recette qui lui a si bien réussi jusqu’à présent : un test grandeur nature dans un centre ­ celui de Besançon ­, l’adoption d’un nouvel outil ­ celui de
Peregrine ­, et la réorganisation des tâches avec une formalisation des métiers de l’assistance. Celle-ci est centralisée au niveau régional.Ce choix représente, selon Sidney Studnia, le meilleur compromis entre la nécessaire professionnalisation du métier et le besoin de proximité avec les utilisateurs. C’est aussi le meilleur moyen de mener rapidement à terme cette phase
d’expérimentation. Un choix national ou interrégional aurait soulevé des questions de volumétrie difficile à anticiper en l’état actuel des connaissances.Le déploiement d’une solution de help desk favorisera l’adoption des prochaines réformes. La loi de modernisation des finances prévoit un grand saut qualitatif. La comptabilité de l’Etat, avec sa logique de caisse, doit s’aligner sur
la comptabilité privée, fondée sur une logique de charges et de revenus. Le Trésor public figure en première ligne dans le vaste programme de rénovation de l’Etat.

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Olivier Roberget